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La mise en discours de la pratique du tri des déchets 162!

Partie I. Revue de la littérature 29!

Section 2. Le dispositif méthodologique de la recherche 154!

2. La mise en discours de la pratique du tri des déchets 162!

Des faires, mais également des dires composent la pratique sociale (Schatzki, 1996). Il s’agit donc, en complément des observations de capter la dimension discursive de la pratique dans les familles. En comportement du consommateur, l’entretien est une méthode privilégiée pour accéder aux interprétations des individus sur leur consommation, dans une perspective émique (Arnould et Wallendorf, 1994). Cette interprétation émique est bien souvent interprétée ensuite par le chercheur, produisant une compréhension étique du phénomène étudié (Thompson, Locander et Pollio, 1989). Mais ce n’est pas l’objectif poursuivi dans la présente recherche. Nous ne cherchons pas à définir le sens que les familles donnent au tri des déchets. Nous cherchons à mettre en lumière la structure et la dynamique de la pratique au sein des familles pour tenter de comprendre comment elle se construit à une échelle macrosociale. Accéder à leur discours demeure indispensable pour plusieurs raisons :

- La pratique se traduit par la performance d’un comportement, mais tout comportement n’est pas une pratique sociale. La dimension comportementale n’est donc pas la seule intéressante à prendre en compte. Il est dès lors nécessaire d’accéder à une mise en discours de la pratique de la part des agents qui la performent.

- Le discours des répondants permet d’accéder à des éléments qui n’auraient pas été soulignés lors des séances d’observations dans les familles.

Deux types majeurs d’entretiens existent : non directif ou semi-directif. L’entretien non directif se tient sur le lieu des observations et c’est un discours spontané de la part du répondant qui est recueilli. Cela permet au chercheur de comprendre et de mieux cerner comment les répondant construisent leur monde. Ce type d’interview prend la forme d’une conversation, plutôt que d’un entretien basé sur des questions précises, imposant des catégories au répondant sur ses compréhensions et expériences (Arnould et Wallendorf, 1994).

On retrouve en méthodes qualitatives le recours également à l’interview semi-directive, dans la perspective de l’entretien phénoménologique (Thompson, Locander et Pollio, 1989) ou de l’entretien long (McCracken, 1988). La première méthode, inscrite dans l’approche philosophique existentialiste, permet d’étudier et de comprendre en profondeur les expériences individuelles et donc le vécu de ces individus selon un entretien largement non directif. Ce type d’entretien ne correspond pas aux objectifs de cette recherche et est écarté du processus méthodologique. La seconde méthode, quant à elle, adopte un style plus semi- directif. L’entretien long est paradoxalement plus rapide et centré sur l’objectif de la recherche. Il s’est avéré adapté dans le cadre de cette recherche centrée sur une pratique sociale et permet d’être combiné avec les observations menées. Il présente l’avantage d’être moins intrusif que l’entretien de type phénoménologique en limitant le temps passé dans la vie du répondant (McCracken, 1988).

Les entretiens ont tous été menés au domicile des familles, dans la foulée des observations. Cela permet aux membres de la famille d’être à l’aise, puisqu’ils se retrouvent dans un endroit familier (McCracken, 1988). Seule une famille a souhaité pour des contraintes d’organisation réaliser les entretiens sur son lieu professionnel (il s’agit de la famille Nickel, dont les entretiens avec les parents ont été menés à leur pharmacie). Les rapports entre interviewé et interviewer se sont fait sur une base d’égalité (Kvale, 1983). L’interviewer ne s’est jamais positionné comme plus connaisseur, c’est bien l’expérience des répondants qui cherche à être atteinte et c’est bien lui qui est expert de ses propres expériences. Dans cette perspective, McCracken (1988) recommande d’adopter une position formelle, mais aussi informelle. Formelle dans le sens où une curiosité professionnelle existe (et non personnelle), qui permet de rassurer le répondant sur la confiance à accorder à l’interviewer notamment sur les questions de confidentialité. Informelle dans le sens où le chercheur ne se doit pas d’être froid ou distant, laissant penser à une indifférence pour le répondant.

