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Partie I. Revue de la littérature 29!

Section 2. La construction de la Théorie de la Pratique Sociale 73!

5. Une tentative de synthèse par Reckwitz 91!

En se basant sur les théories de Bourdieu, Giddens et Schatzki, Reckwitz (2002) propose une construction purement théorique de la pratique. Son apport demeure néanmoins modeste ; il propose une synthèse des éléments constitutifs de la pratique. L’auteur considère cette théorie comme le point de départ d’un courant de recherches, laissant entrevoir des challenges lors de sa transposition dans la recherche empirique. Il est en effet difficilement concevable d’atteindre un degré de compréhension partagé de la pratique, sous-tendant des compréhensions, des procédures et des engagements uniformes (Warde, 2005).

Reckwitz (2002, p. 249) souligne non pas une, deux ou trois dimensions à la pratique, mais sept. « La pratique (Praktik) est un type de comportement routinier qui est composé de

plusieurs éléments interconnectés les uns aux autres : activités physiques, activités mentales, les « choses » et leur utilisation, la connaissance dans la forme de compréhension, le savoir-faire, les états de l’émotion et la connaissance motivationnelle ».

L’individu (agent corporel et mental) agit comme un porteur de la pratique et de différentes pratiques qui nécessitent une coordination les unes avec les autres. L’individu est alors porteur de modèles de comportements corporels, mais aussi de manières routinières de comprendre, de savoir-faire et de désir. Ces activités mentales conventionnelles de compréhension, de savoir-faire et de désir sont des éléments nécessaires et des qualités de la pratique dans lesquels l’individu participe et non pas les qualités individuelles. Par-là, il rejoint la conception de Schatzki (1996) sur la manière d’aborder les comportements individuels : par la pratique et non plus par les qualités individuelles des porteurs de la pratique.

Dans cette synthèse théorique, deux dimensions retiennent particulièrement l’attention, secondaires dans la conception théorique de Schatzki.

Reckwitz (2002) souligne l’importance du corps : une pratique sociale est le produit d’un entraînement du corps d’une certaine manière. En apprenant une pratique, l’individu apprend à son corps une certaine manière de se comporter : « Le corps n’est pas un simple instrument que l’agent doit utiliser en vue d’agir, mais les actions routinières sont elles-mêmes des performances corporelles » (Reckwitz, 2002, p. 251). En ce sens, il confère une place centrale à la vision bourdieusienne du corps qui permet l’expression explicite de la pratique. Cette dimension du corps était tout à fait non-explicite dans la conception théorique de Schatzki (1996). Aucune recherche n’envisage d’ailleurs la place du corps dans la performance de la

pratique sociale. Ceci est vraisemblablement dû au fait qu’aucune recherche dans le champ théorique de la pratique sociale n’a exploré une pratique imposée aux individus. Au contraire, toutes considèrent la pratique comme relevant d’un choix de l’individu. Dans cette perspective, la question d’une pratique difficile à intégrer dans les routines comportementales n’a pas été posée.

La seconde dimension est celle des choses et des objets. Ces derniers sont nécessaires pour de nombreuses pratiques. Réaliser une pratique signifie souvent utiliser les choses d’une certaine manière. La relation stable entre les agents (corps et esprit) et les choses dans certaines pratiques reproduisent le social (Reckwitz, 2002). Ce dernier se localise aussi dans les pratiques dans lesquelles des agents individuels agissent avec les objets et dans le sens où ces derniers sont des composants essentiels des pratiques sociales. Ce point de vue est contraire à celui de Schatzki (Schatzki, Knorr-Cetina et von Savigny, 2001), qui affirme que les objets ou les technologies sont des produits des pratiques. Sur base des travaux empiriques de Shove (e.g. Shove et Pantzar, 2005 ; Hand et Shove, 2007), nous argumentons l’émergence des objets comme dimension de la pratique sociale (cf. section 3).

Conclusion section 2

Les théoriciens de la pratique indiquent que tant l’individu que les structures sociales sont à prendre en considération (Rouse, 2001) dans la compréhension de l’action sociale. Deux arguments sont mis en avant et défendent cette position théorique : (1) les pratiques sont composées des performances individuelles, se reproduisent et se transmettent entre agents ; (2) ces performances ne peuvent se concevoir et être comprises sans leur appartenance à la pratique dans le temps et l’espace grâce à l’interaction entre les multiples agents de celle-ci. L’approche théorique de la pratique sociale a pour objectif de « théoriser les consommateurs ni comme étant purement instrumentalistes et rationnels (homo economicus) ni comme purement dépendants de la structure et inconscients (homo sociologicus) mais plutôt comme des agents limités par des réseaux socioculturels » (Arsel et Bean, 2013, p. 901). Les pratiques sociales s’expriment au sein de ces réseaux socioculturels, c’est à dire qu’elles prennent place non seulement dans un espace-temps particulier, mais aussi dans un contexte social et culturel précis.

Un second point théorique concernant la pratique sociale est d’appréhender la pratique comme permettant une autonomie du social. Giddens (1987) propose un apport théorique sur la notion de règle, Bourdieu (1980) sur la notion de compréhension tacite exprimée au travers des mouvements corporels. Schatzki (1996) emprunte ces deux notions, sans toutefois attribuer au corps une place centrale dans la compréhension tacite. Il conçoit la pratique comme étant organisée par trois éléments : (1) la compréhension générale (2) les règles et (3) la structure téléoaffective. La structure téléoaffective est composée d’une dimension téléologique, orientée vers les buts, les projets, les objectifs de la pratique, mais également d’une dimension affective, reflétant les émotions et humeurs de la pratique. C’est la pratique qui guide les comportements des individus, qui guident les buts à atteindre et la manière d’y répondre (Schatzki, 1996). En cela, elle est normative. Schatzki propose une seconde avancée conceptuelle permettant de définir les frontières de la pratique. Ainsi, il distingue pratiques répandues de pratiques intégrantes. Les premières sont omniprésentes dans la vie sociale. Leur performance requiert une compréhension, c’est à dire un savoir-faire collectivement partagé. Les secondes sont plus complexes, dépendantes du contexte dans lequel elles sont performées et organisées par les trois dimensions de la pratique. Le choix du cadre d’analyse sera justifié dans la partie méthodologie.