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LE LANGAGE DES JEUNES ISSUS DE L’IMMIGRATION MAGHREBINE: UN OBJET DE RECHERCHE

1.2. D’AUTRES FACTEURS A PRENDRE EN COMPTE

1.2.1. LA SITUATION MIGRATOIRE DES MAGHREBINS EN FRANCE

L’étude linguistique et sociolinguistique que nous présentons sur les pratiques langagières des jeunes se situe dans une situation d’exil en France. L’objet n’est pas ici de reconstituer toute l’histoire de l’immigration maghrébine dans ce pays. Cependant, il nous semble important d’interroger certains faits liés à ce phénomène pour comprendre la situation dans laquelle ces pratiques langagières se développent et évoluent. L’immigration en France commence à la moitié du XIXe siècle. Elle concernait tous les étrangers venus s’installer en France de Belgique, d’Espagne, d’Italie, de Suisse, de Pologne entre 1851 et 1931. Le Moine et Lebon ( 1986 : 5) la considèrent comme « un phénomène naturel et de voisinage facilité par l’identité des tempéraments et de modes de vie entre français et étrangers vivant de part et d’autres de frontières incertaines. » A partir des années cinquante, le nombre des immigrés

augmentait par des nationalités différentes, parmi lesquelles les Algériens, entre 1950 et 1955, seront suivis par des Marocains et des Tunisiens.

Les premières causes de l’immigration maghrébine sont d’ordre économique et démographique. Au lendemain de la première guerre mondiale (entre 1921 et 1931), la France connaît une progression constante au niveau des entrées des étrangers sur son sol. Cela a favorisé un transfert significatif du secteur agricole vers le secteur industriel qui a doublé sa production. C’est à ce moment là que se confirme le besoin d’une main d’œuvre étrangère originaire des colonies (dont le Maghreb). Mais la grande vague d’immigration commence véritablement après la seconde guerre mondiale. L’office national de l’immigration (ONI) créé en 1945 organise des entrées des travailleurs venus, entre autres, de l’Afrique du nord.

En ce qui concerne la région d’Aquitaine, selon les statistiques de l’I.N.S.E.E4, la part d’immigrés dans la population est relativement modeste puisque ces derniers représentent moins de 4% de la population immigrée de l’Hexagone, soit moins que la moyenne française à 7,4%. La population des étrangers qui vivent en Aquitaine compte quelque 106 700 personnes regroupant en tant que tels 91 500 immigrés qui ont gardé leur nationalité d’origine de même que les 15 200 personnes nées en France, mais de nationalité étrangère.

En 1999, les immigrés en provenance des pays européens vers l’Aquitaine comptent le

nombre le plus important puisque près d’un immigré sur deux vient d’un pays latin. Ils sont

4 Pour cette étude, nous nous sommes référée aux statistiques de l’I.N.S.E.E. de 2009, publiées sur le site :

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environ 100 600 personnes, soit 63,5% du total national sur une moyenne de 44,3%. Ceux qui viennent du « bloc latin » (principalement d’Espagne, du Portugal puis d’Italie) issus de vagues d’immigration anciennes regroupent 77 600 personnes. Mais la population d’origine maghrébine, avec 34 000 personnes, soit 21,5% du total des immigrés dans cette zone a sensiblement augmenté ces dernières années. D’après la même source, entre 1975 et 1999, les chiffres indiquent une forte augmentation à plus 84, 5% des immigrés Maghrébins dont les deux tiers sont nés au Maroc. Les immigrés originaires d’Afrique (hors le Maghreb) sont relativement peu nombreux sur l’Aquitaine à 6% du total à 8 800 personnes. Ceux originaires d’Asie (y compris de Turquie) ne comptent pas plus de 10 400 personnes.

L’immigration en Aquitaine, comme partout en France a été liée au flux de travailleurs permanents. Au milieu des années 1970, après la suspension officielle de l’immigration de main-d’œuvre, la politique du regroupement familial a entrainé une féminisation de l’immigration qui fait que 47, 5% des immigrés aquitains étaient des femmes contre 44% pour la France qui passent à 52% en 1999. Les chiffres de 2009 que nous présentons dans le graphique 1 suivant indiquent cette augmentation qui est due essentiellement au nombre des femmes. De même qu’ils révèlent une forte présence des Maghrébins, majoritairement des Marocains, qui viennent après les Britanniques, nettement en tête de toutes les nationalités5.

