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Une présentation du dispositif sociotechnique Facebook

Chapitre V – Présentation du dispositif technique et de l’expérience des usagers

5.1. Une présentation du dispositif sociotechnique Facebook

Dans ce sous-chapitre, concernant la présentation de l’interface Facebook, ainsi que des différentes fonctionnalités dont ce site dispose, nous choisissons de ne pas entrer dans les détails. Premièrement, les évolutions rapides et multiples des différents outils mis à la disposition des usagers rendent cette présente observation partiellement caduque lors de sa lecture, compte tenu du décalage temporel entre son écriture et sa présentation. En second, la collection impressionnante d’applications dont Facebook fait étalage ne nous permet, en aucun cas, d’être exhaustif. Il nous importe de rappeler, en reprenant les propos de Jocelyn Lachance, que Facebook, en tant qu’appareil numérique, est « d’abord et avant tout un médiateur des interactions sociales produites entre pairs, mais aussi au sein de la famille » (Lachance, 2013 : 11).

Il est toujours difficile de donner une date de naissance précise lorsqu’il est question d’innovation ou d’amélioration technologique. Le cas d’internet est d’autant plus problématique puisqu’il est le fruit de constantes réévaluations, modifications ou transformations. Il ne s’agit pas d’un modèle de révolution par paliers, où le moment du changement est clairement visible. Il ne s’agit pas non plus d’inventions comme création de

nouveautés. Comment dans ces conditions dater l’arrivée du tout premier réseau socionumérique, alors que ce dernier ne possède pas de définition distincte et arrêtée ?

Pour autant, une majorité de spécialistes s’accordent pour désigner Sixdegrees.com4, lancé en 1997, comme le premier site défini comme réseau socionumérique (Boyd & Ellison, 2007 : 212). Ce dernier permettait déjà de créer un profil, de lister ses « amis », ainsi que de parcourir ce répertoire de relations. Ces fonctionnalités ne sont pas nouvelles sur internet mais Sixdegrees.com fut le premier à les regrouper. Même si ce site fermera quelques années plus tard, il n’en reste pas moins qu’il s’en est suivi un engouement, par des millions d’utilisateurs, pour ce modèle de sites. Cette demande massive a provoqué l’émergence d’une pluralité de réseaux socionumériques, pour des publics hétérogènes et à des fins diverses. Certains de ces sites sont destinés à un public le plus large possible, comme peut l’être Facebook, alors que d’autres s’adressent à des communautés de niche, comme le réseau socionumérique professionnel international LinkedIn. Les utilisateurs ne s’inscrivent pas pour les mêmes raisons sur un réseau socionumérique ou sur un autre. Les finalités d’usage peuvent très bien être d’ordre professionnel, de loisirs pour des rencontres amoureuses comme d’autres.

Nous proposons une rapide liste, non exhaustive, de réseaux socionumériques pour prendre connaissance des différents modèles existants. Une certaine catégorie de sites se focalisent sur des communautés particulières comme AsianAve5 (orienté vers les communautés asiatiques

aux États-Unis), MiGente6 (centré sur les communautés hispaniques) ou BlackPlanet7 (pour les afro-américains). En parallèle de ces derniers, d’autres sont géographiquement concentrés avec Cyworld8 (destiné aux sud-coréens), Orkut (principalement au Brésil, en Inde, en Iran et aux Etats-Unis) ou Hi59 (concentré sur l’Amérique centrale). LinkedIn10 et Viadeo11 sont deux réseaux socionumériques professionnels, anglophone pour le premier et francophone pour le second. Il en existe de toute sorte et pour des usages les plus variés. Famicity12 se focalise sur

4 http://sixdegrees.com, inaccessible en date du 5 mai 2014 5 http://www.asianave.com, consulté le 5 mai 2014 6 http://www.migente.com, consulté le 5 mai 2014 7 http://www.blackplanet.com, consulté le 5 mai 2014 8 http://cyworld.co.kr, inaccessible en date du 5 mai 2014 9 http://www.hi5.com, consulté le 5 mai 2014

10 https://www.linkedin.com, consulté le 5 mai 2014 11 http://www.viadeo.com, consulté le 5 mai 2014

les échanges familiaux et la généalogie ; Leminiréseau13 se veut être une plateforme d’échanges entre les élèves, les parents et les enseignants ; quant à Ask14, il est principalement basé sur un jeu de questions et de réponses entre amis. Nous terminerons ce bref panorama en citant quelques réseaux socionumériques des plus connus : la plateforme de microblogging

Twitter15, le site de promotion musicale Myspace16, le dispositif grand public Google+17 et le site d’hébergement et de partage de vidéos Youtube18.

Le début des années 2000 marque l’apparition d’un florilège de réseaux socionumériques. Et à partir de 2003, les évènements ont véritablement commencé à s’emballer. Une fraction va très vite disparaître, certains se sont maintenus difficilement et continuent de lutter pour se faire une place. D’autres, par contre, ont su développer un modèle économique autour de ce dispositif sociotechnique. Dans ce dernier cas de figure, il est surtout question de Facebook. Nous ne nous attarderons pas sur les ambitions de Facebook autour de l’économie comportementale dans ces présentes lignes. Nous y reviendrons plus en détails ultérieurement.

Ce succès a, de la même manière, vu l’émergence d’un florilège bigarré de réseaux socionumériques. Coupliz19 offre la possibilité de gérer le réseau de relations et les temporalités d’un couple. Zombie Affinity20 ne permet la rencontre, amicale ou amoureuse,

que de zombies, incarnés par les usagers. Line for Heaven21 est un réseau socionumérique

centré autour de la religion et permettant aux usagers de « sauvegarder leur âme et de réserver leur place au paradis en gagnant des points de karma »22. Comme dernier exemple, Stache

Passions23 est un réseau socionumérique regroupant des amateurs de moustaches.

