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LES PRATIQUES LANGAGIERES DES PARENTS ET MEMBRES COMMUNAUTAIRES

4.1 ANALYSE LINGUISTIQUE DU FRANÇAIS

4.1.1.2.1. L’intonation en français

Les recherches sur l’intonation en français connaissent un grand essor depuis quelques années. Elles se développent aussi bien au plan physiologique (activité des cordes vocales et organes phonatoires) et acoustique (mesure physique de durée, d’intensité sonore et de fréquence) qu’au plan linguistique (recherche des traits distinctifs permettant de décrire l’intonation). Le français fait partie des langues qui possèdent plus d’un moyen pour transformer une déclaration en une question. En se basant sur l’écrit, il peut le réaliser par l’usage de la ponctuation en ajoutant le signe interrogatif ( ?) ou en faisant précéder la phrase par un adjectif interrogatif. A l’oral, cela se fait à l’aide de l’intonation, ce qui confirme la valeur de ce phénomène prosodique.

Pour Delattre (1966 : 3) l’intonation est une « notion subjective » qui se matérialise par les variations d’un certain nombre de traits acoustiques irréductibles : l’intensité, la durée et la fréquence fondamentale41 de la voix parlée. En examinant ce phénomène dans un ensemble de conversations, de pièces de théâtre et de conférences en langue française, l’auteur en dégage dix intonations de base qu’il présente selon les noms suivants : la finalité, la continuation majeure, la continuation mineure, l’implication, le commandement sont regroupés au niveau des modalités déclaratives ; la question, l’interrogation se rapportent aux modalités interrogatives ; la parenthèse, l’écho expriment les modalités parenthétiques et l’exclamation la modalité exclamative.

41 La fréquence fondamentale ou fréquence laryngienne (notée F0) est une notion fondamentale dans la

perception de l’intonation. Elle représente la fréquence de vibration des cordes vocales. Son estimation est liée à la localisation de portions voisées sur le signal de la parole, les sons non voisés ayant une fréquence nulle.

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En français, l’intonation change en fonction des modalités des phrases produites par le locuteur. Pour représenter schématiquement cette variation, la notation s’adapte à l’analyse suivie. On dispose de la courbe brute rendue par les appareils. C’est la plus complète du fait qu’elle représente toutes les parties voisées. Mais elle présente quelques difficultés au niveau de son interprétation. C’est pourquoi, on utilise communément la forme des courbes, les différences de niveau, etc. Dans le cas d’une phrase déclarative, le français, utilise une intonation montante pour la première partie de l’énoncé (le locuteur annonçant quelque chose suscite la curiosité ou l’attente chez son interlocuteur). La deuxième partie de la phrase, apportant une réponse ou une conclusion, est accompagnée d’une intonation descendante et l’énoncé assertif présente une courbe en « cloche » montante-descendante. C’est le cas par exemple d’une phrase comme : « Quand je suis arrivé , il était parti ». Une intonation montante en français est le signe de l’interrogation, ex : « Tu voyages demain ? ». L’intonation haute qui le demeure est le signe de l’impératif, ex : « Viens ici tout de suite ! ». L’intonation produite avec une certaine emphase (longueur et accentuation) sur le dernier mot traduit l’exclamation, ex : « Comme il est beau !! ». Enfin, la modalité parenthétique renvoyant à un mot comme monsieur dans cet exemple : « Je suis tout à fait d’accord, monsieur » est représentée schématiquement par une ligne plate.

4.1.1.2.2. L’intonation en arabe

En arabe, comparativement aux langues européennes, il y a très peu de travaux sur le phénomène de l’intonation. La description des courbes intonatives telles qu’elles sont dégagées pour le français parlé ordinairement y est, à notre connaissance, très peu développée. Celle qui est faite par Kouloughli (1994 : 48) concernant la seule variété écrite ne repose pas sur une méthode scientifique rigoureuse. Très synthétique, elle présente des contours intonatifs de l’arabe identiques à ceux décrits en français. En effet, l’intonation d’une phrase interrogative est présentée en tant que « progressivement descendante » si l’énoncé contient un pronom interrogatif. Dans le cas d’une phrase impérative, pour cet auteur « l’intonation impérative commence sur une note moyennement élevé et descend brutalement ». Le même constat est observé au niveau de l’intonation exclamative qui, pour lui « commence sur une note nettement élevée et descend de façon brutale ».

