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Enjeux méthodologiques soulevés par l’analyse de la famille 141!

Partie I. Revue de la littérature 29!

Section 3. Enjeux méthodologiques soulevés par l’analyse de la famille 141!

sont intéressées à l’ensemble de ses membres, notamment du fait de limites méthodologiques. Les premiers travaux sur la famille en comportement du consommateur approchent essentiellement la prise de décision entre époux. Ces premières recherchent ont recours à des méthodologies quantitatives pour la mesure du concept d’influence. Dès 1970, Safilios- Rothschild (1970, cité par Jenkins, 1980) s’intéresse aux rôles joués par les époux et épouses lors de la prise de décision familiale ainsi que la relation entre ces rôles et des facteurs socioéconomiques ou psychologiques. En sciences de gestion, les marketeurs se sont plus axés sur le concept de l’influence des membres de la famille, en lien notamment avec la littérature sur la publicité. C’est Davis (1970, 1971, 1976 et Rigaux, 1974) qui a le plus contribué à faire le lien entre la discipline de la sociologie et celle du marketing. Les travaux fondateurs de Davis se sont concentrés sur la prise de décision et l’influence entre les époux, en excluant des recherches les enfants.

Les années 1980 et 1990 sont marquées par la poursuite des travaux sur la prise de décision, la classification des familles selon le style éducatif parental (Carlson et Grossbart, 1988), les stratégies d’influence (Palan et Wilkes, 1997 ; Williams et Burns, 2000), ou encore l’influence intergénérationnelle (Moore-Shay et Lutz, 1988 ; Childers et Rao, 1992).

Dès 2000, Commuri et Gentry appellent à une ouverture des méthodologies lors de l’étude du groupe familial et particulièrement de la prise de décision familiale. Ils mettent en avant une prépondérance des méthodologies quantitatives pour approcher la famille et suggèrent des approches plus compréhensives pour analyser les phénomènes ayant lieu dans la famille. Ils préconisent par exemple les observations, les interviews ou encore les focus groupes. Ils soulignent par ailleurs le manque de recherches en lien avec les institutions dans le cadre des actions menées par les Pouvoirs Publics notamment.

La famille est également abordée sous son angle identitaire. Suivant le courant culturel de la consommation (Arnould et Thompson, 2005), les recherches autour de la dynamique familiale, conçues sous l’angle de l’identité, des rituels ou encore de la transmission intergénérationnelle font toutes appel à des méthodes d’inspiration ethnographique, et recourent à des techniques qualitatives de collecte des données (majoritairement via des observations et des entretiens) (Epp et Price, 2008, 2011).

En consommation responsable, la famille est largement délaissée comme sujet d’étude, sauf dans quelques travaux épars sur la prise de décision (Grønhøj, 2006 ; Grønhøj et Ölander, 2007). Ces rares recherches s’inspirent du courant culturel de la consommation et mettent en

œuvre des méthodologies basées sur des observations et la conduite d’entretiens pour répondre à leur question de recherche. Ainsi, Grønhøj et Ölander (2007) se sont intéressés à la question des différences de genre entre les époux dans le cas de la prise de décision familiale environnementale. Des entretiens ont été conduits auprès de 30 couples (mère, père et couple interviewés en trois temps), ayant des enfants (non inclus dans la collecte des données). Cette méthodologie a pour avantage d’approcher la dynamique familiale et de cerner en profondeur la prise de décision eu égard les comportements environnementaux.

Parmi les recherches évoquées ci-dessus, toutes ont largement délaissé l’enfant, qui pourtant fait partie intégrante de la famille. C’est à partir des années 1960 que l’enfant est réellement considéré comme consommateur à part entière doté d’un fort potentiel économique (McNeal, 1964 ; Brée, 1990 ; Roedder-John 2001). Ce potentiel pouvoir des enfants a conduit à l’émergence d’un large champ de recherche consacré à l’influence des enfants lors de la prise de décision familiale (e.g. Berey et Pollay, 1968 ; Ward et Wackman, 1972 ; Ward, 1974 ; Jenkins, 1979 ; Carlson et Grossbart, 1988 ; Mangleburg, 1990 ; Brée, 1993 ; Caruana et Vassallo, 2003). Toutes ces recherches mettent en avant une méthode quantitative avec les variables explicatives suivantes : âge de l’enfant (Wells, 1965 ; McNeal, 1969 ; Ward, 1972 ; Ward et Wackman, 1972) ; genre (McNeal, 1969) ; force avec laquelle l’enfant exprime sa requête (Mehrotra et Torges, 1977) ; le type de produit ; ou encore le style de communication familial (McLeod et O’Keefe, 1972 ; Carlson et Grossbart, 1988). Dans le but de mesurer ces variables chez l’enfant, les chercheurs ont dû s’accommoder de la particularité de la population enfantine pour développer des outils de mesure et de collecte appropriés (Derbaix et Pécheux, 2000), comme par exemple des items de réponse basés sur des visages expressifs. Depuis quelques années seulement, une démarche qualitative est recommandée dans la recherche avec les enfants :

« Dans la lignée des travaux de Banister et Booth (2005) et compte tenu des spécificités de cette cible marketing marquée notamment par son hypertrophie affective et sa forte propension à l’égocentrisme (Derbaix, 1982), nous estimons qu’il est nécessaire de renouveler les techniques de collecte auprès des enfants en utilisant des méthodologies qui prennent davantage en compte leur point de vue et qui s’insèrent plus étroitement dans leur environnement social. Dans cette perspective, nous montrons que la méthode ethnographique permet de collecter des données riches et variées pour peu que le chercheur sache susciter une collaboration active de la part des enfants » (Ezan, 2009, p. 78).

