• Aucun résultat trouvé

1 L’interdiction de la négociation pour compte propre

84. La négociation pour compte propre est, selon le Dodd-Frank Act, l’engagement

de la banque, en tant que principal obligé, dans des transactions portant sur l’achat ou la vente de toute valeur mobilière, produit dérivé (tel que les CDO), contrat à terme portant sur la vente de marchandises, ou toutes options sur ces instruments financiers pour un compte de trading, c’est-à-dire pour un compte spéculatif permettant de profiter de la variation des cours à court terme292. Un compte dont les positions sont

détenues pendant un maximum de soixante jours, ou moins, est présumé être un compte de trading jusqu’à ce que la preuve contraire soit faite par le détenteur du compte293.

La négociation pour compte propre est donc une opération spéculative conclue au seul bénéfice de la banque, en son nom et pour son compte, à la différence des contrats qui sont conclus par la banque pour le compte de ses clients l’ayant sollicitée en ce sens. Il s’agit ainsi d’une activité purement au bénéfice de l’entité qui la réalise et qui n’est donc pas utile au financement de l’économie ni ne soutient l’économie réelle, mais qui est souvent risquée. En effet, le trader pour compte propre conclut des contrats à très court terme sur les marchés financiers, souvent sur des instruments financiers risqués ayant un fort rendement, sur lesquels ils engagent de fortes sommes d’argent. Il ne s’agit pas là d’une logique d’investissement qui s’appuie sur l’économie réelle et dans laquelle les gains et les pertes sur la valeur de l’instrument financier peuvent se compenser sur le long terme. En conséquence, dans des opérations de négociation pour compte propre, les pertes – tout comme les gains – peuvent être rapides, conséquentes et inattendues, voire aléatoires. Cette activité financière est de ce fait unanimement reconnue comme risquée. De ce fait et compte tenu de son

292 « The term “proprietary trading” [...] means engaging as a principal for the trading account of the

banking entity [...] in any transaction to purchase or sell, or otherwise acquire or dispose of, any security, any derivative, any contract of sale of a commodity for future delivery, any option on any such security, derivative, or contract... » Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act, Pub. L. 111- 203, 124 Stat. 1376, 21 juill. 2010, p. 1630.

absence d’intérêt pour l’économie réelle, elle doit être strictement exclue de la garantie implicite des États.

85. En ce sens, l’instabilité de la négociation pour compte propre a incité le

législateur américain à proscrire cette activité à toutes les sociétés entrant dans le champ d’application de la loi294 : la section 619 du Dodd-Frank Act prohibe aux entités

bancaires, au sens donc de la présente loi, de s’engager dans une activité de négociation pour compte propre. Si l’interdiction semble ferme de prime abord, elle se trouve considérablement affaiblie par d’autres dispositions du texte. En effet, une partie du

Dodd-Frank Act s’intitulant « permitted activities » (activités permises) vient déroger

à la prohibition posée au début de la section 619 consacrée à la Volcker Rule.

Les activités exemptées par la loi regroupent notamment les opérations de teneur de marché, de couverture des risques, de gestion des actifs pour le compte de clients ou pour le compte d’une société d’assurance, d’achat et de vente d’obligations émises par l’État et de transaction à l’étranger. Cette multiplicité des exceptions conduit à vider en partie l’interdiction de sa substance. Il faut cependant souligner que, pour plusieurs d’entre elles, l’accent est mis sur le critère de l’intérêt du client pour justifier l’exemption. Par ailleurs, certaines exclusions sont justifiables (comme la gestion des actifs pour le compte de clients qui se rapproche d’une activité pour compte de tiers et les opérations sur les obligations émises par l’État qui sont des titres très peu risqués bien qu’étant parfois à très long terme) et d’autres ne sont pas toujours aisées à mettre en œuvre. Par exemple, pour qu’une opération soit considérée comme étant une transaction à l’étranger, l’entité bancaire doit ne pas être contrôlée par une banque américaine, avoir la majorité de ses actifs et de ses revenus générés à l’étranger tandis que le contrat de transaction doit être totalement extérieur aux États-Unis, c’est-à-dire que les parties ne doivent pas y avoir leur siège social, le personnel concerné ne doit pas se trouver aux États-Unis, le contrat doit être exécuté en dehors de cet État... D’autres exceptions sont en revanche plus faciles à appliquer, voire trop souples, permettant de dissimuler des activités de négociation pour compte propre pures.

