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Chapitre I – Le phénomène de visibilité numérique

1.3. Le phénomène de visibilité numérique

Nous ne prétendons pas travailler sur un sujet de recherche innovant. Bien au contraire, les processus de mise en scène de soi sur Internet ont, depuis un certain temps déjà, fait l’objet de profonds questionnements (Coutant & Stenger, 2010 : 46 ; Denouël, 2011 : 75). Dans l’ensemble de la partie qui va suivre, les réseaux socionumériques – terme que nous avons choisi et que nous justifierons dans la partie concernée – seront nommés de différentes manières. Nous avons pris le parti de garder la terminologie employée dans chacune de ces recherches. Mais, au final, ces divers termes désignent le même objet. Donc, dans le cadre du projet de recherche « réseaux sociaux numériques » financé par La Poste (Direction de l’Innovation et des E-services – DIDES – et Mission Recherche et Prospective) et réalisé entre 2008 et 2009, Alexandre Coutant et Thomas Stenger ont été amenés à s’interroger sur l’impact des « réseaux sociaux numériques » sur les modes de consommation et le rapport aux marques. Plus largement, ils se sont afférés à éclaircir certains points de définition autour de termes récents, comme celui de « réseaux sociaux numériques » par exemple, de rassembler les différents travaux traitant de thématiques associées à ce sujet et de discuter des

méthodologies les plus applicables afin d’analyser ces pratiques. De leurs propres termes, ce travail correspond à une tentative de recherche pluridisciplinaire. Plus que d’apporter des réponses définitives, ce travail saurait être un point d’ouverture à de multiples recherches sur le sujet suivant diverses disciplines.

Dans un second travail de réflexion, d’ailleurs plus proche de la recherche que nous sommes actuellement en train de mener, ils ont cherché à décomposer la manière dont la mise en scène de soi sur les réseaux sociaux numériques par de jeunes usagers peut amener à revoir l’ordre de l’interaction « hors ligne ». De là, ils sont arrivés à produire une cartographie des modes de présentation des profils sur les réseaux sociaux numériques et concluent ce travail en expliquant que même si ces dispositifs sociotechniques participent au développement de la

culture expressiviste, il n’en reste pas moins que s’exercent, en leur sein, différentes formes

de contrôle social et d’exploitation de la participation. Volontairement, nous ne développerons pas leur réflexion, nous reviendrons plus en détails sur cette typologie, dans la partie suivante sur les modèles de décomposition de la visibilité numérique, en la comparant à d’autres dans le but de voir s’il n’apparaît pas éventuellement une typologie des plus opératoire sur laquelle nous pourrions nous appuyer afin de produire, dans le cadre de notre recherche, une représentation des différentes formes de visibilité sur Facebook.

Conjointement à cela, Julie Denouël s’est penchée sur les questions d’identité dans le cadre d’usages des TIC et ce qui a amené les sciences humaines et sociales à plus particulièrement se pencher sur les formes électroniques de présentation de soi. Suivant cette logique, elle est arrivée à dire que l’élaboration de l’identité en ligne correspondrait à un continuum entrecoupé de divers épisodes de vie. Plus spécifiquement, ces propos visent à comprendre l’identité numérique comme une écriture de soi et une mise en intrigue de ce qui nous différencie ou nous rapproche d’autrui. Par là, cette narration de soi se comprendrait comme une mise en visibilité des écritures de soi. Ce processus de mise en visibilité des écritures de soi correspond justement à un des éléments sur lequel nous souhaiterions nous pencher dans notre analyse.

