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Le caractère collectif de la pratique sociale du tri des déchets 119!

Partie I. Revue de la littérature 29!

Section 1. Le tri des déchets : une pratique sociale imposée et collective 114!

2. Le caractère collectif de la pratique sociale du tri des déchets 119!

Dans les recherches sur la consommation responsable, l’unité d’analyse généralement retenue est l’individu. Mais est-elle toujours la plus pertinente ?

La consommation responsable est certainement l’un des thèmes de recherche majeur de ces dernières décennies. Cet engagement dans la consommation responsable se traduit notamment dans les décisions d’achat (Follows et Jobber, 2000 ; Freestone et McGoldrick, 2008 ; Carey, Shaw et Shiu, 2008). Les recherches sur cette thématique, initiées par Webster (1975) et reprises par la suite par Roberts (1995) ou encore François-Lecompte et Valette-Florence (2004) ont cependant toutes été centrées sur l’individu. Un premier courant de travaux s’est intéressé au profil du consommateur socialement responsable : qui est-il, quelles sont ses caractéristiques, comment les mesure-t-on, et enfin quelles sont les raisons de ce comportement responsable (e.g. Webster, 1975 ; Giannelloni, 1998 ; Auger et al., 2003 ; Webb, Mohr et Harris, 2008 ; d’Astous et Legendre, 2009) D’autres recherches ont approché le consommateur responsable par la question identitaire et la recherche du sens donné à cette consommation (Connolly et Prothero, 2003 ; Autio, Heiskanen et Heinonen, 2009 ; Özçağlar- Toulouse, 2009).

Récemment, le groupe est apparu comme pertinent lorsqu’il s’agit d’étudier le changement de comportement en matière environnementale. En écologie industrielle, l’étude des comportements de consommation énergétique a été menée au sein des foyers (Gram-Hanssen, 2011). Le changement de comportement environnemental a également été étudié au sein d’une entreprise, prenant comme unité d’analyse une équipe de professionnels (Hargreaves, 2011). Toutes ces recherches mettent en avant l’intérêt d’étudier des routines collectives, arguant que la pratique est une pensée collective ; le groupe générant la performance de la pratique durable et sa reproduction. Car c’est par l’acquisition de bonnes pratiques collectives qu’un changement social pourra s’opérer (Peattie et Collins, 2009).

En marketing, les recherches sur la consommation responsable adoptant un point de vue collectif sont rares. Elles s’intéressent à la prise de décision familiale, dans une perspective éthique (Carey, Shaw et Shiu, 2008) ou environnementale (Grønhøj, 2006 ; Grønhøj et Ölander, 2007). La recherche menée par Carey, Shaw et Shiu (2008) a pour cadre la prise de décision familiale dans le champ de la consommation éthique. Plus particulièrement, elle a pour objectif de comprendre les enjeux des processus de consommation éthique dans les familles ayant des enfants de moins de trois ans. Les résultats mettent en évidence l’existence d’un facteur d’héritage ; les parents prennent conscience des enjeux éthiques lors de la naissance de leur enfant. C’est plus particulièrement la mère qui est identifiée comme celle poursuivant ce style de vie éthique, venant corroborer que les mères sont plus sensibles à ce style de vie. Grønhøj (2006) et Grønhøj et Ölander (2007) ont mené des recherches sur la famille et la prise de décision dans un contexte environnemental (pratiques d’achat de produits pro-environnementaux, gestion des déchets et transport). Comme dans la recherche menée par Carey, Shaw et Shiu (2008), la division genrée des tâches est mise en avant : une dichotomie intérieur/ extérieur est observée, à l’instar de ce qui a été souligné dans les recherches de Bourdieu (1980). Ils utilisent par ailleurs le concept de communication familiale pour expliquer l’adoption de pratiques pro-environnementales, telles que le tri des déchets. Les familles communiquent autour des enjeux environnementaux, dans des termes relatifs au temps, à la facilité, la santé ou encore l’économie. Cette communication est envisagée plus pour trouver des solutions concrètes aux préoccupations quotidiennes des familles plutôt que pour trouver des solutions aux enjeux planétaires. Par ailleurs, seul un petit nombre de conversations familiales sont orientées vers l’éducation des enfants en vue de les rendre consommateurs responsables.

Meneses et Palacio (2005) proposent une approche différente par le rôle sur le comportement du tri des déchets. Ce dernier est défini comme un comportement multidimensionnel qui prend place dans la sphère familiale. Les auteurs soulignent la rareté des recherches sur ce groupe familial et proposent d’établir le profil sociodémographique et psychographique des rôles et tâches tenus par les individus au sein du foyer (restreint au couple parental). Ils déplorent que le comportement du tri des déchets ne soit appréhendé que du point de vue d’un objet ou produit particulier, laissant de côté l’étude de ce comportement par l’activité, la tâche ou la fonction qu’il représente au sein du foyer. Ainsi, se basant sur le concept de rôle, ils portent intérêt au rôle tenu par chacun dans le groupe familial. Ils les classifient de la manière suivante : influenceur (‘influencer’), initiateur (‘initiatior’), celui qui prend la décision (‘decision maker’), celui en charge de porter les déchets dans les centres de tri (‘vendor’), le

persuadeur (‘persuader’), l’exécuteur (‘enforcer’) (celui qui établit les normes pour l’entreposage des déchets, leur séparation et celui qui s’assure également que l’activité est bien menée) et le celui qui rejette la pratique (‘rejecter’). Leur application empirique, basée sur une collecte de données par questionnaires auto-administrés, montre que les membres de la famille ont des rôles différents dans le comportement du tri des déchets. Ces rôles s’expliquent par des facteurs sociodémographiques et psychographiques. Leurs résultats soulignent le rôle prépondérant de la femme, qui porte tous les rôles (sauf celui de ‘vendor’ et de ‘rejecter’). Cela suggère que le comportement du tri n’est effectué que par la femme au sein du couple parental : c’est elle qui influence, qui initie la démarche, qui prend les décisions au sein du couple et qui enfin est en charge des déchets au sein de l’habitat, s’assurant de la bonne exécution de cette activité. Par contre, elle ne semble pas être dans le rejet de ce comportement, ni en charge des déchets en extérieur de la sphère privée de son habitat (ce n’est pas elle qui tient le rôle de ‘vendor’, c’est à dire de porter en déchèterie les déchets). Ces deux rôles n’ont d’ailleurs pas montré de lien significatif.

