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Partie I. Revue de la littérature 29!

Section 2. Approches théoriques des comportements écologiques 36!

2. L’approche normative 48!

Les théories dites normatives donnent de l’importance aux normes morales et/ ou sociales et aux pratiques de consommation.

Selon Moschis et Cox (1989), les normes font référence aux coutumes, manières, règles et régulations ou encore les lois. Définissant les actions autorisées ou interdites (Sripada et Stich, 2006), la norme est indissociable de l’environnement social dans lequel elle a été générée (Perrin, 2010). On distingue les normes morales des normes sociales. Les premières régissent les interactions entre individus en reflétant l’influence du groupe social de référence. Les secondes sont quant à elles inhérentes à l’individu ; les individus définissent eux-mêmes ce qui leur semble acceptable ou non moralement (Bicchieri, 2006).

Malgré les apports indéniables de cette approche cognitiviste dans la prédiction des comportements écologiques, trois limites sont mises en avant. (1) Ces modèles cognitifs orientés vers les buts poursuivis par les individus ne peuvent expliquer qu’une partie des comportements (pro-environnementaux), car ne tenant compte que des propriétés individuelles (attitudes et valeurs). Des valeurs plus universelles (valeurs biosphérique, altruiste et pro-sociale) apparaissent également comme pertinentes dans l’influence des comportements pro-environnementaux (Stern, 2000). (2) Ces théories ne permettent pas une mesure des comportements de consommation réels, se basant sur l’intention et ses antécédents. (3) Enfin, ces modèles ne prennent pas en compte le rôle de la norme dans les pratiques de consommation. Une autre approche théorique, basée sur la norme a en conséquence été développée.

Cette approche théorique assume que les individus adoptent des comportements pro- environnementaux, non pas uniquement du fait de motivations personnelles, mais pour des raisons morales ou altruistes. Les théories cognitives (action raisonnée et comportement planifié) intègrent d’une certaine manière cette dimension normative au travers des normes subjectives. Mais cette dimension ne met pas en évidence la nature de l’influence normative, ni même l’importance des valeurs morales et altruistes dans le comportement individuel. Les auteurs tentent dès lors d’intégrer cette dimension normative dans le modèle de la théorie du comportement planifié. On note par exemple les recherches de Parker, Manstead et Stradling (1995), Raats, Sparks et Shepherd (1995) ou encore Sparks, Shepherd et Frewer (1995), dans des contextes variés : respect du code de conduite, consommation de lait biologique et consommation de produits OGM. Toutes ces recherches mettent en avant que le pouvoir prédictif de la théorie du comportement planifié est amélioré quand de telles variables sont incluses. Elles soulignent le caractère clé des dimensions normatives et morales dans les modèles théoriques et justifient les modèles théoriques normatifs.

L’analyse de cette approche normative permet d’identifier trois courants théoriques : le ‘New Environmental Paradigm’ (NEP) développé par Van Liere et Dunlap (1981) en sociologie ; la ‘Norm Activation Theory’ (NAM) développée par Schwartz (1977) en sociologie ; et la ‘Normative Conduct Theory’ (théorie de la conduite normative) par Cialdini, Reno et Kallgren (1990) en psychologie. Les recherches en psychologie environnementale ont emprunté ces trois courants théoriques dans le cadre de l’étude des comportements environnementaux, dont le tri des déchets et ont toutes en commun l’importance donnée à la norme, qu’elle soit sociale ou morale.

La première approche théorique présentée est le New Environmental Paradigm (Van Liere et Dunlap, 1981). Le nouveau paradigme environnemental vient en réponse au Paradigme Social Dominant (‘Dominant Social Paradigm’, DSP, Dunlap et Van Liere, 1978). Le DSP met en avant un ensemble de valeurs portées par la société moderne : « notre croyance dans l’abondance, notre foi en la science et la technologie et notre tendance au laisser-faire économique, la planification limitée des gouvernements et les droits de la propriété privée » (Dunlap et Van Liere, 1978, p. 10). Toutes ces valeurs, attitudes et croyances contribuent à une forme de crise environnementale. Le Paradigme Social Dominant se retrouve alors affaibli et érodé par des nouvelles croyances et des nouvelles valeurs qui sont portées par les individus de nos sociétés, dans une perspective de respect de l’environnement.