Des chercheurs nord-américains, comme Danah Boyd et Nicole Ellison, ont rapidement fait le constat d’une massification d’usages des réseaux socionumériques, historiquement sur le continent nord-américain, puis à travers le monde (Boyd & Ellison, 2007). Elles se sont d’ailleurs penchées très tôt sur le sujet en tentant, d’emblée, de décrire les caractéristiques spécifiques de ce type de sites – caractéristiques qui structurellement permettent d’accroître la

visibilité des usagers – ainsi que d’en donner une définition des plus exhaustive. Un de leurs axes de recherche les poussait à se pencher sur la manière dont les TIC, et plus particulièrement Internet, pouvaient infléchir les normes préalablement établies de l’interaction sociale en coprésence et bousculer le rapport que pouvaient avoir les individus aux notions de privé et de public (Boyd, 2008b : 14). Elles ont fait émerger l’idée que la prise de conscience par les usagers de la visibilité des informations personnelles sur les sites de réseaux sociaux pouvait avoir des conséquences quant à la convergence sociale. La gestion de publics disparates amène l’usager à laisser ses informations personnelles dans des « zones grises », des espaces oscillants entre le absolument secret et le complètement public. Pour autant, la vitesse d’évolution de ces technologies, ainsi que de leurs usages, nous oblige à réinterroger ce constat, vieux de seulement cinq ans.

Les normes propres aux mondes numériques, à savoir qu’elles engagent à une réévaluation de la relation au temps et à l’espace, bousculent l’ancrage de l’individu dans l’espace public. L’invitation à fortement s’exposer sur Internet, et en particulier sur les réseaux socionumériques, tend à considérer l’identité en ligne comme un « vaste bazar où tout semble faire signe » (Cardon, 2008 : 95). C’est en débutant sur ces mots que Dominique Cardon a proposé de développer une réflexion autour des différentes manières dont les individus, usagers des « plateformes du web 2.0 », se présentent et se représentent à travers cette multitude d’espaces numériques. Comme l’auteur le précise dès les premières lignes, la typologie, ainsi que les diverses représentations proposées, ne sont pas issues de recherches empiriques mais correspondent à des modèles théoriques et synthétiques de compréhension des stratégies de mise en visibilité de soi des utilisateurs sur ce « web 2.0 ». A l’instar de la cartographie des modes de présentation des profils sur les réseaux sociaux numériques d’Alexandre Coutant et Thomas Stenger, nous proposons de développer davantage notre propos ultérieurement dans la partie suivante sur les modèles de décomposition de la visibilité numérique. Le travail de Dominique Cardon saura être un point de comparaison et une piste de réflexion supplémentaire quant à notre future analyse.

Pour en revenir à notre propos initial, nous pourrions nous questionner sur les conséquences de cette visibilité : Cette invitation à s’exposer se traduit-elle véritablement en pratiques ? L’exhibition de soi est-elle concomitante de l’accroissement d’usages de l’Internet et des réseaux socionumériques (Perriault, 2009 : 14) ? Ce sont des questions, posées par Jacques Perriault, qui font suite à la diffusion de résultats de la recherche Sociogeek, grande enquête

en ligne ou, pour reprendre le terme exact « jeu-enquête en ligne », ayant réuni plus de 11 000 participants. L’interrogation, formulée au lancement de l’enquête par la Fing, Faber Novel et

Orange labs, était de comprendre plus en détails les différentes manières de s’exposer sur ce

fameux « web 2.0 ». La massification d’usages de ces différents sites « sociaux » a focalisé l’intérêt de chercheurs sur le sujet, faisant, par la même, émerger des questions autour de l’exposition de soi et de visibilité sur Internet. Pour autant, pour reprendre Jacques Perriault, l’exhibition de soi, et les différentes manières de la réaliser, sont-elles issues de ces nouveaux dispositifs sociotechniques ? Partant d’une interrogation principalement orientée autour des traces numériques et de leurs potentiels usages, Jacques Perriault questionne quant aux conséquences de cette exposition de soi élargie mais aussi concernant les changements sociétaux liés au développement d’Internet et à l’exposition de soi. Ce qui est visible dans les pratiques, tout du moins, c’est que le développement des plateformes du « web 2.0 » a en partie lié la production des identités en ligne aux usages des réseaux sociaux numériques (Aguiton & al., 2009). Suite à la publication des résultats de l’enquête Sociogeek, il a été possible de produire une réflexion empirique des différentes formes « d’auto-exposition sur les sites de réseaux sociaux (SNS) » et élaborer une typologie de mise en visibilité de soi : l’exposition pudique, l’exposition traditionnelle, l’impudeur corporelle, l’exhibitionnisme