Ce rôle prépondérant de la femme dans la sphère domestiques a été souligné auparavant dans la littérature sur l’adoption de comportements écologiques (Arcury, Scollay et Johnson, 1987 ; Schahn et Holzer, 1990 ; Davidson et Freudenburg, 1996). Le comportement du tri des déchets est ancré dans la sphère domestique où la femme a traditionnellement plus de pouvoir de décision que l’homme (Davis, 1976 ; Miller, 1998 ; Kaufmann, 1997).

En 2011, la revue International Journal of Consumer Studies a publié un numéro spécial sur la consommation énergétique durable des foyers, en mettant largement en avant l’aspect technologique (volume 35, 2011). Même si ces recherches permettent une approche des processus de prise de décision au sein de la famille en matière éthique et de choix technologiques énergétiques, nous sommes toujours ignorants quant aux routines de consommation des familles en matière environnementale. De plus, ces recherches se limitent au couple parental. Or l’apport de l’enfant n’est peut-être pas négligeable en ce domaine. Les consommateurs adultes ne semblent en effet pas être les seuls concernés par les politiques publiques de déchets. Les enfants, au travers d’une éducation environnementale reçue à l’école, sont aussi censés devenir acteurs de la pratique du tri.

Dès l’école primaire, les enfants sont sensibilisés à l’environnement. L’éducation est considérée comme « une composante importante de la formation initiale des élèves, dès leur plus jeune âge et tout le long de leur scolarité, pour leur permettre d’acquérir des

connaissances et des méthodes nécessaires pour se situer dans leur environnement et y agir de manière responsable » (Circulaire n°2004-110 du 8 juillet 2004).

Compte tenu de l’âge des enfants, l’éducation nationale privilégie l’éducation liée à la composante environnementale. Quatre pôles sont étudiés : la biodiversité, l’évolution des paysages, la gestion des environnements et la notion « réduire – réutiliser – recycler ». Au cours de leur scolarité du primaire, les enfants travaillent sur l’apprentissage des gestes quotidiens : fermer les robinets, éteindre les lumières, trier les déchets, comparer les emballages. Plus ils grandissent, plus les notions sont approfondies. Par exemple, à la suite de cette éducation sur les gestes quotidiens, un travail sur l’implication du citoyen est proposé (lutter contre le gaspillage et apprendre à gérer sa consommation). Enfin, dans un troisième temps, l’enfant est responsabilisé : il apprend à gérer sa consommation, il connait les sources d’énergie et il compare les modes de consommation des pays du Nord vs. pays du Sud. L’enfant acquiert donc un certain nombre de connaissances, essentiellement théoriques. Il est en partie socialisé à l’environnement (Hajtaieb El Aoud, 2008) et il est susceptible de les transmettre à sa famille, surtout à partir du stade opératoire concret (Easterling, Miller et Weinberg, 1995).

Quelques travaux ont d’ailleurs intégré l’enfant. En matière de développement durable, l’enfant possède en effet des connaissances et bénéficie d’une socialisation écologique à l’école ou à la maison (Hajtaieb El Aoud, 2008). L’auteur met en évidence une connaissance et une préoccupation pour l’environnement chez les enfants de 7 à 11 ans. Les agents de socialisation classiquement trouvés dans la littérature sont évoqués : l’école, la famille et les médias. Une socialisation inverse peut être envisagée, les enfants étant susceptibles d’amener des nouveaux comportements de consommation au sein du groupe familial (Gollety, 1997, 1999 ; Ekström, 2007). Gollety (1999) et Ekström (2007) ont décrit le phénomène de socialisation inverse dans les prises de décisions d’achat. Nous pouvons faire un parallèle et envisager qu’un tel phénomène soit observé dans les comportements écologiques de tri des déchets. Cette socialisation écologique leur permet d’intégrer des comportements sur le long terme (Brée, 2007). Dans la mesure où l’enfant est susceptible d’avoir un rôle majeur dans l’adoption de comportements environnementaux, il doit être intégré dans la recherche à part entière. Il ne s’agit pas seulement de choisir des familles avec enfants, il faut aussi faire de ces derniers des répondants ou observés potentiels, ce que nous développerons dans la partie dédiée à la méthodologie. Dès lors, s’intéresser aux pratiques environnementales des familles, et de familles intégrant un enfant en âge d’avoir une certaine connaissance du domaine écologique, paraît un choix judicieux pour appréhender les pratiques de consommation

environnementale à la lumière de la théorie de la pratique sociale. Mais il faut pour cela identifier des méthodologies, qui soient pertinentes d’une part pour l’étude du groupe familial (parents et enfants), d’autre part pour l’étude de la pratique sociale (cf. partie 2. Méthodologie). Avant cela, nous définissons la problématique de cette recherche doctorale.

Section 2. Cadre conceptuel et émergence de la question de recherche