Le recours à la technique de collecte de l’entretien long nécessite la préparation d’un guide d’entretien (McCracken, 1988). Le guide d’entretien permet de s’assurer que toutes les questions ou tous les thèmes sont abordés. Il permet également de maintenir une certaine distance et permet à l’interviewer, déjà fortement concentré dans l’interview, d’aider à la formulation ou à la relance. Il permet par ailleurs d’orienter le discours des répondants, dans le but de rester centré sur la problématique, ce qui le différencie d’ailleurs des entretiens non structurés. A chaque question posée, le répondant a l’opportunité de répondre de manière non structurée et exploratoire (McCracken, 1988). L’interviewer doit également savoir prendre une certaine distance avec son guide d’entretien pour poursuivre une éventuelle opportunité dans le discours du répondant.

Ainsi, « le questionnaire permet d’ordonner les données et libérer l’interviewer » (McCracken, 1988, p. 25). Le guide d’entretien est présenté tableau 5. L’entretien est organisé autour de trois thèmes : le développement durable, les expériences de consommation environnementales et les pratiques liées au tri des déchets, aux économies d’énergie et à l’utilisation des transports. Nous avons cherché à focaliser le répondant sur des évènements et des expériences précises pour obtenir la description la plus complète et détaillée de leur performance du tri des déchets. Par exemple, nous avons eu recours à des questions descriptives, telle que : « quelles actions menez-vous en faveur du développement durable » ? avec des relances spécifiques du type « racontez-moi telle action », « comment se passe t- elle », « quand a t-elle été mise en place »…

Développement durable Qu’est ce que vous évoque la notion de développement durable ? Quelles sont les actions que vous mettez en place au quotidien ? Racontez-moi.

Relances : avez vous toujours fait ainsi ? y a t-il eu des changements à un moment donné ? quand ? comment ?

Au sein de votre famille, qui est le plus sensible au développement durable ? Qu’est ce qu’il/elle fait ? Racontez-moi.

Consommation environnementale

Est ce que cela vous arrive d’acheter ou de consommer des produits bénéfiques pour l’environnement ? Racontez-moi.

Relances : C’était quand la dernière fois ? Vous étiez avec qui ? Qu’avez vous acheté/ consommé ?

Pratiques du tri des déchets, des économies d’énergie et de l’utilisation des

Racontez-moi le tri de vos déchets

Relances : triez-vous vos déchets ? combien de poubelles/ containers avez vous ? Comment triez-vous vos déchets ? Qui s’occupe des déchets dans la famille ? Avez-vous toujours trié vos

transports déchets ?

Pour aller à votre travail, quels sont les moyens de transport que vous utilisez ? Est ce que cela vous arrive de prendre les transports en commun ? Racontez moi. C’était quand la dernière fois ? Racontez-moi vos pratiques en matière d’énergie. Comment faites- vous ? Faites vous des économies d’énergie ? Comment ?

Tableau 5. Présentation du guide d’entretien conduit avec les répondants adultes

Ces thèmes sont amenés par l’interviewer si le répondant ne le fait pas spontanément. Les thèmes ne sont pas forcément abordés dans l'ordre du guide, mais selon le discours de l'interviewé. Comme l'indique Kaufmann (2008), la grille des questions est un guide très souple et il est assez rare que l'interviewer ait à les lire et à les poser les unes après les autres. C'est un simple guide pour faire parler les répondants autour du sujet, l'idéal étant de déclencher une dynamique de conversation plus riche que la simple réponse aux questions. Alors qu’Evrard, Pras et Roux (2003) recommandent le recours à des thèmes généralistes, Kaufmann (2008) propose quant à lui la rédaction de questions précises et concrètes car elles fournissent des outils plus affûtés. Elles sont alors rédigées en direction d'un répondant fictif, en tentant d'imaginer ses réactions et ses réponses, ce qui permet d'augmenter la précision. Les questions posées doivent être naturellement rangées par thèmes et l'ensemble doit être cohérent : il ne faut pas passer du coq à l'âne. Le guide d'entretien doit démarrer par quelques questions simples et faciles pour rompre la glace mais elles ne doivent pas être trop nombreuses pour ne pas tomber dans un style de réponses superficielles. Cela soulève le problème de l'intégrité des réponses des personnes interrogées. En effet, on pourrait penser qu'un certain nombre de réponses sont biaisées car on touche aux habitudes de consommation familiales, ce qui est un sujet relativement intime et en tous les cas, certainement pas neutre. Certains répondants peuvent dans ce cas fournir des informations différentes de la réalité de manière à les rendre socialement acceptables (Kaufmann, 2008). Nous avons retrouvé ce décalage entre observations et entretiens chez quelques répondants :

« Parce que par exemple, quand je vais chez le boucher, j’me dis tiens la viande, le papier qui entoure la viande, voilà, je le mets dans ma poubelle, dans ma poubelle normale, alors que théoriquement, un papier, ça devrait aller dans la poubelle jaune » (mère Nickel).