ludique et la provocation trash. En cherchant à s’interroger sur la manière dont les individus

s’exposent sur les sites de réseaux sociaux, sur la possible influence de déterminants sociaux à cette exposition et sur les différentes formes d’auto-exposition, Christophe Aguiton et l’ensemble des chercheurs affiliés à cette recherche ont été en mesure de produire cette typologie. Compte tenu de la très forte proximité avec notre projet de recherche doctoral et de la catégorisation produite, nous voudrions revenir plus en détails sur cette étude dans la partie suivante sur les modèles de décomposition de la visibilité numérique, comme nous le ferons pour la cartographie d’Alexandre Coutant et Thomas Stenger et la typologie de Dominique Cardon.

Il a, d’ailleurs, souvent été question dans ces récentes études de l’influence que peuvent exercer les TIC sur les « jeunes » utilisateurs, la manière dont ils s’en saisissent et le rapport que peuvent avoir les « adultes » vis-à-vis de ce phénomène (Ito & al., 2008 : 35). Dans une conséquente étude ethnographique de trois ans, une quinzaine d’universitaires a mené une recherche concernant la participation de jeunes américains dans cette « écologie des nouveaux médias ». Ce travail s’est articulé autour de deux principales interrogations, à savoir la pénétration de ces « nouveaux médias » dans les pratiques et les chronologies juvéniles, ainsi

que l’influence de ces nouvelles pratiques dans les rapports entre jeunes et adultes quant à l’apprentissage et l’alphabétisation. Parmi les conclusions fournies, notamment concernant plus spécifiquement notre thématique de recherche, il a été révélé que la mise en visibilité et l’interconnexion des individus sauraient fournir un « contexte pour les jeunes de développer de nouvelles normes sociales dans la négociation avec leurs pairs » (Ito & al., 2008 : 36).

Cette jeune population, étant fortement confrontée – proportionnellement aux autres classes d’âge – à ces dispositifs sociotechniques, subit de rapides et successifs bouleversements de sa visibilité dans l’espace public numérique (Boyd, 2007b : 23). Comme l’a montré Danah Boyd, dans un travail d’enquête ethnographique de deux ans auprès d’une population de jeunes utilisateurs de Myspace, l’émergence et l’adoption rapide des sites de réseaux sociaux par les adolescents – aux Etats-Unis dans le contexte de cette enquête – ont fait émerger de nouvelles interrogations concernant leurs implications sur ces sites, à savoir l’expression de leurs caractéristiques identitaires, la visibilité de ces dernières et les conséquences sur les normes interactionnelles en vigueur. Ce qui a changé avec la massification de ces outils, c’est l’ampleur de la visibilité des individus sur Internet – et au-delà – et la persistance de l’information dans les réseaux. Danah Boyd termine en se questionnant sur la capacité de cette population à gérer ce type de dispositifs, les informations qu’ils y font circuler ainsi que les conséquences de ces pratiques.

Face à la complexité architecturale et d’usage des réseaux socionumériques, les adolescents ont été contraints d’élaborer des stratégies en vue de gérer la représentation numérique de soi (Boyd, 2008a : 2). Dans sa thèse Taken out of context: American Teen sociality in Networked

Publics, Danah Boyd propose toute une série d’interprétations autour de cette idée. La

première est que cette population de jeunes usagers débute son usage des sites de réseaux sociaux par des « pratiques ordinaires » mais – et c’est la seconde interprétation – que, par la suite, ces sites modifient ces pratiques. La troisième est que ces individus sont contraints de développer des stratégies afin de gérer la complexité d’usage de ces dispositifs sociotechniques. Elle conclut en affirmant que ces nouvelles technologies ont inévitablement eu des incidences sur la gestion de la vie publique des usagers mais que ces derniers ont, par ailleurs, permis la reconfiguration de l’architecture des sites.

