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Selon un angle sociologique, Goffman (1974) envisage les rencontres entre individus en tant que lieu où se pratiquent des conventions sociales symboliques. Sa réflexion accorde une place majeure aux concepts d’interaction et au respect de la face. Dès lors, par un processus qui révèle un ordre normatif bien incorporé dans la vie sociale, l’interaction en face à face est posée comme une scène théâtrale où l’individu retrouve un personnage et un rôle parmi les personnes en présence.

Alors, l’interaction, moment d’une rencontre sociale ne se réduit pas à un échange

formel de mots, de gestes et de jeux de regards entre les interactants. Mais elle se définit par sa dynamique productive dans la mesure où elle est une recherche permanente de créer et de (re)négocier son image en situation. Du point de vue goffmanien, ce sont ces comportements, ces calculs et ces régularités qui fixent l’ordre des choses et nous permettent d’interpréter la réalité telle qu’elle est créée par des acteurs sociaux qui participent activement à « la construction inachevée du monde ».

L’émergence de la sociolinguistique aux Etats unis des années soixante et la prise en compte de la dimension sociale, culturelle et situationnelle dans l’analyse linguistique impliquait qu’on s’intéresse aux phénomènes communicatifs. Dans ce champ d’investigation se distinguent Hymes et Gumperz (1972) par la contribution la plus importante de l’époque, l’ethnographie de la communication. Celle-ci, une théorie, à la croisée de l’ethnologie et de la linguistique se base sur l’observation des pratiques communicatives pour définir le rôle social de la parole dans diverses sociétés ainsi que les normes socioculturelles qui les régissent. Reliant systématiquement le langage au contexte dans lequel il est émis, cette discipline naissante suggère le concept de compétences de

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locuteur (avec le savoir linguistique) pour mener à bien un échange communicatif avec autrui. Nous reviendrons sur cette notion dans la partie sociolinguistique.

Dans cette perspective, l’acte de langage est envisagé en tant qu’interaction sociale dont l’approche ne peut se concevoir sans une mise en relation avec ses contextes sociaux de production. Cette conception de l’usage des langues au quotidien a permis l’élaboration des méthodes susceptibles d’analyser les fonctions sociales de la communication. En effet, c’est pour une meilleure compréhension des phénomènes de la communicatifs que Hymes (1972) établit son modèle SPEAKING qui fait état des principaux éléments qui composent tout échange communicatif. Il propose huit entrées suivant l’ordre des termes en anglais ; SPEAKING. Ainsi, (Setting) : désigne les cadres spatio-temporel et psychologique de la communication ; (Participants) : sont les parties qui participent à l’action (locuteur, destinataire, personnes présentes…) ; (Ends) : définit

les finalités de l’activité de communication ; (Actes) : examine le contenu du message ;

( key) : désigne la tonalité et réfère aux formes des discours ; (Instrumentalities) : les

instruments correspondent aux canaux de la communication et à leurs codes

correspondants ; (Norms) : sont les normes qui régissent l’interaction et l’interprétation des sens voulus par les participants ; (Genre) : le genre indique la nature et le type de l’activité de langage examinée.

Afin de comprendre le processus interactif de la communication quotidienne, Gumperz (1989) met en avant l’engagement (tacite) des interactants et leur participation active à la construction du sens (inféré) lors de l’échange langagier. Cet objectif communicationnel ne peut être satisfait que s’ils partagent des règles sociales, des présupposés culturels, des croyances…leur permettant de disposer d’un schéma interprétatif sous-jacent nécessaire à une interprétation appropriée des actes de parole. Ces présupposés socioculturels qui sont soulignés par ce qu’il nomme indices de

contextualisation (l’intonation, les pauses, le choix d’un code ou d’une langue parmi

d’autres, les hésitations …) fonctionnent comme moyen d’évaluation de la signification du message, lié au contexte immédiat de sa production ainsi qu’à l’identité individuelle des interactants et leurs rapports interpersonnels.