Les seules recherches empiriques qui existent sur l’intonation arabe sont élaborées au niveau du traitement automatique de la prosodie au niveau de l’écrit. L’un de ces travaux qui a suscité un vif intérêt dans les années 90 est le MIR (Modèle Intonatif de Rabat), développé à la Faculté

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des Sciences de Rabat (Maroc). Il a inspiré les récents travaux sur la génération de la prosodie développés à l’ENSEIRB (Ecole Nationale Supérieure d’Electronique, d’Informatique et de Radiocommunications de Bordeaux). En soulignant les limites de ce modèle, Baloul (2003) en dégage quelques conclusions dont nous retenons les éléments suivants : L’analyse de la génération du contour intonatif d’une phrase arabe s’appréhende en relation avec celle des mots qui la constituent. Au niveau du mot, le contour mélodique se compose de deux segments linéaires : le premier, montant, allant de la première syllabe jusqu’à la syllabe accentuée et le second, descendant, allant de la syllabe accentuée jusqu’à la dernière syllabe. Au niveau de la phrase, le contour mélodique est constitué par l’assemblage des contours de chaque mot. D’après cet auteur qui a travaillé sur plusieurs recherches relatives à l’intonation en l’arabe, celles-ci appréhendent ce phénomène en relation avec l’accent lexical. Il souligne (p : 98) que « la structure intonative d’une phrase est alors dérivée à partir de la description accentuelle des mots qui la composent. Le niveau des accents lexicaux (hauteur de F0) est corrélé à la modalité de la phrase, d’une part et selon les auteurs, à la structure syntaxique de l’énoncé [Raj89] ou à la position des syllabes accentuée dans la phrase, d’autre part [Zak00a] [Bal02b]». En dehors de ces recherches spécialisées dans le traitement informatique de la prosodie et l’intonation arabes, effectuées en particulier sur la langue écrite, nous n’avons pas trouvé d’études empiriques liées à ce domaine. Notre but dans cette étude est de savoir ce qui se passe au niveau intonatif quand un Maghrébin de ceux qui intéressent cette étude parle en français. En réalisant ses énoncés au quotidien, celui-ci parvient-il à adapter sa structure intonative à celle du pays d’accueil ? Quels sont les traits intonatifs qui distinguent ses pratiques langagières francisées de ceux produits en français, langue commune ?

Pour apporter des réponses précises à ces questions, l’idéal serait de soumettre nos données à un examen rigoureux au niveau acoustique nous permettant d’enregistrer tous les phénomènes physiques produits par les locuteurs observés au moment de la réalisation de leurs messages. Faute de moyens et d’orientation scientifique, notre analyse de l’intonation s’appuie exclusivement sur les seules perceptions auditives que nous avons pu noter lors de leur observation. Nous avons donc opté pour l’analyse de ce phénomène à partir de la manière dont ils produisent leurs phrases déclaratives. Ce choix se justifie par le fait que celles-ci se présentent en nombre plus élevé par rapport aux autres types de phrases et aussi parce qu’à ce niveau, nous avons constaté des usages récurrents et différenciés par rapport à ce qui se produit en français standard. Pour souligner la réalisation de ce trait prosodique chez ces locuteurs, nous représentons l’intonation montante par la flèche montante () et l’intonation

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descendante par la flèche descendante ( ) aux endroits même où nous les avons perçues.

4.1.1.2.3. L’intonation dans les pratiques langagières des enquêtés

L’examen du français parlé par nos locuteurs souligne quelques irrégularités au niveau de l’intonation de la phrase déclarative par rapport à celle du français standard. Dans cette langue, les syllabes tendent à se présenter d’une même durée pour former des groupes rythmiques déterminés par des contraintes syntaxiques, sémantiques…L’achèvement de chaque groupe rythmique se traduit par une accentuation suivie d’une pause (brève ou longue) représentée à l’écrit par une virgule ou un point.

