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La régulation de la visibilité des informations publiées

Chapitre VII – La publication des informations dans le journal

7.2. La régulation de la visibilité des informations publiées

Quels sont les modes de régulation des informations publiées dans le journal ? Nous proposons une représentation graphique de la publication d’informations dans le journal Facebook de l’usager.

Afin d’obtenir une meilleure visualisation de cette diversité dans la publication des informations par les usagers sur Facebook, nous avons réalisé une AFC (Analyse factorielle

des Correspondances). L’AFC va nous permettre de résumer graphiquement les informations

contenues dans le tableau de contingence48, croisant les variables de fréquence de publication et de type d’informations. Nous demeurons dans une approche de statistique descriptive qui se fonde, pour beaucoup, sur de l’interprétation.

Les résultats obtenus, suite à la réalisation de l’AFC, proposent deux axes significatifs. L’axe 1 explique 84,1 % de la variabilité tandis que l’axe 2 en explique 15,3 %. Au total, le plan factoriel P1-2 rend compte de plus de 99 % de l’inertie totale. Nous allons succinctement

48 Le tableau de contingence est à retrouver dans les annexes avec les nombre de variables qui sont intervenues

résumer les résultats obtenus suite à cette AFC afin d’éviter la surcharge de données statistiques et ne pas rendre la lecture indigeste49. Nous retiendrons surtout quelques éléments.

Graphique n° 7.2.1 : La publication d’informations dans le journal50

Le premier, concernant la variable liée à la fréquence de publication, renvoie au fait que la modalité « jamais », correspondant à une fréquence nulle, rend compte d’un peu moins de 70 % de l’inertie de l’axe 1. Tandis que les modalités « Rarement » et « Très souvent », correspondant respectivement à une faible fréquence et à la fréquence la plus élevée, explique près de 62 % de l’inertie de l’axe 2. Parallèlement, concernant la variable traitant du type d’informations publiées, les modalités « Vidéos personnelles » et « Réponses à des commentaires » rendent compte de près de 92 % de l’inertie de l’axe 1. Tandis que les modalités « Photos » et « Réponses à des commentaires » expliquent plus de 75 % de l’inertie de l’axe 2.

Par ailleurs, il apparaît, concernant l’axe 1 horizontal, une opposition entre, d’un côté, une fréquence de publication inexistante et, de l’autre, une fréquence de publication constante.

49 L’ensemble des résultats concernant cette AFC est à retrouver dans les annexes.

50 L’analyse factorielle des correspondances a été réalisée à partir de 12 modalités. La dépendance est très

Constant Inexistant

Interactif

Indépendant Axe 2 (15,3 %) : Dynamique interactionnelle

Axe 1 (84,1 %) : Processus de mise en visibilité

Jamais

Rarement

Occasionnellement

Assez souvent

Très souvent

Vidéos personnelles Vidéos relayées Commentaires personnels Réponses à des commentaires

Commentaires d'actualité

Liens

Cette opposition, tout du moins cette graduation dans la fréquence de publication des informations dans le journal nous amène à définir cet axe comme le processus de mise en

visibilité des informations. Concernant l’axe 2, bien que n’expliquant qu’un peu plus de 15 %

de l’inertie totale, il semble renvoyer à cette capacité à susciter l’interaction. Cet axe oppose, en haut, les informations fortement empreintes d’une invitation à la discussion. À l’inverse, en bas de l’axe 2, il y aurait les informations peu imprégnées d’une invitation à l’interaction. Nous faisons le choix de définir cet axe comme la dynamique interactionnelle intrinsèque aux informations publiées.

Ce que nous constatons, c’est qu’il s’opère une graduation dans le type d’information publiée. D’un côté, il y a un usage très fréquent des commentaires personnels et des réponses à des commentaires. Et, de l’autre, il y a un usage très modéré, voire inexistant, des photos et des vidéos personnelles. Cette opposition nous amène à penser que les usagers ont des rapports différents selon le format de l’information. Les photos et les vidéos personnelles renvoient plus particulièrement vers des formes d’expressions de la corporalité, tout du moins une mise en visibilité, de tout ou d’une partie, du corps de l’usager ou de membres de son réseau de relations. Et même si ces photos ou ces vidéos ne correspondent pas à des corps (paysage, objet, abstrait, dessin, etc.), elles demeurent, tout du moins, un élément de définition de l’identité de l’usager, comme faisant partie de l’être. Elles tendent à en dire davantage, à rendre plus visible cet être, que ne peuvent le faire les commentaires ou les réponses à des commentaires. Entre une de ces formes d’expression corporelle et des formes d’expression manuscrite, le degré de visibilité de l’être diffère.

