• Aucun résultat trouvé

Le recours aux méthodes projectives avec les enfants 167!

Partie I. Revue de la littérature 29!

Section 2. Le dispositif méthodologique de la recherche 154!

3. Le recours aux méthodes projectives avec les enfants 167!

Face à une famille, il s’agit d’adapter les techniques de recueil à la population enfantine. Pour tenir compte des limites de l’enfant en rapport à son stade de développement cognitif (Piaget, 1964 ; Roedder-John, 2001), la littérature recommande de mettre en œuvre des techniques appropriées (Wells, 1965 ; Peracchio et Mita, 1991, Brée, 2007). Ezan (2009) a par exemple montré que les méthodes issues de l’ethnographie permettent de dépasser un certain nombre d’obstacles chez les enfants et qu’elles constituent ainsi une voie privilégiée pour étudier leurs comportements de consommation. L’observation y est particulièrement recommandée, puisque l’enfant est observé dans son milieu familial et se situe donc dans un environnement qui lui est familier. D’autres techniques existent et Decrop et Copin (2006), étudiant les motivations enfantines dans le contexte d’Halloween, ont par exemple utilisé des méthodes projectives graphiques, telles que le dessin ou les bulles de bandes dessinées à compléter, et des méthodes plus conventionnelles, comme des focus groups et des observations non participantes. Le recours à des méthodes multiples trouve tout son intérêt, notamment auprès des enfants (Brée, 2007). Le choix est ainsi fait dans cette recherche de combiner l’observation avec des méthodes projectives pour la population enfantine.

McGrath, Sherry et Levy (1993) recommandent le recours aux méthodes projectives en complément de l’observation lorsque le sujet de l’étude est délicat. Le tri des déchets n’est pas particulièrement délicat ni sensible. Le recours aux méthodes projectives se justifie ici de par la difficulté à aborder les enfants du stade opératoire concret du fait de leurs limites cognitives

(Piaget, 1964). Ces méthodes sont en conséquence considérées comme un complément approprié pour l’étude des pratiques de tri de la famille. Les recherches en marketing des années 1940 à 1960 empruntent ces méthodes projectives aux recherches psychologiques, sociologiques et anthropologiques (Rook, 2006), et perdent de leur intérêt dans les années 1970 au profit des analyses statistiques. Ces méthodes rejaillissent à partir des années 1980, de manière concomitante avec les méthodes de type ethnographiques (Rook, 2006). Elles ont trois caractéristiques communes (Rook, 2006) :

- La spontanéité du répondant : le chercheur laisse une grande place à l’imaginaire et le laisse libre dans ses choix de réponses

- La formulation ambigüe de la question, afin de révéler les propres attitudes et motivations du répondant

- L’ignorance du but de la question de la part du répondant, en utilisant un type de questionnement indirect.

Les méthodes projectives présentent l’avantage d’accéder aux motivations premières des individus et de s’affranchir du phénomène de désirabilité sociale (Rook, 2006). De nombreuses méthodes projectives existent, telles que les associations de mots, compléter des phrases, l’analyse de la liste de courses, le dessin, les rêves ou encore les collages (Rook, 2006). Parmi elles, certaines s’avèrent pertinentes lorsqu’il s’agit de travailler avec la population enfantine : le dessin ou encore les collages (Rook, 2006 ; Belk, Ger et Askegaard 2004). Ces dernières présentent des limites conceptuelles lorsqu’il s’agit de répondre aux enjeux de la théorie de la pratique sociale (réseau de faires et de dires). Pour y répondre, nous y ajoutons une troisième catégorie de méthode, imaginée et développée pour les besoins de cette recherche : le mime.

Nous présentons brièvement les techniques du dessin et du collage avant d’approfondir les raisons qui nous ont amenées à imaginer la technique du mime.

Le dessin et les collages

Le dessin est utilisé comme méthode de recherche avec les enfants (McNiff, 1982 ; McNeal et Ji, 2003 ; Muratore et Guichard, 2010). Cet outil de recueil des données permet d’orienter les enfants vers le visuel et non plus vers le verbal. Il est utilisé depuis plus de cent ans pour un bon nombre de sujets de recherches (McNeal et Ji, 2003 ; Chan, 2004, 2006). Cette technique est particulièrement utile pour mieux connaitre les connaissances et les caractéristiques des idées qui sont présentes dans les esprits des enfants, ainsi que leurs évolutions au cours du temps. Les recherches qui utilisent le dessin reposent sur un certain nombre de présupposés.

