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Choix des éléments de la pratique sociale du tri des déchets 137!

Partie I. Revue de la littérature 29!

Section 2. Choix du cadre d’analyse de Schatzki pour l’étude du tri des déchets 135!

2. Choix des éléments de la pratique sociale du tri des déchets 137!

L’analyse de la littérature a mis en évidence plusieurs éléments possibles pour comprendre la structure de la pratique sociale. Dans ses développements théoriques et philosophiques, Schatzki (1996, 2002) met en avant les règles, les compréhensions générales et la structure téléoaffective. Cette structure est reprise dans la transposition empirique de Warde (2005) et dans les travaux de Schau, Muñiz et Arnould (2009).

Ce courant de recherche est repris par les travaux de Shove, replaçant les objets au cœur de la compréhension de la pratique dès 2005 (Hand et Shove, 2005). Par ailleurs, les compréhensions générales et les règles sont regroupées sous le terme de compétences. Enfin, la structure téléoaffective est plus simplement nommée significations de la pratique. Ce cadre d’analyse est repris dans les travaux de Magaudda (2011), Truninger (2011) ou encore Arsel et Bean (2013).

Quels éléments et quel cadre d’analyse retenir dès lors dans l’analyse de la pratique sociale du tri des déchets ?

Ces choix sont guidés par l’objet de recherche.

Tout d’abord, lors de l’analyse des pratiques familiales de tri des déchets, il est important de séparer les règles des compréhensions générales, autrement dit des savoir-faire. Il existe des discours de la part des Pouvoirs Publics qui délivrent une information sur la manière de trier. Ils informent les populations, les ménages en dispensant par-là des connaissance et donc une forme d’éducation environnementale (Ramsay et Rickson, 1976 ; Van Dam et Appeldorn, 1996 ; Steg et Vlek, 2009). Il existe donc potentiellement des savoirs théoriques, des connaissances des règles théoriques de la pratique du tri des déchets chez les citoyens. Pour la population enfantine plus particulièrement, il existe dès l’école primaire un apprentissage des règles théoriques de la pratique du tri des déchets à l’école (cf. circulaire de l’Education Nationale n° 2004-110 du 8 juillet 2004), celles-ci n’étant pas mises en pratique par les enfants. Par ailleurs, le phénomène de décalage entre discours et comportement souligné en consommation environnementale (Kollmuss et Aygeman, 2002 ; Carrington, Neville et Whitwell, 2010) laisse supposer que des différences peuvent exister entre les savoirs théoriques et les savoirs pratiques des individus. Distinguer règles et savoir-faire semble ainsi pertinent dans le cadre de la pratique sociale du tri des déchets. Nous ne saurions donc retenir

les compétences comme élément de la pratique, à l’instar de Shove, Pantzar et Watson (2012). Nous ne cherchons pas à étudier la compétence des familles en matière de tri, mais à comprendre la construction et la dynamique de la pratique au sein des familles. La compétence suppose une capacité d’action des consommateurs (Cova et Cova, 2009), ce qui n’est que partiellement le cas dans la pratique du tri, celle-ci étant imposée par les Pouvoirs Publics et interprétée par les familles.

