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Sur la base de ce triptyque de devoirs d’informer, la Cour de cassation a

II – Le défaut de régulation bancaire, créateur de risque systémique

A. L’initiative régulatrice de la Cour de cassation

43. Sur la base de ce triptyque de devoirs d’informer, la Cour de cassation a

déterminé en fonction du service proposé par la banque, et donc des risques associés pour le client, le degré d’information qui doit être apporté par celui-ci. Ainsi, lorsque le banquier agit en dispensateur de crédit, la Cour de cassation lui a imposé, en plus de son devoir d’information, un devoir général de mise en garde vis-à-vis du client non averti. Cette obligation est issue des quatre arrêts de principe qui ont été rendus par la Cour de cassation le 12 juillet 2005, elle y approuve le raisonnement de la Cour d’appel qui « après avoir analysé les facultés contributives des époux [emprunteurs], en tenant compte notamment des revenus produits par la location de la maison achetée au moyen du prêt litigieux, la cour d’appel constatant que les emprunteurs ne pouvaient faire face aux échéances de ce prêt avec leurs revenus locatifs, non plus qu’avec leurs très modestes ressources, a retenu que la banque avait méconnu ses obligations à l’égard de ces emprunteurs profanes en ne vérifiant pas leurs capacités financières et en leur accordant un prêt excessif au regard de leurs facultés contributives, manquant ainsi à son devoir de mise en garde »154. Cette solution a par la suite été répétée dans de

nombreux arrêts155, dont des arrêts de chambre mixte156, indiquant la volonté d’établir une jurisprudence constante.

Il résulte de cette jurisprudence que l’obligation de mise en garde est subordonnée à deux conditions, d’une part, l’emprunteur doit avoir la qualité de non averti157 et, d’autre part, le prêt doit être inadapté aux capacités financières de l’emprunteur. Ainsi, le devoir de mise en garde n’a pas à être respecté lorsque le prêt est adapté aux capacités financières déclarées de l’emprunteur158. Dans ce cas, le banquier n’a pas à rechercher si le client est un emprunteur averti ou non159, mais subsiste en revanche et dans tous les cas l’obligation d’information au bénéfice du client. Comme l’a indiqué

154 Notamment : Cass. 1re civ., 12 juill. 2005, 4 arrêts dont n° 03-10.921, op. cit.

155 Cass. 1re civ., 21 févr. 2006, n° 02-19.066, Bull. 2006, n° 91 : D. 2006, p. 1618, note FRANÇOIS

J. ; Banque et droit 2006, n° 108, p. 63, obs. BONNEAU Th. ; RTD com. 2006, p. 462, obs. LEGEAIS D. – Cass. 1re civ., 12 juill. 2006, n° 05-12.699, Bull. 2006, n° 398 : Banque et droit 2006, n° 109, p. 50,

obs. BONNEAU Th. – Cass. com., 3 mai 2006, n° 04-15.517, Bull. 2006, IV, n° 101, op. cit. – Cass. com., 20 juin 2006, n° 04-14.114, Bull. 2006, IV, n° 145, op. cit.

156 Cass. ch. mixte, 29 juin 2007, n° 06-11.673, Bull. 2007, n° 8, op. cit. 157 V. supra, n° 39.

158 Notamment : Cass. 1re civ., 19 nov. 2009, n° 08-13.601, Bull. 2009, I, n° 232 : JCP E 2009, 2140,

note LEGEAIS D. – Cass. 1re civ., 17 déc. 2009, 2 arrêts (n° 08-12.783 et n° 08-11.866) : JCP E 2010,

1068, note LEGEAIS D.

un auteur, la mise en garde « ne se conçoit qu’en présence d’un danger »160. Dès lors, le banquier est tenu de vérifier les capacités financières de son client préalablement à tout octroi d’un emprunt afin de déterminer s’il est soumis à l’obligation de mise en garde. À titre d’illustration, le juge du fond ne peut accueillir la demande d’une banque en paiement de sommes dues au titre d’un prêt sans avoir antérieurement recherché si la banque, qui a contracté avec un emprunteur non averti, a vérifié ses capacités financières et l’a prévenu le cas échéant du risque d’endettement lié à l’octroi du prêt avant de le lui accorder161. Il est à noter que la Cour de cassation a souhaité conserver un devoir de mise en garde qui s’applique largement dès lors que les deux conditions nécessaires sont remplies ; ainsi, cette obligation subsiste même lorsque le prêt est manifestement excessif et que l’emprunteur ne pouvait l’ignorer162, et même lorsque le montant du prêt consenti est minime163 (dès lors que l’emprunteur n’a pas les

capacités financières pour y faire face). Dans le cas où le client qui cherche à emprunter est averti, le banquier dispensateur de crédit est en principe déchargé de son devoir de mise en garde164. Toutefois, si ce dernier dispose d’informations sur la situation de

l’emprunteur ou sur les risques encourus que l’emprunteur lui-même est en droit d’ignorer, le devoir de mise en garde est rétabli165.

Aux conditions précitées, la Cour de cassation a également ajouté a posteriori que l’emprunteur doit faire preuve de bonne foi. Ainsi, la responsabilité du banquier dispensateur de crédit ne peut pas être recherchée si l’emprunteur a dissimulé sa situation réelle à la banque166. En effet, une des principales sources d’information du banquier pour analyser la situation financière de son client est l’emprunteur lui-même. Dès lors, s’il n’a pas un comportement loyal en communiquant les informations

160 ROUTIER R., JCP E 2014, 1340.

161 Cass. 1re civ., 19 nov. 2009, n° 08-13.601, Bull. 2009, I, n° 232, op. cit.

162 Cass. 1re civ., 24 sept. 2009, n° 08-16.345, Bull. 2009, I, n° 191 : JCP E 2009, 2024. 163 Cass. 1re civ., 25 juin 2009, n° 08-12.100.

164 Cass. com., 3 mai 2006, n° 04-19.315, op. cit.

165 Notamment : Cass. com., 22 juin 2010, n° 09-15.124 : en l’espèce, le banquier a consenti un emprunt

pour un client souhaitant acquérir un fonds de commerce dont le banquier, en tant que créancier du vendeur, savait qu’il était à vendre à un prix totalement surévalué compte tenu de l’absence de perspectives précises d’accroissement des bénéfices exploitation.

166 Cass. 1re civ., 30 oct. 2007, n° 06-17.003, Bull. 2007, I, n° 330 : JCP E 2007, n° 2576, note LEGEAIS

D. ; D. 2008, p. 256 – Cass. 1re civ., 30 oct. 2007, n° 06-17.003, Bull. 2007, I, n° 330 ; JCP G 2008, II,

10055, note GOURIO A. ; JCP E 2007, 2576, note LEGEAIS D. ; D. 2007, p. 2871 ; D. 2008, p. 257, note BAZIN E.

nécessaires sur son patrimoine, ses charges et ses revenus, il ne peut se prévaloir de l’obligation de mise en garde.

En cas de défaut du banquier soumis à l’obligation de mise en garde, la Cour de cassation a établi que le préjudice réparable est celui d’une perte de chance de l’emprunteur de ne pas avoir contracté le prêt litigieux167. Généralement, les juges

allouent l’équivalent des intérêts du prêt en dommages et intérêts, de telle façon que l’emprunteur ne doit plus rembourser que la somme prêtée168. Cela apparaît comme

équitable à la fois pour l’emprunteur non averti et pour le banquier qui n’a pas respecté ses obligations.