Les enfants ont des images visuelles dans la tête (Rossiter, 1976 ; Zaltman, 1997) et selon Zaltman (1997), l’information contenue dans la mémoire est essentiellement visuelle. McNiff (1982) en déduit que le langage est un moyen d’expression inadéquat pour les jeunes enfants, soulignant par là leur plus grande facilité à reproduire des images qu’ils ont dans leur esprit. Mais, les images restituées dans les dessins peuvent être imparfaites du fait des limites de leurs capacités graphiques qui varient selon l’âge, selon les demandes de dessin, et selon l’importance que l’enfant y accorde (Piaget et Inhelder, 1966 ; Barrett, 1983) ; l’enfant aura plus naturellement tendance à dessiner ce qu’il estime, ce qu’il aime et ce qui le satisfait (Damay et Guichard, 2009 ; Damay et al., 2010). Ce point n’est a priori pas acquis avec le tri des déchets.

Quant à la technique de collecte des données par le collage, elle reste relativement confidentielle lors de l’étude des enfants. Elle peut s’avérer pourtant riche et utile pour dépasser les limites cognitives que les enfants peuvent rencontrer. Cette activité de collage peut être réalisée individuellement (Belk, Ger et Askegaard, 2004) ou encore de manière collective (Havlena et Holak, 1996), ce qui permet d’accroître la créativité et stimule l’intérêt pour la tâche demandée par le chercheur. Les individus reçoivent des magazines ou des journaux et cela constitue leur matériel pour la réalisation du collage.

A noter que cette méthode des collages est rarement utilisée seule comme technique de collecte des données. Belk, Ger et Askegaard (2004) l’utilisent aux côtés de techniques telles que les dessins et les associations de mots. Des interviews sont également réalisées pour verbaliser les productions rendues par les méthodes projectives.

Dans le cadre de cette recherche doctorale, le recours au dessin ou aux collages présente la limite majeure de ne pouvoir exprimer ni restituer les « faires » de la pratique. Il nous faut trouver une méthode qui permette de capter non seulement la dimension des « dires » mais également des « faires » avec les enfants. Nous aurions pu nous contenter des séances d’observations familiales pour accéder aux « faires » des enfants. Mais lors des séances d’observations, limitées dans le temps, nous nous sommes vite rendues compte que les enfants avaient peu d’interactions avec les déchets, ce qui ne permettait d’accéder qu’à des traces de leurs comportements. Nous ne pouvons alors atteindre l’ensemble des connaissances pratiques des enfants en matière de déchets. Nous avons donc développé une technique de collecte qui permette de considérer tant les faires que les dires de la pratique auprès de la population enfantine, au travers du mime.

Le mime

Le mime fait globalement partie des méthodes projectives (Rook, 2006), mais demeure une méthode confidentielle. Elle n’a à ce jour été utilisée dans aucune recherche en sciences de gestion. Nous ne disposons, en conséquence, d’aucune référence académique pour justifier de notre propos. Nous présentons tout d’abord l’intérêt de recourir aux mimes avec la population enfantine. Puis, nous présentons la mise en œuvre de cette méthode dans la présente recherche.

Premièrement, le mime présente l’intérêt essentiel de reproduire les « faires ». Cet accès aux « faires » d’un comportement n’est accessible que via les observations. Même si nous avons montré les avantages de l’observation quand il s’agit de mener une recherche en présence d’enfants (Ezan, 2009), cette méthode ne permet pas l’étude en profondeur des savoirs pratiques des enfants, du fait des observations limitées dans le temps. Nous ne disposons que de traces des comportements naturels des enfants. Le mime permet à l’enfant de s’exprimer pour reproduire les « faires » de la pratique du tri, tels que performés au sein de son domicile, mais également de reproduire les « faires » tels qu’il les a appris à l’école. Une comparaison peut être ainsi effectuée à partir des mimes des enfants entre ce qu’ils apprennent à l’école et ce qu’ils font réellement à la maison. Cela permet également de savoir si l’enfant a intégré l’apprentissage du tri reçu par l’école, agent de socialisation écologique. Le mime peut alors être considéré comme une forme d’observation de la réalité provoquée. En ce sens, le mime tel que développé dans cette recherche est différent du jeu de rôles. Nous ne demandons jamais à l’enfant de se mettre à la place « de … », d’interpréter un rôle ou de faire semblant de jouer une scénette.