Les valeurs centrales du NEP sont le respect des ressources naturelles et l’importance de préserver l’équilibre et l’intégrité de la nature. Trois valeurs majoritaires se dégagent et sont reprises dans les travaux ultérieurs : biosphérique, sociale et égoïsme. Les comportements adoptés par les individus peuvent résulter tant d’une poursuite d’intérêts personnels que d’une orientation altruiste ou encore d’une orientation valeur biosphérique. Tout dépend du contexte étudié. Kilbourne, Beckmann et Thelen (2002) ont mis en évidence que les individus ayant une forte croyance dans le Paradigme Social Dominant auront moins tendance à adopter une attitude pro-environnementale.

Mais ce n’est pas parce que les individus portent un intérêt à l’environnement qu’ils vont forcément agir dans le sens de l’environnement. Un décalage entre attitude/valeur et comportement est relevé (Kollmuss et Aygeman, 2002 ; Carrington, Neville et Whitwell, 2010). Par ailleurs, les individus n’expriment pas de valeurs stables parmi différents contextes ou situations. Aucune de ces limites mentionnées ne vient dévaluer entièrement le lien entre valeur et comportement pro-environnemental, mais mettent en avant la nécessité de comprendre et d’inclure plus de variables qui modèrent la relation entre attitude et comportement.

La théorie de l’activation de la norme (Norm Activation Model - Schwartz, 1977) considère que les individus expriment une valeur envers le bien-être des autres et sont motivés pour adopter un comportement ne nuisant pas à autrui. Ce cadre théorique est utile pour comprendre les comportements pro-sociaux et altruistes. Ainsi, les normes personnelles sont activées par deux variables antécédentes : la prise de conscience de ses actions et la responsabilité personnelle pour celles-ci. Heberlein (1977) est le premier à transcrire ce modèle avec succès dans un contexte environnemental. Il est suivi par de nombreux auteurs dont Oskamp et al. (1991), Bratt (1999), Hopper et Nielsen (1991) ou encore Vining et Ebreo (1992) dans le contexte du tri des déchets. Les résultats de ces recherches empiriques sur le tri des déchets restent cependant mitigés, dans le sens où il n’a pas été montré d’effet direct des normes sociales sur le comportement.

Stern, Dietz et Kalof (1993) postulent conceptuellement que le comportement pro- environnemental suit cette valeur altruiste. Ils étendent le modèle initial de Schwartz en proposant deux autres valeurs en plus de la valeur socio-altruiste : biosphérique (référence à l’intérêt porté aux autres espèces que l’homme) et égocentrisme. Ces trois valeurs ont de l’influence sur la volonté des individus à prendre part à l’action. Cependant, elles n’ont qu’une corrélation positive très faible avec les comportements : il devient nettement moins

évident que les individus soient prêts à payer des taxes pour protéger l’environnement, faisant ressortir ici la valeur de l’égocentrisme. Ces valeurs s’intègrent dans la théorie Valeur- Croyance-Norme (VCN) (Value-Belief-Norm Theory) (Stern, 2000) (figure 6).

Figure 6. Théorie Valeur-Croyance-Norme (VCN) (d’après Stern, 2000)

Ce modèle a été testé empiriquement et permet d’expliquer partiellement les comportements des individus grâce à ces valeurs universelles (Stern et al., 1999 ; Thøgersen et Ölander, 2006), mais les résultats semblent moins concluants que par l’approche théorique du comportement planifié (Steg et Vlek, 2009).

Enfin, la dernière approche théorique est celle de la conduite normative (Cialdini, Reno et Kallgren, 1990 ; Cialdini, Kallgren et Reno, 1991). Deux normes sociales sont distinguées : les normes injonctives (est ce que le comportement est approuvé ou non par la norme ?) et les normes descriptives (est ce que le comportement est courant ?). Ancrés en psychologie, les auteurs font référence à des terminologies différentes de celles utilisées en sociologie. Cependant, normes injonctives et descriptives font conceptuellement référence aux normes sociales et morales. La prépondérance ou qualité première d’une de ces normes particulière va influencer le comportement écologique. Cialdini, Reno et Kallgren (1990) et Cialdini, Kallgren et Reno (1991) mettent en évidence la pertinence de cette théorie dans le contexte des déchets dans les lieux publics et montrent le lien entre norme et adoption du comportement.

