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La reproduction technique et la présentation de so

Chapitre I – Le phénomène de visibilité numérique

1.5. La reproduction technique et la présentation de so

Afin de cerner au mieux ce à quoi correspond notre objet de recherche, suite au travail de synthèse sur la visibilité numérique et l’approche comparative de modèles de décomposition de la visibilité numérique, nous souhaiterions apporter certaines précisions sur le rapport entre le progrès technique et la visibilité des individus. L’objectif visé serait d’élargir l’angle de réflexion au-delà du média Internet. Comme nous le soutenions, en renfort des travaux déjà effectués sur le sujet, il est un constat que la multiplication des TIC a entraîné une complète révision des modes d’exposition, en particulier sur Internet.

Déjà Walter Benjamin, dans la première partie du XXème siècle, avait fait remarquer les conséquences que pouvaient avoir les nouvelles technologies de représentation sur le rapport de l’individu à l’image. L’accès à ce nouvel espace de perception, fourni par des dispositifs de reproduction technique, comme par exemple la photographie, a conduit à revoir la place du spectateur dans le temps et dans l’espace. Là, où auparavant, il était nécessaire de se retrouver dans un même endroit et dans un temps défini – ce qui correspond au hic et au nunc de l’objet mis en visibilité – pour observer, il est maintenant possible d’y accéder de tout lieu et à tout

moment. La multiplication du nombre de ces technologies a nécessairement accru la visibilité des images mises en avant. Benjamin soutenait, par ailleurs, que « le hic et nunc de l’original constituait ce qu’on appelle son authenticité » (Benjamin, 2008 : 12). Néanmoins, Nathalie Heinich contredit ce propos en insistant sur le fait que c’est plutôt la reproduction technique des images qui confère l’aura – son authenticité – à l’original. La séparation de l’original avec ses reproductions techniques invite les individus à d’autant plus se rapprocher de l’original et de son caractère authentique. Il serait intéressant, par la suite, de s’interroger sur l’influence que peut avoir les réseaux socionumériques sur la mise en relation physique des individus. Les réseaux socionumériques ne sont-ils pas qu’un espace de sociabilité complémentaire n’influençant pas la temporalité des interactions en coprésence ? Bousculent- ils les rapports que peuvent avoir les individus ? Ou ne renforcent-ils pas leurs liens ? Toutes ces questions se rapportent inévitablement à la valeur qu’arbore la visibilité sur les réseaux socionumériques et à l’incidence qu’elle peut avoir sur les liens entre les différents usagers connectés.

Walter Benjamin n’est d’ailleurs pas le seul, et loin de là, à s’être penché sur le phénomène d’interaction sociale ; la substantielle production scientifique d’Erving Goffman atteste de l’intérêt de ce dernier au phénomène. Rattaché à la seconde école de Chicago, s’appuyant sur, tout en cherchant à dépasser, le courant de l’interactionnisme symbolique, Goffman a consacré une large part de ses travaux à l’interaction sociale, qu’il définit comme « ce qui se déroule de façon unique dans des situations sociales, comprenant des environnements dans lesquels deux ou plusieurs personnes sont physiquement en présence les uns par rapport aux autres » (Goffman, 1973a : 23 ; 1983 : 2). À l’intérieur de cette dynamique d’interaction sociale en coprésence, l’individu se construit dans le regard des personnes avec lesquelles il interagit, mais aussi à l’abri du regard d’autrui (Haroche, 2011 : 85). Cette dernière précision est un argument en faveur de la valeur de l’invisibilité – tout autant que pourrait l’être la visibilité – dans la construction identitaire. Visibilité et invisibilité sont indissociables à la construction identitaire. Bien évidemment, ce que les acteurs cherchent à montrer ou ce qu’ils souhaitent dissimuler sont encadrés par tout un système de normes sociales, les contraignant à ne pas perdre la face et les invitant à présenter une image – un personnage – socialement valorisée et positivement reconnue.

Le développement des médias de communication, initié par les nouveaux procédés d’imprimerie, a profondément bousculé le modèle d’interaction sociale lié à la coprésence,

sans toutefois le faire disparaître. L’historique injonction à la présence physique des individus lors de l’interaction fut complétée par un modèle d’interaction sociale distancié, potentiellement asynchrone et subordonné à des technologies de communication. Dans un modèle, comme dans l’autre, l’acteur « doit agir de façon à donner, intentionnellement ou non, une expression de lui-même, et les autres à leur tour doivent en retirer une certaine

impression » (Goffman, 1973a : 12). Cette articulation entre l’acteur et les personnes avec

lesquelles il interagit renvoie directement à la question de la mise en visibilité. Goffman précise, par ailleurs, qu’il distingue la visibilité de la notoriété (Goffman, 1975 : 65). Au-delà de la simple reconnaissance d’autrui par la mise en présence, par sa visibilité physique, il peut aussi être question des connaissances préalables liées à cet autrui, sa notoriété, qui dépasse le cadre de l’interaction.

Comme il a été précédemment annoncé, Goffman s’est fortement attaché aux dynamiques de l’interaction et tout ce à quoi elle renvoyait, notamment le contexte d’interaction. Car, bien évidemment, selon la situation dans laquelle l’individu se trouve et selon les personnes avec lesquelles il interagit, le comportement que ce dernier adoptera variera. Selon ce principe, l’individu tendra à « extérioriser ce qu’on nomme parfois une ligne de conduite, c’est-à-dire un canevas d’actes verbaux et non verbaux », fonctionnelle du contexte, qui influencera la vision que ces interlocuteurs auront de ce dernier (Goffman, 1974 : 9). Le comportement d’un individu n’est donc pas uniquement lié à son intériorité mais est aussi influencé par des contraintes extérieures.