• Aucun résultat trouvé

L’apport de Bourdieu : l’habitus à l’origine des pratiques 76!

Partie I. Revue de la littérature 29!

Section 2. La construction de la Théorie de la Pratique Sociale 73!

2. L’apport de Bourdieu : l’habitus à l’origine des pratiques 76!

Bourdieu (1980) nomme les pratiques des « activités », « jeux » trouvés dans les « champs » ou encore les « domaines de la pratique ». Il part du principe que ces pratiques se perpétuent dans le temps et l’espace. Et les actions individuelles sont produites par l’habitus. C’est cet habitus qui va être à l’origine des pratiques des individus. Mais l’habitus n’est pas un simple conditionnement qui vise à une reproduction machinale des comportements. C’est une structure structurée (car il est le produit de la socialisation), et c’est une structure structurante car il est générateur d’une infinité de pratiques. L’habitus est à l’origine du sens pratique. Bourdieu (1980, p. 91) indique :

« Produit de l’histoire, l’habitus produit des pratiques, individuelles et collectives, donc de l’histoire, conformément aux schèmes engendrés par l’histoire, [… et permet de] garantir la conformité des pratiques et leur constance à travers le temps ».

Ou encore :

« L’habitus est ce qui permet de produire des pratiques en nombre infini, et relativement imprévisibles, mais limitées dans leur diversité » (Bourdieu, 1980, p. 93).

Et Bourdieu d’argumenter que les pratiques ne peuvent être la conséquence d’un environnement, d’un contexte particulier qui pourrait les avoir créées (comme les politiques publiques pour le tri des déchets dans la présente recherche15). Il faut toujours revenir à l’habitus qui a engendré la pratique, conférant une certaine indépendance des pratiques par rapport aux actions extérieures. Dans cette perspective, se pose la question pour la pratique du tri qui est produite et imposée par une institution. Elle ne saurait alors être produite par l’habitus. Cela va à l’encontre de la conception de Bourdieu (1980) qui argumente l’idée que ce sont les agents qui créent la pratique, qui va former l’histoire collective.

Les agents ont des dispositions innées ou issues de la socialisation et un savoir-faire, qui rendent possible le sens pratique (c’est de l’ordre de l’inconscient, ce n’est pas réfléchi par les agents). Et ces dispositions viennent de deux éléments : les régularités statistiques et la place dans un champ social. Les régularités statistiques signifient que certains paramètres, telles que les chances de réussite, les lois matrimoniales ou encore la fréquence des vacances sont régulières statistiquement dans un champ social donné. L’appartenance à un champ social développe le fait que les individus possèdent des capitaux (économique, social, culturel et

15 A noter dans le cadre du tri des déchets que les instructions et les actions émanent des gouvernements et donc des politiques publiques. Elles ont pour rôle d’organiser et de définir les actions en matière de tri au niveau territorial et local et des règles sont produites à l’attention de la population.

symbolique) et sont caractérisés par certaines manières de se comporter dans ce champ donné. Le sens pratique n’est possible pour l’agent que s’il comprend les codes du champ social dans lequel il se trouve.

En résumé, les dispositions comportementales acquises par les individus vont dépendre de leur position dans ce groupe social. Et ce sont ces dispositions qui vont générer l’action et perpétuer les pratiques. Les dispositions qui constituent l’habitus sont donc responsables des comportements, mais pas seulement : elles sont également à l’origine des pensées, motivations et perceptions. L’habitus crée donc une infinité de pratiques et les agents vont réaliser des choix issus de cette logique pratique. Ces choix sont de l’ordre de l’inconscient, non délibérés, mais pour autant systématiques.

Le sens pratique peut par ailleurs être vu comme un ajustement anticipé des exigences d’un champ. Bourdieu développe l’exemple du sens du jeu. Le sens du jeu est le produit de l’histoire incorporée et de l’histoire objectivée, ce produit permettant d’anticiper l’avenir du jeu :

- Histoire incorporée : expérience du jeu, structures objectives de l’espace de jeu (par exemple, un terrain de foot a des dimensions réglementaires connues, il est composé de deux cages de buts et d’un ballon rond pour jouer ; règles du jeu). Le jeu a également un sens subjectif, c’est à dire « une signification et une raison d’être » (Bourdieu, 1980, p. 111). Les agents reconnaissent les enjeux.

