• Aucun résultat trouvé

Chapitre IV – Les méthodes de recueil des données 4.1 La posture scientifique du chercheur en sciences sociales

4.2. Le travail d’enquête préliminaire

A côté de ce travail de construction de l’objet de recherche « la visibilité sur les réseaux socionumériques », il nous paraissait pertinent de rappeler ce qui fut pour le moins enrichissant à la bonne réalisation de notre projet de recherche doctoral mais nécessairement le plus visible : le travail d’enquête préliminaire. D’abord, nous rappellerons ce que des travaux de recherche antérieurs peuvent apporter. Ensuite, nous nous épancherons sur le travail de recherche bibliographique. Et, enfin, nous terminerons sur le travail d’observation participante en sein d’une agence de communication digitale.

4.2.1. La richesse des travaux antérieurs : deux mémoires de maîtrise

Il est, nous semble-t-il, un point positif à cette « sensibilité » que nous avons pour les usages de la technique. Cela transparaît dans notre parcours universitaire. Les mémoires que nous avons réalisé, pour le premier, dans le cadre de notre première année de maîtrise en sociologie et pour le second en deuxième année de master recherche, portaient, dans les grandes lignes, sur le rapport entre la publicité et internet. Le premier, avec une orientation plutôt socio- historique, visait à faire, dans un premier temps, état de l’évolution de la publicité à travers les différents médias sur lesquels elle s’est implantée puis, dans un second temps, de confronter cela à l’économie actuelle de la publicité sur internet. Tout ce travail s’articulait autour des discours de différentes agences de communication et de publicité. L’idée était de faire émerger les représentations dont pouvaient disposer ces personnes et les incidences que cela pouvait avoir sur leurs activités professionnelles. Cette recherche de maitrise se positionnait principalement du côté des producteurs informationnels de l’internet.

D’emblée ce travail nous permit d’obtenir une vision plus large sur ce secteur d’activité, qu’est celui de la communication publicitaire sur internet. D’une certaine manière, avec ce premier mémoire, en nous positionnant du côté des producteurs, la réorientation de notre approche pour le projet de recherche doctoral nous parut moins ardue. Nous quittions une position, où nous avions acquis une certaine aisance réflexive, pour une autre, où nous avions davantage à découvrir. Plus simplement, nous avions « gravité » autour d’un même objet : internet.

Par ce travail, nous commencions déjà à accumuler des connaissances préalables à la bonne réalisation d’une thèse dans ce domaine. Le second mémoire s’est bâti dans le prolongement du premier et a donc permis d’enrichir ce que nous avions entrepris. Davantage focalisé sur le média internet, il nous permit d’approfondir et de peaufiner la compréhension que nous pouvions avoir du secteur d’activité de la publicité. Pour chacun de ces deux mémoires, la méthode de recueil du matériau s’est faite par le biais d’entretiens semi-directifs. Certains des acteurs que nous avions interrogés lors de la réalisation du premier mémoire intervenaient aussi dans le second. A priori persuadé que la répétition d’entretiens – bien qu’ayant modifié le guide d’entretiens – n’apporterait rien de nouveau, nous fûmes agréablement surpris du contraire. Nous nous interrogions, dans le cadre de futures enquêtes, sur le fait de mettre en application la pratique d’entretiens approfondis.

Il nous semblait pertinent de faire part de nos travaux passés puisqu’ils nous ont, d’une certaine manière, amené à réaliser cette thèse. Ces deux années de recherche nous ont permis d’embrayer sur un projet de recherche doctoral avec un bagage, en termes de connaissances, qui ne fut pas nul. Par ailleurs, suite à deux années d’enquête qualitative, nous étions curieux de réaliser une enquête de type quantitative. Tout comme la focalisation sur les producteurs de l’information publicitaire, nous nous sentions désireux d’aller « prospecter » auprès des usagers des technologies de l’information et de la communication, et plus particulièrement de l’internet.

