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4.3.2.2.1.2 Unités linguistiques françaises et matrice arabe

Pour ce qui est des unités françaises qui viennent se greffer sur un énoncé en arabe, nous avons noté la présence d’emprunts présentés sous deux types différents : le premier se rapporte à l’emprunt intégral, en cela que les mots français sont intégrés et adaptés tels quels par l’arabe, sans aucune modification. C’est le cas essentiellement des unités qui renvoient aux réalités techniques, scientifiques… tels que : boite de vitesse, carte mémoire, les filtres… qui n’existent pas dans la langue parlée d’origine. Mais le recours aux mots français peut intervenir également même si ceux-ci ont des termes correspondants dans la langue emprunteuse, l’arabe. Cela concerne des d’unités tels que des adjectifs, exemples :

(ADL57) :[] « nous pouvons parler » normal [r ] « notre langue ».

-des connecteurs logiques, exemple :

(NADA70) : [ :] « il ne veut pas » alors [r:] « moi, je ne sais pas ».

Le second type d’emprunt renvoie à l’emprunt partiel ou l’emprunt hybride. Il concerne toutes les unités qui ne sont adoptées que partiellement par la langue arabe. Celle-ci intègre une partie du mot français telle qu’elle la reçoit en remplaçant la deuxième partie par des éléments qui lui sont propres. Dans notre corpus, comme dans les pratiques des Maghrébins que nous avons observés, nous avons noté beaucoup de productions langagières où le locuteur recourt aux mots français en leur apportant des modifications phonétiques et syntaxiques. Nous constatons cela avec des exemples de mots comme  « croissant », nom masculin singulier, utilisé pour désigner la pâtisserie feuilletée ayant cette forme. En le réalisant en, avec le  roulé arabe et sans nasalisation de la voyelle, les locuteurs en modifient la catégorie grammaticale, du fait de sa finale en  qu’ils interprètent désormais comme un morphème du genre féminin, comme dans leur langue de base.

D’autres exemples relevés chez nos locuteurs comme (SOA64) qui réalise le mot  « numéro » par la forme] en modifiant toutes ses voyelles :  , ,   )

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et en redoublant le phonème] montrent que ces derniers, situés aux frontières de deux langues (le français et l’arabe) adaptent l’unité empruntée ( souvent du type lexical) aux spécificités de la langue de départ.

4.3.2.2.2. Distribution des unités linguistiques dans le cas de « mélange de

langues »

Comme il a été souligné plus haut, nous rappelons que le mélange des langues correspond à l’intrication de celles-ci au niveau d’une proposition ou d’une phrase de sorte qu’elles ne forment qu’une seule grammaire, rendant la reconnaissance de la langue matrice et de la langue insérée des plus malaisées. C’est essentiellement l’un des points qui le différencie des alternances codiques (code switching), et du code mixing où on peut distinguer clairement la dominance d’une langue sur l’autre.

Les locuteurs maghrébins enquêtés recourent massivement à ce mode de mélange de langues plus qu’ils ne le font pour les deux autres types de mixage linguistique, à savoir le code

switching et le code mixing. Dans la majorité des cas, pour exprimer une idée, le locuteur fait

appel à des unités linguistiques dans son répertoire de langues où l’arabe et le français semblent ne constituer qu’une « seule langue ». On assiste alors à des emplois avec des structures grammaticales autres que celles connues pour les deux langues, tenues séparément. Malgré les difficultés rencontrées pour l’analyse de ce type d’usages, nous essaierons de savoir comment se présente cette forme de discours mixte dans les usages effectifs observés.

En considérant une série d’exemples où le mélange des langues ne nous permet pas de savoir laquelle des structures grammaticales française ou arabe l’emporte dans les usages, nous avons noté la récurrence d’une structure phrastique où la distribution des unités linguistiques semble départager celles-ci au niveau des fonctions grammaticales. Ainsi, d’une manière générale, il apparaît que l’arabe fournit le sujet, le verbe, les prépositions, et parfois, le COI qui se présentent en début de phrase. Tandis que le français est utilisé en deuxième position pour exprimer le COD, le complément de lieu (CCL) et du temps (CCT) (souvent sans prépositions car celle-ci est donnée par la langue concurrente, l’arabe). Pour illustrer ce regard qui mérite d’être plus approfondi ultérieurement, nous présentons les exemples suivants :

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(SALA93) : « Je lui ai fait » une promesse. (KAIR59) :  « J’étais à le (au) » garage

(NADA70) :    « Tu seras ici en » fin d’année  « au mois de » mai ? (KAIR59) :   « Ils achètent de l’huile à la (maison) » Mercédès 17 € SANA : :  « On vient jusqu'au » goûter.

(HIC63) : : « Il m’a dit » dix sept heures.

(NADA70) :  « il les fait » dans la semaine. (IMA77) : : « elle me trouve » n’importe quelle excuse ! (KAIR59):  « J’avais » un problème de boite de vitesse. (NADA77) :  « Donne-lui » des exercices.

(NADA77):  « Elle m’a dit »  « Nous mettons » objectifs, tirets… (HIC63):   « Je l’ai passé à » un autre algérien.

(AZ76) :   « Elle commence depuis » neuf heures du matin.

Cette analyse linguistique souligne l’usage d’une variété du français clairement distincte du français standard chez les parents et membres communautaires que nous avons observés. Celle- ci est fortement influencée par les pratiques des pays d’origine au niveau prosodique (accent, intonation…), au niveau phonologique (allongement vocalique et prononciation différenciée de certaines voyelles et consonnes), au niveau lexical (emprunt et calque à partir de l’arabe) et au niveau morphosyntaxique (différence du fonctionnement des pronoms sujets/ personnels, absence de certains mots grammaticaux).

Par ailleurs, malgré la rareté des études nous aidant à faire la lumière sur le fonctionnement du mélange du français et de l’arabe dans les pratiques langagières examinées, nous pouvons souligner chez nos enquêtés l’émergence d’un véritable discours mixte, généralisé qui s’autonomise en abolissant toutes les frontières séparant les deux langues. Celui-ci se différencie des simples pratiques où le locuteur, en tant que parfait bilingue, alterne les deux langues (code switching). Emergeant des pratiques langagières, ici décrites, il agit pour eux comme un moyen de communication, en situation entre bilingues (français/ arabe).

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Cette description nous a permis d’avoir une idée relativement précise sur la réalité des usages linguistiques adoptés par les Maghrébins de Bordeaux, représentés par la catégorie des parents

et membres communautaires. Nous nous en servirons comme point de départ pour évaluer les

pratiques langagières des jeunes issus de la même communauté. Dans le prochain chapitre, à travers l’analyse du comportement linguistique de ces derniers, nous tenterons de comprendre comment, par le moyen de la langue, ils arrivent à symboliser leur adhésion à ce groupe de locuteurs (d’origine). De même que nous examinerons la manière dont ils s’inscrivent linguistiquement dans la société française (d’accueil). Cela, au moment même où par l’usage des même(s) langue(s) de partage, française et arabe, ils marquent la spécificité de leur situation particulière.

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CHAPITRE 5

LES PRATIQUES LANGAGIERES DES JEUNES ISSUS DE