Au-delà du caractère divertissant que peuvent arborer ces sites, il importe néanmoins de s'informer sur les proportions d'usagers dont chacun de ces réseaux socionumériques – les plus connus comme les plus insolites – disposent et de les re-contextualiser dans des usages

13 http://www.leminireseau.fr, consulté le 5 mai 2014 14 http://ask.fm, consulté le 5 mai 2014

15 https://twitter.com, consulté le 5 mai 2014 16 https://myspace.com, consulté le 5 mai 2014 17 https://plus.google.com, consulté le 5 mai 2014 18 http://www.youtube.com, consulté le 5 mai 2014 19 http://www.coupliz.com, consulté le 5 mai 2014

20 http://www.planrencontre.com/rencontre-zombie, consulté le 5 mai 2014 21 http://lineforheaven.com, consulté le 5 mai 2014

22 http://lineforheaven.com/about.php, consulté le 18 juin 2014 23 http://www.stachepassions.com, consulté le 5 mai 2014

d'internet plus généraux. Pour notre part, nous allons nous focaliser sur le réseau socionumérique Facebook. Au fur et à mesure de ces lignes, nous allons réduire notre focale afin de cerner au mieux la population d’enquête qui nous intéresse : les usagers français de Facebook. De fait, nous souhaiterions débuter notre rappel par quelques chiffres.

Selon la société de mesure de l’activité numérique ComScore, un peu moins de 12% (11,7%) du temps consacré à internet dans le monde le serait pour Facebook, devant l’ensemble des sites de Google (10,4%) et de Microsoft (10%), en février 2011 (ComScore, 2011). Cette explosion du temps consacré à Facebook n’est pas une donnée anodine et nous amène à penser qu’il s’est opéré et qu’il continue de s’opérer une révision des temporalités d’usages d’internet, peut-être même une révision des temporalités de vie en-dehors d’internet. C’est une sous-hypothèse que nous chercherons à valider par la suite, conjointement à une des hypothèses principales qui sous-tend l’idée qu’il s’opèrerait des modulations de la visibilité des informations personnelles de l’usager par la gestion de différents espaces d’exposition de soi sur Facebook. L’espace et le temps s’articuleraient conjointement quant à la pratique de mise en visibilité de soi sur Facebook.

Il est toutefois important de maintenir une certaine distance avec ce flot de données autour des réseaux socionumériques et d'internet, notamment lorsqu'il est question de la proportion de membres inscrits à Facebook. En progressant d'années en années, ce nombre s'est accru : 600 millions en 2010, 850 millions en 2011 et 1 milliards en 2012. Plus encore, selon le site de statistique Statista, Facebook comptait un peu plus de 1,23 milliards d’utilisateurs actifs à la fin de l’année 2013 (Statista, 2014). Toutefois, ces chiffres posent la question de la réelle activité de ces dits membres. Facebook définit des membres actifs comme des internautes qui « se sont connectés et ont réalisé une action sur leur compte dans les 30 derniers jours »24. Ce faible seuil d'activité explique ce taux impressionnant de membres, intégrant des usagers quasiment absents, occultant les internautes possédant plusieurs comptes et les profils ne représentant pas des personnes physiques comme par exemple les comptes développés pour des animaux.

La seconde mesure que nous présentons met en avant l’idée que, au mois de février 2014, Facebook était le troisième site le plus visité sur internet en France, avec plus de 27 millions d’utilisateurs uniques par mois, derrière Youtube et Google, et avec un peu moins de

9 millions de visiteurs uniques par jour (Médiamétrie, 2014 : 3). Tout comme la multitude d’usagers à travers le monde, les français n’ont pas échappés à l’engouement pour ce site.

Selon l’institut d’études Nielsen, en mai 2012, Facebook aurait compté 26 millions de membres actifs en France (Nielsen, 2013). Et lorsque nous regardons dans le détail cette population, du point de vue de certaines caractéristiques sociodémographiques, il apparaît des résultats intéressants (Socialbakers, 2014). Premièrement, il en ressort une quasi-équivalence entre les femmes (51%) et les hommes (49%) parmi les usages de Facebook. La répartition suivant l’âge se décline de la sorte : les 13-15 ans (6,5%), les 16-17 ans (6,5%), les 18-24 ans (23,8%), les 25-34 ans (26,6%), les 35-44 ans (17%), les 45-54 ans (10,9%), les 55-64 ans (6,5%) et les 65 ans et plus (4,3%). Les moins de 35 ans représentent la majorité des usagers de ce site (63,4 %), faisant de ce réseau socionumérique un outil de pratiques principalement juvéniles.

Bien que Facebook soit né dans un environnement et un contexte particulier, celui de Harvard et de ces élites académiques, il s'est très vite propagé à l'ensemble de la population, quelque soient les classes sociales dont les usagers sont issus. Nous ne pouvons aujourd’hui pas définir Facebook comme un outil de sociabilité d'élites. Nous entendons la sociabilité au sens de Georg Simmel comme une forme ludique de la socialisation. Par contre, il existe des réseaux socionumériques, destinés à des populations d'usagers restreintes, qui valorisent l'entre-soi entre personnes disposant de capitaux, principalement économiques, très élevés :

Asmallworld.net25 ou Snob.ru26, pour ne citer que deux exemples (Casilli, 2012). Contre cotisation annuelle de 105 dollars, le premier n’accepte de nouveaux usagers que sur recommandations par les membres. Le second concerne les populations aisées principalement russophones.

25 https://www.asmallworld.com, consulté le 5 mai 2014 26 http://www.snob.ru, consulté le 5 mai 2014