Comme l’expliquait Erving Goffman, au sujet du stigmate et plus particulièrement concernant la visibilité, « ce qui se révèle de l’identité sociale d’un individu à chaque moment de sa ronde journalière et aux yeux de tous ceux qu’il y rencontre ne manquer d’être pour lui d’une grande importance. Certes, une présentation de soi qui s’adresse forcément au plus large public peut n’entraîner que de minces conséquences à chaque contact, mais, ceux-ci se répétant, la somme des conséquences peut se révéler immense » (Goffman, 1963 : 64). Cette présentation de soi quotidienne amène à, ce qu’Erving Goffman appelle, des techniques de contrôle de

l’information. Cette première interprétation nous permet d’embrayer sur les différentes

manières, décelées auprès de la population de personnes entretenues, de réguler la visibilité des informations publiées.

L’une des premières formes constatées, généralement la plus évidente, consiste en une restriction de la visibilité informationnelle par la sélection du public. Elsa explique justement ce rapport sélectif à autrui : « Parce que je n’ai pas envie que n’importe qui puisse rentrer

dans ma sphère privée… (Rires)… […] Il y a aussi des gens forcément que tu n’aimes pas sur Facebook. Tu n’as pas forcément envie qu’ils voient ce que tu fais. Donc, c’est surtout pour ça. Ce n’est pas spécialement pour les gens que je ne connais pas parce que je m’en fous. C’est pour les gens que je n’aime pas, en fait. Qu’ils ne viennent pas jaser derrière mon dos ». Un premier niveau consiste en la restriction au seul réseau de relations de l’usager. Les

publications faites par ce dernier ne seront visibles qu’aux yeux des membres de son réseau Facebook. Pour autant, et c’est le second niveau, l’appartenance au réseau de relations de l’usager n’implique pas nécessairement la pénétration de l’espace intime. Il s’agit d’une distinction de plus en plus visible et clairement définie par les usagers entre les connaissances et les proches, comme le raconte Emma : « Parce que, même si j’essaye de restreindre mon

cercle d’amis, il y a quand même des gens que je ne connais pas particulièrement intimement. Je pense que les personnes qui doivent savoir mes états d’âmes, si j’ai envie de leur dire, je les appelle tout simplement. Je n’ai pas envie que l’on sache ce qui se passe dans ma vie ».

Les uns n’ont pas à être l’espace de réception des « états d’âmes » tandis que les autres en ont, entre autre, la vocation. Il y a une forte correspondance entre la proximité avec autrui et la mise en visibilité de l’intime. Bien évidemment la distance à autrui et la visibilité de l’intime dépendent grandement du contexte d’interaction. Elles ne correspondent en rien à un état figé de la relation mais davantage à un processus dynamique d’interaction dont le rapport à autrui dépend du contexte.

Une seconde forme de gestion de la visibilité renvoie à une faible publication d’informations. Comme l’explique, d’ailleurs, Édouard, le peu d’interaction qu’il peut avoir sur Facebook se résume en des échanges de vidéos : « Alors, sur la mienne déjà, je ne mets jamais rien. Mais,

des fois, quand je trouve des vidéos, que je trouve particulièrement drôles, je vais les mettre en lien sur les pages d’"amis". Souvent, en fait, c’est à moi qu’on met des vidéos, sur ma page. Je les regarde et c’est vrai que ça me fait rire ». Cette tempérance dans sa pratique de

publication n’est absolument pas généralisée à internet. Comme il le rappelle, les échanges numériques qu’il entretient avec ses amis ou sa famille se déroulent principalement, de manière verbale, sur Skype. La fréquence de publication des informations et le degré de visibilité de ces dernières sont inévitablement liés à la confiance que peut entretenir l’usager avec Facebook. Nous y reviendrons en détails plus tardivement.

Une troisième forme, plus récente mais qui semble se pratiquer de plus en plus, consiste en la suppression d’anciennes publications. Johanne est de ces personnes : « Quand on est plus

jeune, on met "J’aime" sur n’importe quoi, des suivi de pages qu’on a fait au départ et qui arrivent sur ton mur et tu en as marre. Ça ne te sert à rien. Ben oui, là, je les ai supprimés ».