Constamment sollicités, ils développent des pratiques d’actualisation de soi, négociant entre les opportunités (pour l’identité, l’intimité, la sociabilité) liées à la mise en visibilité et les

(Livingstone, 2008 : 405). En parallèle des travaux de Danah Boyd, Sonia Livingstone s’est, elle-aussi, penchée sur le phénomène de popularité des sites de réseaux sociaux. Bien que éminemment perplexe face à la pratique de dévoilement de soi dans un espace public, si numérique soit-il, une bonne part des usagers s’est prise « au jeu ». Partant de ce constat, Sonia Livingstone a effectué une recherche sur le subtil lien qui pouvait exister entre opportunités et risques dans cette pratique de mise en visibilité de soi sur les sites de réseaux sociaux. Quelle réalité revêt la construction identitaire des individus maintenant que les interactions sont de plus en plus médiatisées ? La réponse qu’elle apporte à cela, et qui nous semble tout à fait pertinente, est que cette « actualisation de soi » se fonde sur un équilibre entre les opportunités – que ce soit pour l’identité, l’intimité ou la sociabilité – et les risques – concernant la vie privée, les incompréhensions ou les abus. La seconde conclusion qu’elle tire est que ces usagers se situent bien dans un processus temporel d’usages comprenant des « phases » de création et de re-création identitaire. Il s’agit, là aussi, d’un élément sur lequel nous souhaiterions insister dans notre analyse : les temporalités d’usages et, plus particulièrement, les temporalités de gestion de la visibilité. L’élaboration de ce type de stratégies tendrait, a priori, à brouiller les frontières entre le public, le privé et l’intime (Denouël, 2011 : 77).

Afin d’apporter certaines précisions quant à la notion de « stratégie » dans nos précédents propos, nous proposons de nous appuyer sur Michel de Certeau qui la définit comme le « calcul (ou la manipulation) des rapports de forces qui devient possible à partir du moment où un sujet de vouloir et de pouvoir est isolable » (Certeau, 1990 : 59). Selon lui, la stratégie postule un lieu à l’inverse de la tactique qui ne pose aucune délimitation à l’extériorité. C’est bien suivant cette logique que nous allons nous positionner, à savoir que c’est au travers de ce lieu, qu’est le réseau socionumérique Facebook, que les individus vont élaborer des stratégies d’usage en vue de gérer leur visibilité numérique. Ils seront amenés à entrer dans une logique de production d’usages, entendue comme une poïétique camouflée toujours suivant l’idée de Michel de Certeau. Dans ce contexte, ils peuvent être amenés à développer des usages détournés en réponse aux usages souhaités par le dispositif sociotechnique. À un usage rationnalisé et anticipé, les individus peuvent répondre par des usages détournés et modulés.

Dans une logique de compréhension plus large, à savoir non restreinte à une population d’usagers particulière, de nombreux chercheurs se sont évertués à interpréter le phénomène social de représentation de soi. En particulier, Fanny Georges, suivant une perspective de

recherche axée sur la sémiotique appliquée, a morcelé l’identité numérique en trois ensembles de signes : l’identité déclarative ; l’identité agissante et l’identité calculée (Georges, 2009 : 167-168). La première se rapporte aux informations saisies par l’usager, la seconde recense l’ensemble des données enregistrées par le système et la dernière correspond aux calculs réalisés par le système. Ainsi, l’identité numérique pourrait être désignée comme une hypostase des activités de l’utilisateur, c’est-à-dire l’accumulation de « sédiments » numériques disséminés, suite à la répétition d’usage de l’outil (Georges, 2008). Dans cette recherche, Fanny Georges s’est évertuée à comprendre la manière dont un individu pouvait « prendre existence à l’écran » et, par extension, les moyens qu’il mettait en œuvre afin de se socialiser en ligne. Suivant une méthode d’observation, Fanny Georges a examiné la structure de ce qu’elle nomme la « représentation de soi », à savoir l’ensemble des signes observables de la visibilité de l’usager à l’écran. A la suite de cela, elle conclut en expliquant que l’existence numérique de l’usager est dépendante de sa visibilité. Si l’usager ne laisse pas de traces numériques, il semble invisible à autrui. L’hexis numérique comme « représentation de soi en tant qu’elle est informée par le dispositif informatisé et qu’elle s’informe en l’écran » requiert une activité régulière sans quoi l’usager tend à devenir invisible (Georges, 2009 : 190). Au travers de cette régularité, le temps arbore une place fondamentale dans le processus de visibilité numérique et c’est justement un des concepts que nous souhaiterions mobiliser afin de comprendre notre objet de recherche qu’est la visibilité des usagers sur Facebook. Nous y reviendrons plus en détails dans la partie sur la mobilisation des concepts et nous justifierons ce choix. L’ensemble de ces dispositifs de production de soi et de contenus tendrait à faire émerger et s’épanouir une dynamique « expressiviste » de l’Internet, un mouvement qui inciterait les usagers à créer de multiples représentations de soi, si complètes ou si fragmentées soient-elles (Cardon, 2008 : 96-97).