Comme nous l’avons souligné plus haut, l’intonation de la phrase déclarative française présente une courbe mélodique en « cloche » montante-descendante. Or, dans les différents exemples que nous avons relevés chez nos locuteurs, en particulier chez (AZ76), nous avons constaté une différence quant à la réalisation de l’intonation au niveau de la deuxième partie de l’énoncé. En effet, concernant les trois phrases : « Elle est portugaise », « Elle respecte » et « C’est elle qui va lui chercher tout ce qu’il veut !  », là où on s’attendait à une baisse progressive de la tonalité, car de point de vue syntaxique, ces phrases achevées devaient être marquées, chacune, par une pause longue (avec intonation descendante), nous avons relevé une intonation montante, qui l’est demeurée, donnant l’impression que le locuteur n’a pas encore fini son message. Tout en gardant cette intonation, celui-ci enchaine son propos avec la phrase suivante et l’intonation descendante n’arrive qu’au bout de plusieurs groupes rythmiques ou en fin de discours. Si le même phénomène a été constaté au niveau de la troisième phrase « C’est elle qui va chercher chez le boucher arabe, [ « la viande » , nous relevons que l’intonation montante, de façon très marquée vers la fin de la phrase est descendue subitement à l’émission du mot arabe final [ « la viande ». Par ailleurs, sa dernière phrase : « Elle est respectueuse de la religion de mon fils. » souligne une intonation descendante au niveau de la fin de la phrase, mais aussi à son milieu là où devait se dessiner la courbe mélodique en « cloche »

Le même phénomène concernant l’usage de l’intonation montante à la place de l’intonation descendante en fin de phrases déclaratives est observé chez (FAD52) à travers son exemple : Elle était mouillée. Elle était petite.. Parfois même, il arrive que l’intonation ne baisse qu’en fin du discours. C’est le cas que nous avons souligné à partir de l’observation des phrases

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déclaratives relevées chez (FAT 65). Nous présentons ces exemples, qui à notre point de vue, illustrent des usages partagés dans cette catégorie de locuteurs :

(AZ76): Elle est portugaise. Et il (elle) respe :cte ! C’est elle qui va chercher chez le boucher arabe, [ ! «la viande » .C’est elle qui va lui chercher tout ce qu’il veut ! Elle est respectueuse de la religion de mon fils.

(FAD 52) : Elle était mouillée. Elle était petite..

(FAT65) : Honnêtementmoi, quand je vois des Ara:beset des Maghrébins, qui ne maîtrisent pas, je suis gênée. Je suis gênée pour eux et aussi pour moiparce que forcément, on associe ces personnes-ci à...  Les gens ont tendance à mettre tout le monde dans le même bac. 

L’observation de l’intonation française dans la catégorie des locuteurs observée révèle certains écarts de réalisation en comparaison à celle produite en français hexagonal. Ce trait caractéristique de ce groupe, sans doute mieux perçu par une oreille native, peut être sujet de discrimination linguistique pour ces usagers. A ce propos, Rossi (1999) nous informe que ce trait prosodique s’avère encore plus important à examiner que l’accent. Ce dernier, envisagé comme un facteur psychologique de relief, produit par l’effet des paramètres physiques comme la durée et l’intensité, ne permet pas, selon lui, de décrire correctement des variations d’usages, en l’occurrence dans un groupe de locuteurs comme celui que nous observons :

« Effectivement, prononcez correctement les consonnes et les voyelles d’une langue étrangère, placez même l’accent là où il faut, si vous n’avez pas l’intonation dans cette langue, vous serez immédiatement pris pour un étranger ; mais si vous en possédez l’intonation, pour l’oreille d’un natif vous serez un autochtone de pure souche, malgré par ailleurs votre mauvaise prononciation qui sera attribuée à une origine provinciale ; c’est dire l’importance de l’intonation qui est l’une des premières structures linguistiques acquises dès l’enfance.42

».