- Un sens objectif : les agents vont produire des pratiques sensées par leur maitrise pratique des « régularités spécifiques qui sont constitutives de l’économie d’un champ » (Bourdieu, 1980, p. 111). Donc les structures objectives ont du sens pour les agents qui vont performer la pratique. C'est-à-dire qu’ils mettent en œuvre l’histoire incorporée dans un savoir-faire, en tenant compte de leur habitus (par exemple, pour le foot, selon le champ dans lequel l’individu évolue, il mettra en œuvre une pratique du foot telle qu’apprise dans ce champ).

Dans certains champs, on va oublier qu’il s’agit d’un jeu, parce que cette activité sera innée. Les individus naissent alors ici dans le jeu et il est d’autant plus inconscient, un investissement total et des croyances fortes : « La croyance est donc constitutive de l’appartenance à un champ » (Bourdieu, 1980, p. 113). Plus encore, la foi pratique est le « droit d’entrée » dans un champ : on sanctionne celui qui détruit le jeu. Il faut que les agents se présentant à l’entrée du champ aient une croyance qui sera évaluée par des rites de passages, examens… Cela nécessite des investissements dans l’entreprise collective de création du capital symbolique. Si l’on n’est pas entré à la naissance dans cette logique, le

chemin sera alors long pour acquérir les codes, les croyances pour être initié à ce que Bourdieu appelle une seconde naissance. La croyance est différente d’un état d’âme, c’est un état de corps.

Le sens pratique est converti alors en schèmes moteurs et en automatismes corporels. Ce qui explique que les pratiques restent obscures pour les porteurs de la pratique. « C’est parce que les agents ne savent jamais complètement ce qu’ils font que ce qu’ils font a plus de sens qu’ils ne le savent » (p. 116).

En synthèse, les habitus créent une infinité de pratiques, qui s’expriment chez des agents (qui n’en ont pas nécessairement conscience) au travers de croyances (émotions, sentiments) qui sont dans un champ social. D’où la croyance comme élément qui peut définir l’appartenance à un champ social. La croyance se traduit par des mouvements corporels (figure 7). Par exemple, avec des injonctions telles que : « tiens-toi droit » ou « ne tiens pas ton couteau de la main gauche ».

Figure 7. Schématisation de la relation habitus-pratique

Bourdieu prend l’exemple de la société Kabyle où des oppositions sont relevées : l’homme est tenu de manger avec toute la bouche alors que la femme se doit de manger du bout des lèvres. Bourdieu détaille longuement les oppositions entre les genres et amène des significations sociales aux actes corporels (et permet de comprendre par-là l’organisation de la société Kabyle et la division homme/femme). Des systèmes d’oppositions existent qui permettent de structurer l’habitus et d’organiser les pratiques sociales.

HABITUS

INFINITÉ DE PRATIQUES

s'expriment chez les agents au travers de CROYANCES qui préexistent dans un champ social ou qui sont acquises par des agents souhaitant prendre position dans ce champ social

traduction par des MOUVEMENTS CORPORELS

Les travaux en comportement du consommateur intègrent les concepts de Bourdieu dans leur analyse de la consommation. On retrouve ainsi les théories de l’habitus et du champ social permettant une compréhension des pratiques de consommation (Moingeon, 1993). Par rapport aux théories faisant appel à l’attitude ou aux opinions pour rendre compte du comportement du consommateur, les théories de Bourdieu permettent de comprendre comment se structurent les intérêts et pourquoi les consommateurs adoptent l’une ou l’autre consommation ou attitude (Moingeon, 1993). Selon Moingeon (1993, p. 106), la théorie de Bourdieu permet d’aller plus loin que cette « vision morcelée » de la consommation en proposant « des outils conceptuels permettant d’expliquer comment les goûts des agents se sont constitués ». Bourdieu propose ainsi une approche systémique de la consommation, qu’elle soit alimentaire, artistique, ou encore sportive. Elles permettent d’être abordées de manière cohérente sous la lumière des concepts d’habitus et de champ social. En conclusion, Moingeon (1993) indique que la théorie de Bourdieu permet une segmentation plus fine des biens et des pratiques, tout en rendant compte du comportement du consommateur.