4.2.2. Travail de recherche bibliographique

Il s’en est suivi un travail de recherche bibliographique. Il est un fait qui nous semble intéressant de relever. Il existe une quantité considérable de littérature grise sur l’Internet et ses usages. Bien que n’étant pas mobilisée et n’apparaissant pas dans la bibliographie de cette thèse, elle nous a, d’une certaine manière, permis de sortir du cadre académique des recherches et des réflexions autour de ce sujet. Il s’agit bien là d’une agrégation fastidieuse des savoirs mais nécessaire car elle déroge à la pratique restrictive de lecture des « classiques ». Leurs auteurs, majoritairement extérieurs au monde universitaire, mobilisent souvent des sources très diverses, parfois incompatibles et quelquefois incohérentes. Néanmoins, cet exercice nous a permis de réfléchir au problème posé par la gloutonnerie livresque et de méditer au caractère pluridisciplinaire d’un travail de recherche. In fine, cette bifurcation dans la lecture nous ramena aux productions scientifiques sur cette thématique.

Cette revue de littérature nous a, par ailleurs, servi à affiner cette démarche qu'est la prise de distance vis-à-vis des prénotions, notamment celles qui se faisaient des plus alarmistes à l'encontre de la pénétration de l'Internet dans le quotidien ; tout autant vis-à-vis des modèles de discours véhiculés par les apôtres de l'Internet. Dans un cas comme dans l'autre, l'excès d'interprétation rompt avec la réalité d'usages. L'idée sous-jacente à ce constat est qu'il ne faut en aucuns cas dénigrer ces prises de position mais qu'il faut, au contraire, s'en saisir afin de distinguer le vocable du quotidien de la terminologie scientifique. Plus précisément encore, comme le présentent Luc Van Campenhoudt et Raymond Quivy, il serait adéquat « d’adopter une continuité épistémologique entre le sens commun et les connaissances scientifiques, tout en pratiquant une rupture méthodologique entre la connaissance scientifique et le sens

commun (non tenu par une rigueur méthodologique) »

(Van Campenhoudt & Quivy, 2011 : 18-19).

Conjointement à cela et en adéquation avec ce caractère pluridisciplinaire convoité, nous nous sommes évertué à diversifier nos sources scientifiques : sciences de l'information et de la communication, sociologie, philosophie, droit, histoire, géographie. Toutes autant qu'elles sont, elles ont favorisé le cheminement vers la construction de l'objet de recherche.

4.2.3. Enquête exploratoire : l’observation à Yellowcake

Faisant état de deux mémoires, en première année de maîtrise et en master 2 recherche, en sociologie sur le rapport entre internet, en tant que dispositif sociotechnique, et la publicité, dans son sens traditionnel comme processus de mise en scène, nous nous sentions fort d’approfondir de nouveau le sujet. L’objectif de ce travail d’observation était de « laisser courir son regard sans s’obstiner sur une piste unique, écouter tout autour de soi sans se contenter d’un seul message, se pénétrer des ambiances, et chercher finalement à discerner les dimensions essentielles du problème étudié, ses facettes les plus révélatrices et, par la suite, les modes d’approches les plus éclairants » (Van Campenhoudt & Quivy, 2011 : 73).

Lors de notre arrivée dans les locaux, un bureau, ainsi qu’un ordinateur, ont été mis à notre disposition. Il est intéressant de souligner qu’entre l’année du master 2 et la première de la thèse, la société a changé d’adresse. Elle se situe maintenant dans une grande maison, un peu plus excentrée, mais toujours proche du centre ville. Elle est d'ailleurs chaudement présentée sur leur site internet : « Atypique, chaleureuse et authentique, cette demeure a été construite par le petit-fils du corsaire Surcouf en 1897. Elle est l’une des plus vieilles maisons de Brest, épargnée pendant la 2nde guerre mondiale… »1. Au premier coup d’œil, les locaux ne correspondent pas à l’imaginaire traditionnel associé au bureau d’entreprise. Pour autant, le cadre de travail prête à de nombreuses mais brèves discussions. Nous étions entre cinq et sept personnes, suivant la circulation des stagiaires, dans un grand salon. Cette salle, type Open

space, généreuse par son volume, invite aux échanges.

