• Aucun résultat trouvé

5.3.1.1.1 Emprunt à la langue tsigane

5.3.2. LES PROCEDES FORMELS DE CREATION SEMANTIQUE

Si les procédés sémantiques de formation lexicale agissent sur le sens des unités linguistiques, les procédés formels consistent, eux, à modifier la signification de celles-ci en procédant à leur déformation structurelle (graphique et phonétique). Ils jouent un rôle prépondérant dans la créativité lexicale, mise à l’œuvre par les jeunes locuteurs, principaux innovants de la langue. Ces derniers matérialisent le choix de ces procédés formels de création de nouvelles unités lexicales en recourant à tous types de déformation linguistique : le verlan, la reverlanisation, l’usage de la troncation (apocope, aphérèse), etc. Nous verrons comment les jeunes issus de l’immigration maghrébine usent de ces procédés formels dans leurs usages francisés et spontanés de tous les jours.

5.3.2. 1. Le verlan

Le mot verlan vient de la verlanisation de l’envers par inversion des deux syllabes (vers/

l’en) contenues dans l’expression. La graphie verlen existe57

mais celle qui a su s’imposer avec force est verlan. Le verlan est alors considéré comme une forme d’argot dont l’usage ou la création sont attribués aux classes populaires et aussi aux catégories des jeunes, d’origines immigrées, évoluant dans les banlieues parisiennes. Cependant, il est à souligner que le verlan qui n’est ni une création récente ni une forme de pratiques langagières exclusives aux jeunes de cette origine, s’inscrit dans une tradition fort ancienne. Si on se rapporte à L.J Calvet, (1999 : 60), déjà au XVIe siècle, (1585) un Bourbon est désigné par Bonbour, au XVIII e siècle, Louis

XV par Sequinzouil (1760) et le bagne de Toulon par Lontou à la première moitié du XIX e

siècle. Délaissé dans les années trente, il ne réapparaîtra que quarante ans plus tard, durant les années soixante dix.

Mais, il semblerait que le verlan, très présent dans les banlieues depuis les années 1990 et aussi utilisé par « des jeunes de situation sociale plus aisée, […] les lycéens des beaux quartiers » (Calvet 1999 : 60), ne concernait que quelques déformations de mots isolés, encore de manière très limitée. Aujourd’hui, il redevient le parler à la mode des jeunes locuteurs qui l’utilisent dans leurs échanges comme moyen pour se démarquer des générations plus âgées ou pour en exclure de la compréhension les non initiés. Il se présente ainsi comme un véritable

57 Lire l’article d’Auguste le Breton, dans le monde 8-9 déc. 1985 « Le verlen, c’est nous qui l’avons crée avec

194

marqueur social, particulièrement pour les adolescents des banlieues, désignés comme étant les verlanisateurs les plus dynamiques et productifs. De ce fait, ce procédé de création lexicale favorisé par les jeunes de France est appréhendé par certains chercheurs différemment, selon la catégorie de ses usagers. A ce sujet, Méla (1997 : 17) désigne deux types de verlan :

« Le verlan ludique selon l’expression de Bachmann (1984) utilisés par les lycéens parisiens et le verlan des cités de banlieue. Le type de lexique dépend évidement du registre utilisé et du contenu du discours. Les collégiens appliquent le codage à un vocabulaire plutôt standard tandis que le verlan de banlieue s’applique à des domaines privilégiés tels que la bagarre, la drogue, le sexe et les relations inter-ethniques et le vocabulaire de départ est plutôt argotique. »

En nous basant sur ces faits, nous pouvons observer que ce procédé utilisé en banlieue n’est pas spécifique aux mots argotiques puisqu’il concerne des unités courantes dans la langue circulante. De même que beaucoup d’unités lexicales qui renvoient au verlan dit « de cité » pénètrent dans la langue commune du fait de son usage généralisé et étendu à d’autres groupes de la société. Nous pouvons le constater avec beur dans les années quatre- vingts ou encore aujourd’hui avec meuf, keuf, ouf, keum, zarbi…dont certains figurent dans les dictionnaires récents. D’où, le besoin permanent des jeunes de renouveler leurs constructions verlanisées, dont la fonction principale est le cryptage du message.

Le verlan est l’un des procédés formels les plus dynamiques pour enrichir la langue. Utilisé par les jeunes d’origine maghrébine comme pour le reste des jeunes de France, c’est une forme de création lexicale qui fait appel à l’inversion des syllabes contenues dans les unités employées. Mais cette opération qui peut paraître relativement facile en inversant des syllabes, est en réalité une technique plus efficace, un jeu de codage de la langue dont certains pensent que c’est la manifestation d’une compétence linguistique. Cela dans le sens où comme le font remarquer Basier et Bachmann (1984)58 « ses locuteurs n’ont pas à leur disposition la simple capacité d’exercer leur virtuosité langagière. […] En effet, l’habileté de codage ne peut être dissociée d’autres compétences »,

Pour garantir l’herméticité de leur langage, les jeunes appliquent des règles de base facilement assimilables par les non-initiés. Mais comme l’a bien constaté Méla (1997 : 33) « par le biais de la reverlanisation, par le jeu d’escamotage de certaines voyelles pour réduire ou

58

Le verlan : argot d’école ou langue des keums ? Luc Basier et Christian Bachmann

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mots_0243-6450_1984_num_8_1_1145 http://ffll.ut.ac.ir/fileMag/p-53-French1388.pdf

195

augmenter le nombre de syllabes du mot du départ, par le biais de la troncation, les pistes sont aisément brouillées et l’interlocuteur qui croyait avoir compris le jeu se trouve aisément égaré ». Il apparaît donc, comme Labov (1960) l’avait souligné en s’intéressant au langage des jeunes new-yorkais du Bronx et de Harlem (le slang) que ces créations, loin d’être une déformation ou un appauvrissement de la langue courante, en l’occurrence ici le français, attestent d’une variation de cette langue et d’un changement linguistique aussi cohérent que nécessaire à son maintien et à son évolution.

Les constructions verlanisées telles qu’elles sont décrites par Méla (1991, 1997), Goudaillier (1997)… montrent que le phénomène du verlan touche le plus souvent les monosyllabiques, les dissyllabiques et plus rarement les trisyllabiques. Leur analyse part d’une construction basée essentiellement sur la simple inversion des syllabes, contenues dans les unités linguistiques de départ. Certains chercheurs comme Plénat (1995 : 79) soulèvent les limites d’une telle approche du fait qu’elle « laisse inexpliquées un grand nombre de particularités qui accompagnent régulièrement ce que le sens commun analyse comme une simple interversion ». Malgré l’inefficacité soulignée de cette méthode, nous l’adopterons néanmoins pour sa simplification et sa pratique commune. De même que notre objectif ne consiste pas à faire une étude complète et approfondie de ce phénomène, mais d’indiquer les principales généralisations qui se dégagent de ce procédé utilisé par les jeunes que nous ciblons. Nous verrons comment ces derniers codent leur langage en fonction du nombre de syllabes contenues dans les unités linguistiques utilisées et si cela distingue leurs pratiques de celles relevées chez d’autres locuteurs français de leur âge.