L’ancienneté d’usage des réseaux socionumériques amène traditionnellement à un accroissement du contenu informationnel lié à l’usager. Comme dans le cas de Johanne, ce dernier peut être amené à délester ce ballot numérique de faire et d’être, à revoir cette chronologie de publications en supprimant des fragments.

Une des dernières formes constatées consiste en l’élaboration de stratégies de restriction de la visibilité informationnelle. Il nous semble que ce niveau de régulation ne soit pas le plus généralisé. Il nous paraît aussi que cette pratique ne soit pas l’apanage des plus jeunes. Pour autant, les usagers qui nous ont semblé les plus à l’aise, tant en termes de connaissances que de pratiques, avec les paramètres de régulation de la confidentialité correspondaient à deux des plus jeunes que nous ayons rencontrés, Florent et Thibaud, 15 ans et 16 ans respectivement. Le premier l’a réalisé en vue de favoriser son éventuelle et future intégration parmi les chasseurs alpins : « Ouais. J’ai tout vérifié. J’ai tout regardé pour pouvoir bloquer

certains trucs. J’ai bien vérifié. […]Parce que, en plus, sachant que je veux faire militaire. Donc il faut bloquer certains trucs, certaines images ne peuvent pas aller sur Facebook parce qu’ils regardent tout avant de rentrer ». Le second, très proche du premier, semble l’avoir fait

sur les conseils de son ami : « Ouais, ouais. J’ai regardé tout ce qu’on pouvait modifier. Et

puis, j’ai vu qui peut voir mes publications. Je n’ai mis "Que mes amis" et des choses comme ça. C’est strict pour ne pas que tout le monde voit ». Nous modérons toutefois notre propos en

déclarant que nous ne sommes absolument pas certain que les moins de 20 ans soient la population la plus nombreuse quant à l’élaboration de stratégies de restriction de la visibilité informationnelle.

Par ailleurs, il nous semble qu’une part des répondants est encline à réguler la visibilité des informations publiées suite au piratage ou à la pénétration de leur compte Facebook par un tiers. Dans l’exemple d’Ivan, l’acte a été réalisé dans le cadre scolaire, et plus particulièrement pendant une période de cours, par un autre élève : « Ouais parce qu’on avait

découvert mon mot de passe. On était en cours et je ne savais pas qu’il y avait quelqu’un à côté de moi. Je suis allé sur Facebook et j’ai mis mon mot de passe. Il m’a vu. Du coup, il m’a piraté. Il a changé des trucs. Il a publié des trucs, genre "Ivan est gay" ou des trucs

comme ça. Après, j’ai changé le mot de passe ». À côté de cela, le compte Facebook d’Agathe

a été piraté par une personne inconnue : « Oui, j’ai mis des protections. Et puis, par exemple,

je sais que là, en ce moment, j’ai petit problème en fait parce que je reçois sur ma tablette des messages des personnes qui ont Facebook. Mais, en fait, c’est un autre email. Donc, à chaque fois, il y a un nouveau message qui arrive. Donc, je vais dessus et c’est, par exemple, c’est quelqu’un que je ne connais pas ». Dans un cas comme dans l’autre, le piratage a entraîné une

révision du mode de régulation de la visibilité informationnelle sur le réseau socionumérique.

La dernière forme observée consiste en une absence de changements dans les paramètres de régulation de la visibilité. Cette absence d’intervention peut être due à une incapacité ou relevée d’un choix. Les propos de Gilles nous ont amené à penser qu’il était dans l’impossibilité d’opérer des modifications : « Ben, une fois, un collègue m’avait dit d’aller sur

« paramètres » pour… J’ai été voir mais bon. Il y avait tout, il y avait des flèches donc c’était fait donc… Il y a des trucs qui sont marqués… Je ne sais plus comment ils sont marqués… Comment est-ce déjà ? C’est des trucs presque anonymes, non ? […] Non, moi, je ne protège pas énormément ». Au-delà de cet extrait, Gilles justifie cette absence d’intervention par une

pleine confiance en Facebook, comme une remise de soi à Facebook, dans la gestion de ses informations, personnelles ou non. À côté de cela, Rémi confirme cette absence d’intervention dans le but d’accroitre la visibilité numérique de son groupe de musique : « Je

n’ai pas trop modifié parce que je veux être ouvert à tout le monde par rapport au groupe, pour faire de la pub. Je ne bloque pas, je laisse assez ouvert. Tout le monde peut voir ». Toute

forme de régulation de la visibilité des informations publiées n’est pas nécessairement maîtrisée comme toute absence d’intervention n’est pas nécessairement due à de l’in-capacité