Certains répondants se sont par exemple rendus compte au moment de l’interview que leur discours sur leurs pratiques de tri était en contradiction avec les pratiques réellement performées. D’autres prennent conscience que leurs comportements sont en décalage avec la

norme :

« Alors, recyclage, …, ben écoute, ouais, on a notre poubelle de tri, là, et poubelle normale, et je suis pas du tout maniaque [rires], euh, ça m’arrive d’y balancer du verre. Tu vois, les petites, genre une petite bouteille de jus d’orange, ça je me vois bien la balancer en me disant « tant pis », tant pis pour une petite bouteille, c’est pratique. Voilà » (mère Bohème).

Ils avaient élaborés un discours socialement acceptable et tentaient de minimiser leurs comportements en décalage. Cette prise de conscience au moment des entretiens ne nous permettait pas de multiplier les séances d’entretiens avec les membres des familles, au risque de changements dans les comportements trop importants en notre présence.

Les fondements de non directivité y sont appliqués :

- l'interviewer doit faire preuve d'une « attention positive inconditionnelle » vis-à-vis de l'interview (Evrard, Pras et Roux, 2003, p. 101). Il doit avoir une attitude d'esprit où il accorde de la valeur à tout ce que dit l'interviewé : tout ce qui est dit est important.

- l'interviewer doit développer une « attitude empathique » (Evrard, Pras et Roux, 2003, p. 101), c'est-à-dire qu'il doit avoir la capacité à percevoir et comprendre le cadre de référence de l'interviewé et de lui restituer cette compréhension. Selon Kaufmann (2008), l'interviewer doit savoir rester modeste et discret tout en étant actif et en menant le jeu. Il doit parvenir à s'introduire dans l'intimité affective de l'interviewé en mettant de côté ses propres opinions et catégories de pensées. Par ailleurs, nous avons exclu de donner notre opinion au cours des entretiens, même si les répondants nous sollicitaient explicitement, afin d’éviter tout biais et pour ne pas mettre mal à l’aise nos répondants.

Une fois l’entretien achevé, il a été demandé aux répondants s’ils avaient quelque chose à ajouter qui n’aurait pas été abordé au cours de l’entretien, dans le but de le laisser « sortir » de l’entretien en douceur. Une répondante s’est trouvée gênée lors de l’entretien. Malgré nos relances, nous n’avons pu conduire un entretien satisfaisant. L’entretien a été court (une demi heure) et le sentiment que nous avons eu est d’être « passés à côté de l’entretien ». Une fois le magnétophone éteint, la répondante s’est exprimée plus sereinement et est revenue sur certains points de l’entretien que nous n’avions pas su approfondir avec elle.

La durée moyenne d’un entretien semi-directif dure entre 30 minutes et une heure (Evrard, Pras et Roux, 2003), mais il peut être plus long selon le répondant, le contexte de la recherche et la nature de l’entretien (récit de vie ou entretien non directif ou encore semi-directif). Dans

ce travail doctoral, les entretiens sont d’une durée moyenne de 50 minutes avec les mères et 40 minutes avec les pères. Tous les entretiens ont été intégralement retranscrits en tenant compte, dans toute la mesure du possible, des silences, hésitations, rires, ou intonations de voix. Cette retranscription rigoureuse nous permet de préparer l’analyse. Deux entretiens sont présentés en annexe 4.

Entretien et observation participante sont deux méthodes qui répondent à la théorie de la pratique sociale. Grâce à elles, nous pouvons capter tant la dimension des faires que la dimension des dires inhérentes à la pratique sociale. Cependant, même si la théorie de la pratique sociale est satisfaite, les enjeux méthodologiques liés à l’étude du groupe familial ne le sont pas entièrement. En effet, même si ces méthodes sont parfaitement adaptées pour l’étude de la population adulte, elles ne le sont pas forcément pour l’étude des enfants.