Deuxièmement, l’enfant devient par le mime un informateur privilégié des pratiques familiales en matière de tri des déchets. Le mime permet donc de dépasser les insuffisances des méthodes telles que le dessin ou les collages. Le dessin permet par exemple de mieux connaître les connaissances et les caractéristiques des idées des enfants sur un certain nombre de sujets. Par exemple, dans la recherche menée sur les représentations de la responsabilité sociale des entreprises (Schill et Fosse-Gomez, 2011), le dessin a été particulièrement utile pour comprendre ce que l’enfant comprend de l’entreprise d’une part et de l’entreprise responsable d’autre part. Dans la recherche menée par Muratore et Guichard (2010) sur les packagings des céréales, les auteurs ont accès à la connaissance des enfants sur les thèmes liés à l’alimentation et aux problèmes qui lui sont liés, tels que l’obésité. Mais la compréhension

reste uniquement centrée sur la connaissance de l’enfant et ses représentations. La dimension comportementale n’y est pas exprimée. Le mime présente donc la double caractéristique

d’être « normatif » en ayant accès aux connaissances, compréhensions et représentations des enfants sur le sujet du tri, mais également « comportemental » en ayant accès à la manière dont il fait le tri chez lui et/ou à l’école.

Les savoir-faire des enfants ayant de multiples origines (école ou maison principalement), des différences entre les mimes sont donc possibles et envisagées à ce stade de la réflexion. L’objectif n’est cependant pas de « fliquer » ou de « juger » des différences entre les comportements appris à l’école et à la maison. Nous ne sommes pas centrés sur une notion de conformité avec les attentes des Pouvoirs Publics, mais sur une compréhension de la construction de la pratique. En d’autres termes, l’enfant n’est pas utilisé, ni « manipulé » comme un « indic » au sein de la famille.

N’ayant pas de référence méthodologique en matière de mime, nous avons construit nos séances de collecte des données avec les enfants en tenant des comptes des recommandations générales prodiguées dans les précédentes recherches menées avec les enfants (Wells, 1965 Peracchio et Mita, 1991 ; Ezan, 2009). Tous les mimes ont été réalisés dans les chambres des enfants, seuls, sans la présence de la mère ou du père.

Toutes les séances avec les enfants ont débuté avec une phase de familiarisation avec la caméra (Kozinets, 2002). Pour mettre l’enfant en confiance et à l’aise avec la caméra qui les filme, un jeu a d’abord été mis en place. Il a été donné un jeu de carte à l’enfant. Sur ces cartes sont présentés différents métiers : instituteur, médecin, footballer, … L’enfant a pour consigne de mimer ce qui est sur la carte et de le faire deviner au chercheur. Dès que la réponse est trouvée, on change de carte et on recommence. Ce temps d’acclimatation dure une dizaine de minutes et est nécessaire pour l’enfant qui ne connaît pas le chercheur. Certains enfants ont par ailleurs été fiers de montrer leur chambre, leurs jeux. Il nous est alors arrivé de jouer au garage à voitures, à la poupée ou de se voir présenter différentes productions graphiques réalisées par l’enfant avant de commencer le mime.

Suite à ce temps d’adaptation, quels sont les comportements mimés par les enfants ? Un comportement central a été mimé : le tri des déchets. Il fait partie intégrante des pratiques environnementales, ce qui n’est pas le cas d’autres comportements en lien avec le tri, comme par exemple la sortie des poubelles (Giannelloni, 1998). Le mime est en conséquence centré sur la pratique environnementale du tri, choix qui est déterminé par notre problématique. Un sac entier (contenance d’environ 30 litres) de déchets a été donné à l’enfant. Dedans ont

été mis des papiers, cartons, bouteilles, pots de yaourt, couteau en métal (faux), épluchures de légumes et fruits (faux), du verre, des piles, des déchets plastiques, un bouquet de fleurs fânées et du bois. Dans un sac à part se trouvaient des containers, des sacs poubelles et des sacs poubelles spéciaux donnés par le centre de tri pour le tri des emballages (figure 16).

Figure 16. Sac de déchets d’une contenance de 30l et sac avec différents containers

Alors que les objets sont relégués au second plan dans la conception théorique retenue (Schatzki, 1996), ils ont ici une place primordiale et sont introduits dans le mime avec les enfants. Schatzki (1996, 2002) ne rejette pas les objets de la pratique mais leur accorde une place de second rang. Même si nous avons fait le choix de cette approche, nous ne pouvons ignorer les objets de la pratique du tri. Il s’agira dans les analyses et les interprétations de définir plus précisément la place de cet élément objet et d’en confirmer la place centrale ou secondaire.