Mais comment susciter une collaboration active de la part des enfants ? La population enfantine est en effet difficile à approcher. Considérant les enfants ayant entre 7 et 11 ans, du fait de leur apprentissage écologique scolaire, nous faisons face à un certain nombre de difficultés. Dès 1965, Wells soulève dans un article intitulé « Communicating with children », paru dans le Journal of Advertising Research, des « problèmes de recherche ». Par « problèmes de recherche », il entend les limites que les enfants ont à comprendre et à s’exprimer. Les difficultés de l’étude de la population enfantine résident dans leurs propres capacités cognitives, plus ou moins développées (Peracchio et Mita, 1991).

Tout d’abord, les enfants peuvent être confrontés à la difficulté de comprendre les concepts, qui peuvent être délicats à exprimer. Cela leur demande une maturité intellectuelle et beaucoup d’entraînement à l’école (Wells, 1965). Par ailleurs, même si les enfants savent ce qu’ils veulent dire, ils ont souvent du mal à s’exprimer avec les bons mots. Le vocabulaire actif de beaucoup de jeunes est assez réduit. La meilleure manière d’éviter ce problème d’abstraction est de présenter le concept de la manière la plus concrète possible (Brée, 2007), par des images ou des visuels par exemple.

Ensuite, les enfants dans le stade opérationnel concret ont de la difficulté à rester concentrés un long moment. Il est donc recommandé d’adopter une méthode de collecte des données qui soit courte et simple, et la plus ludique possible (Brée, 2007). Par ailleurs, la question « pourquoi » est à éviter avec les enfants. Autant, les adultes ont l’habitude de décrire leurs sentiments, leurs réactions et expliquer leur comportement de consommation si bien qu’ils ont toujours une réponse quand on leur demande pourquoi, autant les enfants n’ont pas cette habitude parce qu’ils ont peu d’expériences de consommation auxquelles se référer (Wells, 1965). Par ailleurs, poser la question pourquoi place le répondant en situation de scientifique naïf (Thompson, Locander et Pollio, 1989).

Enfin, il est crucial de mettre l’enfant à l’aise et de développer un rapport entre chercheur et enfant qui soit le plus naturel possible. Comme l’indique Wells (1965), les enfants sont des répondants misérables s’ils ont peur, s’ils s’ennuient ou s’ils sont timides. Si l’enfant se retrouve dans ce cas de figure, il aura alors tendance à répondre négativement aux questions qui lui sont posées, car il n’aura pas envie de faire l’effort de formuler une réponse. Deux choses sont alors primordiales : mettre la mère en dehors de la pièce et prendre tout son temps avec l’enfant. Ci-après est un extrait des observations menées avec la famille Ecolo :

Je rencontre la famille un soir et prend le dîner en leur compagnie. Les enfants mangent en premiers et la mère et moi mangeons après. Cela est probablement dû au manque d’espace dans la cuisine pour asseoir tout le monde. Lors du dîner avec

la mère, la fille (10 ans) prend place à mes côtés et s’installe avec sa caisse remplie de Barbies. Elle me montre toutes ses Barbies une par une, me demande de les habiller et de m’extasier devant chacune des tenues. Elle m’explique les histoires de chacune de ses Barbies, quand elle les a achetées ou reçues en cadeau, leur morphologie, leur couleur… Nous jouons ainsi pendant près d’une heure avec ses jouets. Plusieurs fois, elle fera l’aller-retour dans sa chambre pour aller chercher d’autres accessoires oubliés.

Cette scène partagée avec l’enfant amène deux éléments importants : d’une part, la fille se trouve en confiance en ma présence ; le fait d’avoir sa mère à ses côtés la rassure sur le bien- fondé de mes intentions. Sa mère est en confiance et ne transmet pas de stress ou d’anxiété à son enfant (Wells, 1965). D’autre part, cette scène, qui s’est répétée avec de nombreux enfants démontre la nécessité de prendre le temps avec l’enfant. En effet, le lendemain après midi, j’ai réalisé la séance d’entretien avec la fille de la famille Ecolo dans sa chambre et elle s’est montrée très réceptive et investie lors de l’entretien.

Tenant compte de ces difficultés, plusieurs recommandations générales s’imposent lors de l’étude de la population enfantine (Peracchio et Mita, 1991 ; Guichard, 2000) :

- Les thèmes qui sont abordés avec les enfants doivent être familiers et pas trop éloignés de leurs centres d’intérêt.

- Les éléments présentés doivent être les plus simples possibles et l’utilisation d’éléments visuels est préconisée. Il faut minimiser la complexité de l’information qui est présentée aux enfants.

- Il est conseillé de supprimer tous les éléments superflus qui pourraient créer une distraction pour les enfants.

- Les thématiques abordées doivent être les plus concrètes possibles.

- Un langage adapté doit être utilisé avec les enfants, le vocabulaire et la syntaxe doivent être proches de ceux des enfants.

Donc, même si les enfants sont plus difficiles que les adultes à interviewer, ils peuvent donner une bonne information s’ils sont approchés de la bonne manière. Brée (2007) insiste et souligne que tant que l’enfant accepte de participer à une recherche, il s’y implique totalement et est fier d’avoir été sollicité. Cette volonté de « bien faire » compense alors les déficiences qu’il pourrait rencontrer sur le plan cognitif.

Dans le but de comprendre comment la pratique sociale du tri des déchets se construit dans les familles, et considérant cette pratique comme collective, nous n’avons d’autre choix que mettre en place un dispositif méthodologique adapté au groupe familial. Il faut alors vérifier et confirmer que les choix méthodologiques de cette recherche soient les plus pertinents tant pour aborder le groupe familial que pour satisfaire l’approche par la pratique sociale.