Graphique n° 1

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La même source indique que huit nationalités regroupent plus de la moitié des immigrés en région

d’Aquitaine : les britanniques nettement en tête, suivis des Marocains et des Portugais. Viennent ensuite les Espagnols, des Algériens, des Belges, des Turcs…

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La première vague d’immigrés Maghrébins en France était essentiellement constituée de travailleurs peu qualifiés. Concernant la ville de Bordeaux, nous n’avons ni données ni statistiques concernant cette vague d’immigration à caractère économique et durable. C’est pourquoi, nous nous rapportons aux affirmations de Harrami (2000 : 26) qui, pour ce qui est du lieu de provenance des Marocains, a noté une forte proportion de migrants issus de la région atlantique du nord-ouest marocain vers la région bordelaise. Selon lui, cette immigration qui a débuté dans les années 60 et le début des 70 est « étroitement liée à la concentration du tiers des domaines agricoles coloniaux dans cette même zone. Et au fur et à mesure de la marocanisation de ces terres, de nombreux ouvriers ont suivi leurs employeurs. Cela a facilité l’introduction d’autres travailleurs de la même région puisque les premiers arrivants ont servi de guides aux recruteurs ».

Par ailleurs, nous avons relevé une autre provenance des immigrés marocains vers le sud-ouest du département de la Dordogne. Philippe Roudie (1987 : 77) qui y a recensé 71 contrats de travail saisonnier dans une société d’intérêt collectif agricole (SICA) en 1980 souligne que « tous sauf un dépendent du même employeur, [que] le fait le plus remarquable tient cependant à la grande homogénéité de leur origine puisqu’ils viennent tous de la province de Marrakech et d’une douzaine seulement de localités différentes ». C’est de cette façon que desnoyaux familiaux (issus des provinces de Sidi Slimane, de Meknès, province de Marrakech…) se sont constitués dans la C.U.B (Libourne, le Médoc, Agen…) pour travailler dans les vignobles et l’agriculture.

D’un point de vue linguistique, ces migrants qui sont arrivés avec la langue arabe (ou/ et la langue berbère) comme langue(s) d’origine, qui travaillaient souvent entre eux dans un domaine où ils n’avaient pas nécessairement besoin d’apprendre (ou de perfectionner l’usage de) la langue française continuaient à parler leur langue de base. Dans le cadre de notre enquête, nous avons rencontré quelques unes de ces familles et beaucoup de jeunes qui ont grandi dans ce contexte et qui vivent aujourd’hui à Bordeaux. Nous verrons comment leur milieu familial a influencé leurs pratiques langagières quotidiennes.

Mais la nature et les raisons de l’immigration en provenance du Maghreb ont sensiblement changé depuis une vingtaine d’années. Elle ne se limite plus à une seule catégorie socioprofessionnelle « ouvrier ». En effet, à partir des années 80, parallèlement à cette immigration économique, la France connaît l’établissement de nouveaux immigrés maghrébins, urbains, constitués d’étudiants qui, en général, s’y sont installés après y avoir fini

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leurs études (notamment des ingénieurs, des informaticiens, des personnes qualifiées, des cadres...).

Nous notons par ailleurs les mouvements de flux migratoire des années 90, suite aux problèmes survenus en Algérie 6 qui ont contraint beaucoup de fonctionnaires, cadres, journalistes…à quitter leur pays pour la France. Cette immigration d’un niveau socioculturel favorisé, quoique minoritaire et pas encore étudiée comme phénomène à part, souligne la diversité des parcours migratoires des Maghrébins dans ce pays. Elle devrait être examinée pour nous permettre de voir en quoi sa spécificité influence les pratiques langagières des jeunes locuteurs que nous observons. Il s’agira donc de reconsidérer celles-ci en rapport avec la situation socioéconomique et culturelle de leurs usagers à partir de ces changements qui ont eu lieu sur le terrain.