Il est toutefois nécessaire de rappeler que la pratique d’exposition de soi est préexistante à l’Internet (Granjon & Denouël, 2010 : 26). Pour appuyer ce propos quant à la préexistence des mises en visibilité par rapport à l’Internet, nous nous appuierons sur une recherche menée par Fabien Granjon et Julie Denouël. Dans la continuité de l’enquête Sociogeek, ces deux chercheurs ont réalisé une enquête qualitative et une analyse des discours afin d’approfondir les différentes formes de mise en visibilité de soi dérogeant aux règles communes de la pudeur. Ordinairement conçue comme une perte de contrôle, tout du moins détachée de la bienséance et animée par les pulsions, l’impudeur ne correspondrait a priori pas à une pratique animée par la recherche de reconnaissance. Pourtant l’hypothèse formulée par ces

deux chercheurs tient au fait que la mise en visibilité de certaines caractéristiques identitaires, des plus anodines au plus impudiques, serait à concevoir comme une « demande d’acceptation de singularités identitaires individuelles se révélant à autrui » (Granjon & Denouël, 2010 : 27). Il s’agissait bien pour Fabien Granjon et Julie Denouël de confirmer l’idée que l’exposition de soi vise bien à capter le regard d’autrui afin d’en saisir l’approbation.

Ces différentes formes de mise en visibilité que peut développer un usager des réseaux socionumériques sauraient tout autant être mises en pratique dans des espaces autres que ceux du web. Ce que les TIC ont introduit dans le rapport de la communication médiatisée, c’est ce

tiers, en capacité de s’introduire dans l’interaction

(Cardon & Delaunay-Teterel, 2006 : 20-21). Dominique Cardon et Hélène Delaunay-Teterel, dans une recherche sur la pratique du blogging, au-delà de rappeler le fait que le blog est un outil original de mise en récit de soi, ont souhaité montrer qu’il peut tout aussi bien représenter un « outil de communication permettant des modalités variées et originales de mises en contact » (Cardon & Delaunay-Teterel, 2006 : 17). Dans ce travail sur des blogs, que nous pouvons rapprocher selon certaines modalités de la production informationnelle sur les réseaux socionumériques, ils montrent – bien que ce ne soit pas là leur objectif primordial – que les échanges communicationnels effectués sur Internet font intervenir, au-delà de la personne qui parle et de celle qui écoute, une troisième personne, un tiers plus ou moins attentif, un public témoin indénombrable et anonyme. L’extension de la visibilité des individus en interaction et des informations échangées sur Internet fait qu’il est désormais possible à un public tiers, indénombrable et la plupart du temps anonyme, de s’introduire dans la relation. Ce phénomène amène à une révision de la notion de « public » dans la recherche.

Plus largement, cela invite à s’interroger sur le modèle de société dans lequel nous vivons. Serions-nous entrés, comme le souligne Zeynep Tufekci, dans une « société transparente » (Tufekci, 2008 : 34) ? Vivrions-nous dans une société où ce que nous voudrions être – mis numériquement en exergue à grands coups de persona – prévaudrait sur ce que nous sommes ? C’est par cette question que Zeynep Tufekci débute la conclusion d’un article présentant une recherche, réalisée auprès d’une population de 704 étudiants universitaires américains, portant sur le traitement de la vie privée dans le contexte d’usages des sites de