Ensuite, la question se pose des objets comme élément de la pratique. Schatzki (1996) ne rejette pas les objets comme dimension de la pratique, mais les considère plutôt comme secondaires et argumente : « comprendre des pratiques spécifiques implique toujours une appréhension des configurations matérielles » (Schatzki, Knorr-Cetina, von Savigny, 2001, p. 3). Les objets sont compris comme des « arrangements » qui sont co-produits avec les pratiques : « Les pratiques sont intrinsèquement connectées et entremêlées avec les objets » (Schatzki, 2002, p. 106). Les objets sont ainsi considérés comme une conséquence de la pratique et relégués au second rang. Ce n’est pas une perspective partagée par Shove, Pantzar et Watson (2012), pour qui les objets sont un élément de la pratique, contribuant au même titre que les compétences et les significations à sa structure. Gram-Hanssen (2011), étudiant les pratiques énergétiques dans les foyers danois, considère les objets comme élément de la pratique, aux côtés des règles, des savoir-faire et de la structure téléoaffective. En cela, l’auteur s’inspire du cadre d’analyse de Schatzki (1996) en y ajoutant les objets. Plus précisément, ce ne sont pas les objets seuls, mais la dimension technologique qui est ajoutée. En effet, le mode de chauffage des individus ne peut être déconnecté des arrangements matériels constitutifs de la pratique. Sans eux, la pratique n’existe pas. C’est le même cas de figure pour la marche nordique (Shove et Pantzar, 2007). L’équipement nécessaire pour pratique la marche nordique existe et est indispensable pour accomplir ce sport. La pratique du tri des déchets a pour objectif une séparation des déchets selon leur caractère recyclable. Des containers ont été mis à disposition des familles pour une gestion facilitée, mais ils n’ont pas toujours existé et ne sont pas nés avec le tri des déchets dans les années 1970. D’ailleurs, ils sont variables d’une commune à l’autre. Il en est de même pour les arrangements matériels mis en place dans les déchèteries. Ces objets sont considérés ici comme une conséquence de la pratique et co-produits avec celle-ci. Sont-ils indispensables à la séparation des déchets ? Chaque famille aurait pu, en leur absence, trouver sa propre manière d’organiser la séparation des déchets. Nous faisons donc le choix de considérer les objets dans la lignée

théorique de Schatzki (1996), c’est à dire comme une conséquence de la pratique et non pas comme un élément à part entière.

Enfin, nous posons la question de la structure téléoaffective, des engagements ou encore des significations de la pratique à intégrer dans le cadre d’analyse. Ces trois termes sont issus respectivement de Schatzki (1996), Warde (2005) et Shove, Pantzar et Watson (2012). Engagements et structure téléoaffective se confondent sur le plan théorique. La structure téléoaffective se comprend comme une force motivationnelle pour les individus qui traduit leur engagement dans la pratique (Schatzki, 1996). Shove, Pantzar et Watson (2012), au travers des significations de la pratique, ne sont plus sur l’idée d’une force motivationnelle sur le long terme, avec un idéal, un but à atteindre sur le long-terme. Les auteurs sont une perspective à court-terme : les significations de la pratique sont étudiées à un temps T et ne relèvent plus d’une perspective téléologique. Cette interprétation est cependant à nuancer : même si les significations sont étudiées à un instant précis, elles peuvent évoluer avec le temps. Cet élément se conçoit par exemple dans la recherche menée par Shove, Pantzar et Watson (2012) qui ont étudié la pratique de la conduite de la voiture. Les significations de la conduite d’une voiture dans les années 1930 ne relèvent certainement pas des mêmes significations pour les individus que la conduite d’aujourd’hui. Le tri des déchets est fortement corrélé avec l’idée d’un idéal à atteindre : un mieux environnemental. La dimension téléologique est ici largement explicite. Dans la lignée des travaux de Hargreaves (2011) sur la pratique du tri des déchets en entreprise, nous faisons le choix de retenir la structure téléoaffective (ou engagements) comme élément de la pratique.

Nos choix relatifs aux éléments organisant la pratique sont donc dans cette recherche conformes à la théorie de Schatzki (1996). Nous considérons la pratique du tri des déchets comme une pratique intégrante et retenons le cadre d’analyse constitué des règles, des savoir- faire (compréhensions générales) et de la structure téléoaffective (engagements) (figure 13).

Figure 13. Cadre d’analyse de la pratique intégrante du tri des déchets

Ce cadre d’analyse a jusqu’alors été utilisé dans les recherches passées pour appréhender une pratique sociale portée par un agent-individu (Warde, 2005 ; Schau, Muñiz et Arnould, 2009). La théorie de la pratique sociale n’a pourtant jamais envisagé la possibilité d’une analyse d’une pratique sociale portée par un groupe d’individus. Le tri des déchets relève de cette catégorie : trier ses déchets est une pratique portée par la famille. Ce groupe pose un certain nombre d’enjeux et de difficultés méthodologiques qui sont abordés ci-après.

Section 3. Enjeux méthodologiques soulevés par l’analyse de la famille