Avant de nous aventurer plus en détails sur nos conditions de travail et les différentes tâches que nous avons pu effectuer, nous aimerions revenir sur la manière dont s'est déroulée l'insertion dans l'entreprise. Lors du premier rapport en coprésence, suite à la prise de contact, deux des trois dirigeants de l'entreprise se rappelaient de nous et, vaguement, ce sur quoi nous travaillons. Cette connaissance approximative s'est rapidement estompée après quelques échanges. Néanmoins, cela ne nous garantissait pas encore l'insertion. Nous sommes rapidement arrivés à discuter autour d'un sujet commun : l'émergence du dit « web social ». Ce qui nous a amené à nous « vendre » comme « expert » des usages des TIC, et notamment d’internet. Ils nous entrevoyaient éventuellement comme un « pseudo-chercheur », plus sûrement comme un étudiant mais nous nous sommes volontairement positionnés comme un

« expert » en TIC. Nous leur avons, par la suite, présenté notre projet de recherche doctoral. Nous avons convenu de partir sur la base d'un contrat de stage en entreprise. Sur l’ensemble du temps que nous avons passé dans cette entreprise, nous avons enchaîné quatre contrats de stage, d’une durée de trois mois chacun. Ce type de contrat prévoyait, pour une durée d'activité excédant trois mois, une rémunération. Cette dernière s'élevait à quelques centaines d’euros. Nécessairement, ils attendaient quelque chose en retour. Vendu en tant qu'expert en TIC, et plus particulièrement des médias sociaux, nous nous devions de répondre à leurs attentes. C'est dans ces conditions qu'ils sont arrivés à nous installer parmi les employés, au rez-de-chaussée, dans ce fameux grand salon. Les dirigeants, eux, étaient situés un étage au- dessus.

Notre inscription dans l'agence Yellowcake s'est faite en tant que stagiaire, avec une présence hebdomadaire entre deux et trois jours suivant nos disponibilités ou leurs sollicitations. Initialement, nous nous devions d’être présent le mardi et le mercredi de 9h30 à 18h30. Il est régulièrement arrivé que nous nous présentions une demi-journée supplémentaire. Très rapidement, comme nous l’avons dit, du matériel nous a été fourni (bureau, ordinateur, adresse mail professionnelle, etc.). Il y avait une réelle volonté de leur part de nous faire travailler sur les nouveaux outils « 2.0 » d’internet et des possibles retombés économiques pour Yellowcake derrière.

L’ensemble du temps de notre présence peut se décomposer en deux périodes. La première correspond au temps où nous étions au rez-de-chaussée avec l’ensemble de l’équipe des salariés. Et, la seconde, renvoie au temps où, suite à une présence importante de stagiaires, nous avons migré au deuxième étage. Du point de vue des résultats d’observation, ces deux périodes sont très hétérogènes.

La première nous permettait de développer et de consolider des liens avec les différents salariés. Nous participions, en pointillé, à la vie de groupe, sans être véritablement et complètement intégré. Nous étions régulièrement renvoyé, mais sans animosité, au statut d’étudiant. Et, occasionnellement, ils s’interrogeaient sur ce que nous attendions d’eux. Nous étions, d’une certaine manière, perçu comme un étudiant, tendance « paparazzi », légèrement intrusif, à la recherche de l’informel et de ce qui n’est jamais clairement explicité. Bien que les rapports demeuraient très amicaux, un certain caractère distant perdurait. Ces « compagnons » de bureau nous renvoyaient un sentiment d’être partiellement perçus comme

Pour autant, la socialisation opérait. Il y avait un temps très particulier où ce fossé entre « eux » et « nous », entre le sociologue et les travailleurs de l’internet, entre l’universitaire et les professionnels, entre l’étudiant et les actifs, se réduisait. Entre une à deux heures, chaque vendredi midi, temporairement, ce « mur » s’effritait. Passée la matinée, nous montions en voiture et nous nous dirigions vers un pub irlandais, toujours le même, sur le port de commerce pour déjeuner. L’environnement et le contexte d’interaction prêtaient à la convivialité.

