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1 Une spécialisation nuisible au financement de l’économie

150. L’un des principaux arguments pour mettre en avant l’aspect néfaste de la

séparation des activités bancaires est l’augmentation du coût du crédit. En effet, le taux d’intérêt du crédit dépend directement du taux auquel se financent les banques. Or, ce dernier dépend du risque de solvabilité de la banque, ce risque pouvant être diminué notamment par une diversification des activités d’une société ou un montant important de fonds propres416.

151. Pour ce qui est de la diversification, en imposant une séparation des activités

bancaires, la multiplicité des activités est automatiquement restreinte et donc le risque de défaillance théorique augmente. Ainsi, le risque de crédit du prêteur de la banque augmente corrélativement. Cela a pour conséquence de rendre le financement des

415 Fédération bancaire française, Le projet de loi bancaire ne favorise pas le retour à la croissance, 19

déc. 2013. Disponible sur : http://www.fbf.fr/web/Internet2010/Content.nsf/0/5903F251B2E12BA 0C1257AD90042C6EA ? OpenDocument.

banques plus onéreux car davantage soumis au risque de non-recouvrement, aussi bien pour les banques de dépôt que pour les banques d’affaires.

Quant au montant des fonds propres, cela impacte principalement les banques d’affaires qui seront privées des dépôts de la clientèle. Tout d’abord, leur taux d’intérêt du financement sera plus important car elles ne pourront plus bénéficier des dépôts de la clientèle qui permettent d’assurer la couverture du risque de liquidité417 à leurs

cocontractants – ni de la garantie implicite de l’État, mais cet argument n’est évidemment pas avancé par les défenseurs du modèle de banque universelle. Ensuite, cet accroissement du prix du financement va entraîner une augmentation de l’endettement des banques d’affaires qui auraient déjà des difficultés à respecter la règlementation de l’accord de Bâle III418.

152. Du point de vue des banques de dépôt uniquement, qui est celui qui doit être

privilégié compte tenu de l’objectif de restriction des risques pesant sur les dépôts et de limitation de l’aléa moral, l’interdiction du modèle de banque universelle conduit donc à accroître le coût du financement des banques du fait de la baisse de la diversité des activités, ce qui sera immanquablement répercuté sur les emprunteurs. Le coût du financement général de l’économie risque d’augmenter considérablement, restreignant alors son développement. Si cette analyse est juste en théorie, elle s’avère limitée en pratique car il est peu probable que les cocontractants des banques ne s’adaptent pas aux réformes bancaires et continuent à exiger des taux d’intérêt plus élevés que ceux qu’ils imposaient à un modèle de banque qui n’existe plus. L’économie devrait ainsi s’adapter naturellement à la nouvelle répartition des activités bancaires et constater qu’une telle séparation permet in fine de réduire les risques de marché pesant sur les banques de dépôt. Finalement, il résulte des arguments des partisans de la banque universelle que seules les activités de banque d’affaires sont réellement impactées négativement par la séparation et que ses effets sur les clients sont relativement limités au regard de la nécessaire sécurité qui en résulte pour l’économie réelle tout entière419.

417 V. glossaire.

418 ANTONIN C. et TOUZE V., « L. de séparation bancaire : symbole politique ou nouveau paradigme

économique ? », Observatoire français des conjonctures économiques, 22 févr. 2013. Disponible sur : http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/?p=3343.

153. Les partisans de la banque universelle ajoutent qu’à l’augmentation du coût

de financement des banques, il faut ajouter le coût de la réforme en elle-même. Séparer les banques d’affaires des banques de dépôt entraînera forcément des dépenses structurelles dues à la réorganisation des activités, qui se répercuteront certainement sur le client. Ainsi, le coût opérationnel du Financial Services (Banking Reform) Act est estimé, par le rapport de la Commission indépendante sur la profession de banquier présidée par John Vickers, à une somme comprise entre quatre et sept milliards de livres par an420, malgré pourtant les imprécisions de la loi qui ne peuvent permettre un chiffrage efficient. Les banques anglaises considèrent, évidemment, que cette évaluation est en deçà du coût qu’elles ont eu à supporter421. La mise en place, dans la filiale cloisonnée et d’une gouvernance propre afin de garantir son autonomie et son indépendance est une des mesures coûteuses des lois de séparation bancaire. Cela nécessite l’embauche d’un personnel dédié à la filiale et de mandataires sociaux indépendants. Cependant, face aux avantages d’une telle séparation pour l’ensemble de l’économie réelle, ce coût est insignifiant.