En effet, en adoptant une approche interactionnelle interprétative de la conversation, Gumperz met particulièrement l’accent sur « l’auditeur interprétant » du message par rapport à son émetteur aussi important soit-il. Il nous présente les choix verbaux et non verbaux des locuteurs comme reflétant des stratégies de communication par lesquelles ces derniers

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négocient leurs interprétations. La signification du message n’est donc pas donnée d’emblée, mais obéit à des négociations de la part des interactants pour pouvoir inférer leurs intentions respectives. La notion d’inférence conversationnelle qu’il propose rend compte de ce processus d’interprétation qui ne peut se concevoir en dehors du contexte social de l’interaction en cours.

L’approche française, depuis les années 70 et particulièrement depuis ces vingt dernières

années, a permis un foisonnement de travaux théoriques et descriptifs portant sur des échanges discursifs en situation (dialogues, conversation…). Ceci en cherchant à caractériser en termes d’ « interactions » les principes de ces échanges. Le modèle suisse développé par Roulet et son équipe (1987) rend compte du fonctionnement du discours en dégageant sa structure et des liens entre les divers énoncés qui le composent. Les principes auxquels il fait appel permettent de comprendre ce modèle qui conçoit le discours en tant que

négociation permanente entre les interactants.

L’intérêt de Kerbrat-Orecchioni pour l’analyse des (co)activités langagières et des modes de relation entre locuteur et destinataire inscrit ses travaux dans le cadre de l’analyse du discours et du champ interactif de la langue. L’acte conversationnel, structuré en séquences distinctes (échanges rituels, tours de parole…) est perçu comme le lieu d’évaluation des relations interpersonnelles et de la compétence communicative qui, en plus de la maîtrise du para-verbal et du non verbal, induit celle des règles d’alternance et de politesse qui font partie intégrante de cette compétence élargie.

Cette nouvelle analyse de l’échange langagier s’établit sur la notion de validation

interlocutive qui intègre au flux parolier des signes acoustiques et mimogestuels nécessaires

au maintien et à l’orientation du cours de l’interaction. A cet effet, le locuteur émet des signes verbaux ou non verbaux. De même, le destinataire répond par des régulateurs du type (« je vois », « d’accord ») et par des signaux para-verbaux pour souligner sa coopération active à l’interaction. Dans son approche interactionnelle, Kerbrat-Orecchioni (1990 : 17) part du fait que « parler c’est échanger, et c’est changer en échangeant ». Elle pose ainsi que dans la conversation et par une influence mutuelle on change les autres et on change soi-même sous l'action des autres car "parler, c'est inter-agir" (Gumperz, 1989 : 5). L’analyse conversationnelle envisage la conversation comme une interaction et un moyen de changer certaines données du réel.

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A partir de l’exposition de ces différents courants de recherche, on voit bien que l’acte langagier est conçu comme une activité d’interaction sociale qui ne peut se comprendre en dehors de ses contextes d’utilisation. Pour être efficace, toute approche du langage suppose nécessairement son examen au niveau matériel et aussi la prise en compte du contexte de sa production. Les pratiques langagières des jeunes issus de l’immigration maghrébine de Bordeaux que nous étudierons seront ici interprétées en fonction de la situation de leur production. Nous les appréhenderons en tant que communication sociale entre les interactants. L’intérêt sera porté également sur la façon dont ces locuteurs adoptent des stratégies communicatives qu’ils adaptent à la situation d’échange langagier, à leur auditoire (de la même origine ou d’origine différente) pour les comprendre ou se faire comprendre d’eux- mêmes. Ainsi, en nous inspirant particulièrement de l’analyse de Gumperz et de Hymes nous montrerons la façon dont ces jeunes manifestent le respect des règles linguistiques et communicatives dans leurs interactions au quotidien et aussi comment à travers ce respect (ou des écarts) ils communiquent leur situation sociale.