Chaque enfant s’est vu remettre le premier sac de déchets et a reçu la consigne suivante : « voici un sac rempli de déchets, tu dois les jeter. Si tu as besoin de quelque chose, tu me le demandes ».

Certains enfants ont posé des questions, du type « est ce que ça, je le mets dans la poubelle de la cuisine » ? A toutes ces questions posées par les enfants, la réponse a toujours été la même : « tu fais comme tu veux ».

mime. Ils se sont tous débrouillés seuls. Il est arrivé pour certains enfants qu’ils nous racontent à voix haute ce qu’ils étaient en train de faire.

Une fois les déchets jetés, l’enfant s’arrête, nous regarde et nous indique qu’il a fini. A ce moment, il est demandé à l’enfant d’expliquer ce qu’il a fait et comment il s’y est pris pour jeter les déchets. L’enfant fait le récit de son mime. Il est recommandé dans la littérature que l’enfant puisse s’exprimer sur le processus et le résultat de son travail, comme pour le dessin ou les collages (Belk, Ger et Askegaard, 2004 ; Muratore et Guichard, 2010). Par ailleurs, le mime permet d’atteindre la dimension comportementale et cognitive (savoir-faire et connaissances), mais il ne permet pas d’atteindre la dimension téléoaffective de la pratique. Une mise en récit du mime s’avère donc indispensable. L’enfant est amené à s’exprimer avec ses mots sur ce qu’il a réalisé et comment il l’a fait. Le chercheur pourra ici lui poser des questions pour expliciter tel ou tel comportement ou obtenir de plus amples détails sur la manière dont l’enfant conçoit la pratique : « explique moi comment tu as fait », « est ce que tu tries tes déchets », « qui t’a appris le tri », « qui trie ses déchets à la maison », « est ce que tu fais toujours comme ça »… Des questions sont donc posées à l’enfant, à savoir s’il pense avoir trié les déchets ou non, qui lui a appris à faire comme ça, si c’est différent à la maison ou à l’école (selon le mime qu’il a reproduit). C’est la phase de la mise en récit du mime. Des questions plus générales sur le développement durable et l’environnement en particulier ont été posées. Enfin, quelques questions relatives aux économies d’énergie ou à l’utilisation des transports en commun ont été posées. L’intérêt de cet entretien court avec les enfants est d’identifier leur compréhension des buts du tri des déchets et plus largement des pratiques environnementales et de mettre en évidence au travers de leurs récits leurs émotions ressenties vis-à-vis de la pratique.

Le tableau 6 reprend le déroulé d’un mime avec l’enfant.

Mime du tri des déchets « Voici un sac rempli de déchets, tu dois les jeter. Si tu as besoin de quelque chose, tu me le demandes »

Récit du mime « Explique-moi comment tu as fait » Est-ce que tu tries tes déchets ? Qui t’a appris à le faire ?

Qui trie ses déchets à la maison ? Est-ce que tu fais toujours comme ça ?

pour l’environnement ? A la maison, à l’école, dans d’autres endroits ? Qui t’a appris toutes ces choses sur l’environnement ? Pour aller à l’école, comment fais-tu?

A ton avis, c’est quoi les économies d’énergie ? Donne-moi des exemples.

Tableau 6. Déroulé d’un mime avec l’enfant

Quelques limites sont soulevées par une telle approche. Comme dans chacune des méthodes employées avec les enfants, il est possible que ceux-ci ne souhaitent pas participer à ce qui leur est demandé. Si c’est le cas, nous n’insistons pas et laissons l’enfant libre de choisir de participer ou non. Il est également possible que l’enfant invente les comportements. Dans ce cas, l’analyse des mimes permettra de confronter ces mimes à ce qui a été observé naturellement. Si un décalage trop important est noté, le chercheur pourra alors s’interroger sur la pertinence du mime mené avec l’enfant. Enfin, pour éviter tout biais lié à la présence des parents, ces derniers seront écartés du processus de mise en œuvre et ne seront pas conviés à assister au mime, comme c’est d’ailleurs le cas pour toute autre méthode employée avec les enfants, comme le dessin (Peracchio et Mita, 1991).

167 minutes de mimes ont été produites en cumulé auprès de 15 enfants, soit environ 11 minutes par mime. Les entretiens qui ont suivi les mimes ont été enregistrés et sont d’une durée moyenne de 11 minutes.

Tous les mimes ont donné lieu à des retranscriptions exhaustives. Certains enfants ont, en effet, verbalisé ce qu’ils faisaient au moment de l’action. Leurs entretiens ont également été retranscrits dans leur totalité. Un exemple de retranscription de mime est présenté en annexe 5.