Assez rapidement, d’ailleurs et à notre grand étonnement, nous avons participé à l’activité de l’entreprise. Bien que nous étant « vendu » comme expert en TIC, nous n’avions qu’une très faible visibilité de la manière dont nous pouvions contribuer aux diverses activités de cette entreprise. Nous avons toujours eu l’impression de correspondre aux canons du monde universitaire et donc peu intégrable, d’emblée, au monde du travail « traditionnel ». Cette phase d’assimilation s’est déroulée progressivement. Dans un premier temps, il nous avait été demandé de prendre connaissance des différents clients de Yellowcake et, plus particulièrement, de considérer la visibilité de ces derniers sur internet (Le Tram de l’agglomération brestoise, Quéguiner matériaux, Hénaff, la boutique Brest & vous, l’entreprise de production de légumes frais Prince de Bretagne, la société de construction de bateau E3H, la coopérative maraichère Savéol, etc.). Sur cette base, nous devions être en mesure de déterminer si ces entreprises avaient la possibilité de se développer sur le web 2.0. Dans les cas où de nouvelles possibilités de communication publicitaire s’offraient à ces clients, il était encore assez périlleux de les convaincre de développer un budget supplémentaire pour cette communication 2.0. Nous étions invité, occasionnellement, à participer aux réunions entre les dirigeants de Yellowcake et leurs clients afin de discuter de futurs projets. Toutefois, la majorité d’entre eux étaient réticents à cela. Ces formes de refus nous renvoyaient à la place que nous occupions au sein de l’entreprise, plus celle du sociologue en recueil perpétuel d’informations que celle d’expert en TIC promouvant les compétences de Yellowcake.

Lors de la phase de prise de connaissance de la visibilité numérique des clients de l’agence, nous nous arrêtâmes, en particulier, sur l’un d’entre eux : Hénaff. Cette entreprise se présente comme le « leader du marché français des pâtés en conserve » et jouit d’une forte visibilité et, plus particulièrement, d’une forte notoriété en Bretagne. Nos pérégrinations numériques nous

ont rapidement appris qu’il existait une page Facebook Hénaff2 disposant, à ce moment, de près de 40 000 fans Facebook. Suite à quelques discussions, nous avons découvert que cette page Facebook n’était pas administrée par l’entreprise Hénaff mais qu’elle avait été ouverte par un étudiant rennais, attaché au produit phare de la marque, le fameux pâté Hénaff et sa boîte bleu. La notoriété dont jouissait Hénaff sur Facebook, sans y être directement pour quelque chose, nous fit nous interroger sur la question de la visibilité sur les réseaux socionumériques et les pratiques – ou non-pratiques – mises en place afin d’y parvenir.

Lors de la formulation de la question de départ, nous cherchions à nous interroger sur la production de ces nouvelles formes de publicité sur le web « 2.0 » et ce que la multiplication des dispositifs relationnels, inhérente au développement du « web social », pouvait avoir comme conséquences sur cette production publicitaire. Nous cherchions à questionner ces phénomènes, non pas du côté des usagers, mais plutôt du côté des concepteurs. En prenant connaissance de la présence numérique d’Hénaff, de son image de marque et de sa notoriété sur Facebook, nous avons réévalué la pertinence de notre première question et nous nous sommes interrogés sur la réorientation possible de notre projet de recherche doctoral. Un vif et insatiable intérêt pour ce phénomène naissait. Le temps n’a fait que confirmer cette volonté de recadrage, engageant à une révision de l’objet d’étude, une reformulation de la question de départ, une réévaluation de la méthodologie à appliquer et des méthodes d’analyse. A contrario, notre intérêt pour les producteurs d’information publicitaire s’amoindrissait. Et, dans la continuité, la place que nous occupions au sein de Yellowcake perdait en pertinence.

Sur cette période, nous avions réussi à prendre contact avec l’entreprise Hénaff et l’étudiant qui administrait la page Facebook du même nom. L’idée de passer un questionnaire en ligne auprès de la population de fans Facebook Hénaff nous semblait cohérente avec notre nouvelle question de départ qui était de s’interroger sur la manière dont s’opère la mise en visibilité des acteurs, tant les acteurs individuels que les entreprises, dans le contexte d’usages de Facebook. Nous avions, par ailleurs, fait part, aux dirigeants de Yellowcake, de notre souhait de passer un questionnaire en ligne auprès de cette population. Nous désirions les entretenir sur notre démarche afin de maintenir un climat de relations amical, tout du moins pour ne pas leur donner l’impression que nous les évitions pour mener à bien notre recherche.