154. De tels dépenses font redouter aux partisans du modèle de banque universelle

une perte de compétitivité des banques soumises à la séparation. Soumises à une règlementation supplémentaire par rapport aux banques ayant leur siège social dans des États n’ayant pas mis en place une telle séparation, elles devraient être confrontées à une perte de compétitivité selon les partisans du modèle de banque universelle. Cette analyse serait juste si les règlementations mises en place prévoyaient un réel cloisonnement des activités spéculatives en incluant la tenue de marché, mais, en l’état, l’impact du projet sur les banques, et donc sur leur compétitivité, est minime. Les partisans du modèle de banque universelle indiquent que, dans le cas d’un cantonnement effectif des activités spéculatives, la taille des banques serait restreinte, elles ne pourraient plus offrir l’intégralité des services bancaires et financiers à leurs clients, ce qui engendrerait automatiquement une perte de compétitivité face aux

420 Independent Commission on Banking, Final Report : Recommendations, Royaume-Uni, sept. 2011,

p. 141.

421 DE VAUPLANE H., « La séparation des activités bancaires, une fausse bonne idée », Le Cercle Les

Échos, 30 août 2012. Disponible sur : http://lecercle.lesechos.fr/entreprises-marches/finance- marches/banques-assurances/221153142/separation-activites-bancaires-faus.

établissements bancaires géants étrangers. Cependant, une telle conséquence est forcément induite par le principe même d’une séparation des activités, qui préfère diminuer la taille des banques pour mieux encadrer leurs éventuelles difficultés. C’est donc une perte de compétitivité au profit de l’application d’un principe de prudence. Pour éviter cette distorsion de concurrence dans l’hypothèse d’une séparation effective des activités bancaires, il faudrait que tous les États se coordonnent afin d’adopter une règlementation bancaire harmonisée422. Cette coordination est déjà difficile à réaliser au sein de l’Union européenne, le projet d’union bancaire se développant très lentement, elle semble alors impossible à un niveau international. Quoi qu’il en soit, il est certain que la recherche de compétitivité doit s’effacer au profit de la prudence nécessaire pour éviter une nouvelle crise économique issue des activités de marché.

155. Les partisans du modèle de banque universelle craignent également que

l’excès de règlementation soit un support à la spéculation. En effet, lorsqu’une banque éprouve des difficultés à respecter certaines contraintes règlementaires, les opérateurs sur le marché peuvent avoir tendance à spéculer contre elle et donc à provoquer sa cessation des paiements tout en s’enrichissant423. Cet argument est contestable car seules les banques de taille systémique ou quasi systémique devront respecter les dispositions prévues par les réformes, or celles-ci peuvent assumer le coût d’une séparation des activités et ne devraient ainsi pas faire défaut du fait de l’application de cette règlementation. De plus, la spéculation contre les sociétés éprouvant des difficultés n’est pas systématique et n’est pratiquée que par des sociétés manquant particulièrement d’éthique. Or, la crise de 2007 a montré que les dirigeants sociaux doivent répondre de certains des actes de leur société devant les contribuables, cela a été le cas pour Lloyd Blankfein, président-directeur général de Goldman Sachs Group, Inc., qui a été interrogé par le Sénat américain pour avoir vendu des produits risqués à ses clients puis spéculé contre eux424, ainsi que pour Jamie Dimon, président-directeur général de JPMorgan Chase & Co, qui a été entendu par le Sénat américain à la suite

422 ANTONIN C. et TOUZE V., op. cit. 423 Idem.

424 DE GASQUET P., « Le Sénat accuse Goldman Sachs d’avoir alimenté la bulle immobilière », Les

Échos, 28 avril 2010. Disponible sur : http://www.lesechos.fr/28/04/2010/LesEchos/20666-148- ECH_le-senat-accuse-goldman-sachs-d-avoir-alimente-la-bulle-immobiliere.htm.

des lourdes pertes liées aux activités de marché qu’a subi la banque en 2012425. En conséquence, peu de sociétés ayant une taille importante oseront parier contre une banque qui éprouve des difficultés, et les sociétés moins imposantes n’ont pas une dimension financière suffisante pour avoir un impact sur les cotations boursières. En pratique, seuls les fonds d’investissement sont susceptibles d’une telle spéculation, le risque est donc très restreint. En revanche, si ce risque est minime, un autre l’est beaucoup moins, il s’agit de l’éventuel développement du shadow banking.

§2. Une spécialisation favorable au développement de la finance