Les approches normatives et cognitives sont les deux approches majoritaires lors de l’étude des comportements pro-environnementaux. D’autres recherches vont par ailleurs combiner plusieurs approches théoriques parmi celles citées ci-dessus, en tenant compte des variables les plus pertinentes pour leur étude empirique. En effet, les comportements peuvent résulter

de motivations multiples (Steg et Vlek, 2009). C’est le cas par exemple de la recherche d’Oreg et Katz-Gerro (2006) qui s’ancre dans deux modèles théoriques majeurs : la Théorie du Comportement Planifié (Ajzen, 1991) et la théorie Valeur Croyance Norme de Stern (2000). Les auteurs montrent que les valeurs postmatérialistes affectent l’attitude. L’attitude envers l’environnement, la menace perçue et le PBC (‘Perceived Behavioral Control’) affectent à leur tour l’adoption de comportements pro-environnementaux, parmi lesquels le tri des déchets, une conduite écologique et la citoyenneté environnementale (participation à des manifestations pro-environnementales, contribution à des œuvres environnementales). Malgré la richesse de ces travaux ancrés dans les théories cognitives et normatives, les approches présentent un certain nombre de limites qu’il convient de préciser et qui permettent d’ores et déjà d’orienter nos choix conceptuels.

Principales limites des théories cognitives et normatives

Steg et Vlek (2009) soulignent que bien que ces cadres théoriques permettent des avancées indéniables, il ne semble toujours pas clair à ce jour de savoir à quelle théorie recourir selon le contexte d’étude, ce qui avait déjà été énoncé par Bamberg et Schmidt en 2003. Il semble en tout premier lieu nécessaire d’approcher la consommation écologique par décision, et non comme une masse indifférenciée de comportements.

Par ailleurs, toutes les recherches mentionnées jusqu’ici font état des motivations individuelles qui influencent les comportements écologiques. Or, l’adoption de comportements écologiques ne dépend pas uniquement d’une volonté et d’une motivation individuelles. Deux éléments majeurs n’ont pas été suffisamment pris en considération dans les recherches passées : les facteurs contextuels et le rôle de l’habitude (Steg et Vlek, 2009). Tout d’abord, les facteurs contextuels n’ont pas été étudiés de manière systématique dans les recherches précédentes, alors que ceux-ci peuvent faciliter ou contraindre l’adoption de comportements écologiques. Il s’agit dès lors de tenir compte des infrastructures physiques, des technologies ou encore des attributs des produits commercialisés (Vining et Ebreo, 1992). La théorie du comportement planifié n’intègre par exemple dans son cadre théorique que les perceptions individuelles de ces facteurs contextuels.

Une seconde limite aux approches théoriques actuelles réside également dans le fait qu’elles considèrent les individus comme faisant des choix raisonnés. Or, dans bien des cas de consommation, l’habitude entre en jeu dans les comportements adoptés, et ces derniers deviennent soumis à des processus cognitifs automatiques, faisant intervenir le concept d’habitude.

Alors, si l’on se penche plus particulièrement sur le contexte du tri des déchets, considéré comme un comportement routinier et non plus raisonné (Barr et Gilg, 2006), l’approche par l’attitude étudiée seule est limitative de l’explication de l’adoption des comportements. Grâce à l’attitude, l’individu se forge un comportement et dans un second temps, il l’automatise. Le tri des déchets relève d’un caractère automatique et routinier, où les processus conscients s’effacent au profit de processus inconscients chez l’individu.

Pour toutes ces raisons, nous faisons le choix d’écarter les théories cognitives et normatives de notre réflexion, qui portent intérêt à l’attitude et la norme pour expliquer l’intention du tri. Nous souhaitons explorer plus précisément le caractère habituel du comportement. Les cadres théoriques ayant intégré l’habitude sont explorés dans le point suivant.