86. C’est principalement le cas de l’activité de teneur de marché qui est exclue des

activités prohibées aux entités bancaires, car elle est en principe une activité au service des clients. Cependant, il peut être difficile de distinguer une activité de teneur de marché de la négociation pour compte propre. En théorie, la tenue de marché est « l’engagement d’un établissement financier à apporter de la liquidité aux marchés sur une base régulière et continue, en communiquant spontanément des prix d’achat et de vente pour certains instruments financiers, ou dans le cadre de son activité habituelle, en exécutant des ordres initiés par des clients ou en réponse à des demandes d’achat ou de vente de leur part, mais dans les deux cas sans être exposé à un risque de marché important »295. Toutefois, lorsqu’une société émet des titres pour se financer et, pour rassurer les acquéreurs, demande à sa banque de dépôt de les placer auprès d’investisseurs, ceux-ci s’attendent à ce que la banque en assure une certaine liquidité en tant que teneur de marché, afin qu’ils puissent acheter davantage de titres ou les revendre à tout moment. En conséquence, pour pouvoir assurer la liquidité de ces titres, la banque est amenée à en détenir un stock. De ce fait, en rendant un service à la demande de son client émetteur de titres, elle vient miser sur la hausse ou la baisse de ceux-ci compte tenu de sa position constante d’acheteur/revendeur. Dès lors, il est difficile de savoir jusqu’où la banque est dans son rôle de prestataire au service de son client et à partir de quel moment elle mise sur l’évolution du titre afin d’en tirer délibérément profit296. Ainsi, si la tenue de marché est en principe et à l’origine au service des clients de la banque en permettant de conserver de la liquidité sur les titres les intéressant, en pratique il est aisé pour l’établissement de crédit d’en tirer des avantages pour son compte propre, voire d’en abuser en prenant des risques non requis par son activité de teneur de marché. Par ailleurs, cette activité comporte évidemment les mêmes risques que celle de négociation pour compte propre puisqu’il s’agit d’agir sur des marchés financiers qui, par nature, sont volatils. Ainsi, même une banque qui cantonne son activité à la tenue de marché sans en profiter pour dégager des bénéfices pour son compte propre s’expose à des risques de perte importants comme la

295 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à des mesures structurelles

améliorant la résilience des établissements de crédit de l’UE, op. cit., p. 27.

296 FERNANDEZ-BOLLO E., « Séparation : l’obstacle de la tenue de marché », Revue Banque, juin

Commission européenne l’a souligné dans sa proposition de règlement297. Cette activité de teneur de marché a généré de nombreux débats puisqu’il s’agit à la fois qu’une opération au service du client et d’une activité risquée sur les marchés financiers pouvant nécessiter d’engager beaucoup de liquidités298. De la même manière que pour la tenue de marché, l’exception relative couverture des risques mériterait d’être précisée et encadrée afin d’éviter toute possibilité de détournement pour réaliser une activité de négociation pour compte propre.

87. Pour les mêmes raisons que le Dodd-Frank Act, la Commission européenne a,

dans sa proposition de règlement européen, tenté de proscrire les activités de négociation pour compte propre. Elle indique ainsi dans son article 6 qu’il est interdit aux banques et aux entités entrant dans son champ d’application, incluant les filiales et succursales étrangères et les succursales européennes de banques étrangères, « d’exercer des activités de négociation pour compte propre. » Ces activités sont définies à l’article 5 comme étant « l’utilisation de fonds propres ou de fonds empruntés pour prendre des positions dans tout type de transaction d’achat, de vente, ou d’autres formes d’acquisition ou de cession, d’instruments financiers ou de matières premières, dans le seul but de réaliser un profit pour son propre compte, et sans aucun lien avec les activités, actuelles ou anticipées, menées pour le compte de clients, ou dans un but de couverture des risques de l’entité découlant des activités, actuelles ou anticipées, menées pour le compte de clients, par l’intermédiaire de salles de marché, d’unités, de divisions ou d’opérateurs de marché se consacrant spécifiquement à cette prise de positions et à cette réalisation de profit, y compris par l’intermédiaire de plateformes en ligne dédiées à la négociation pour compte propre. » Cette tentative de définition n’apporte pas les précisions nécessaires pour déterminer concrètement la limite entre activité prohibée et activité autorisée puisqu’elle se contente de caractériser pour l’essentiel la négociation pour compte propre comme étant une activité « sans aucun lien avec [celles], actuelles ou anticipées, menées pour le compte de clients ». Dès lors, il suffit d’établir un lien, quel qu’il soit, avec une activité menée

297 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à des mesures structurelles

améliorant la résilience des établissements de crédit de l’UE, op. cit., p. 19.

298 Notamment : GAUVENT S., « La tenue de marché observée à la loupe », Revue Banque, févr. 2013,

pour le compte de clients, même si elle n’est qu’envisagée, pour que l’opération soit considérée comme n’étant pas pour compte propre. Par ailleurs, comparativement à la définition fixée par le Dodd-Frank Act, celle prévue dans la proposition de règlement européen est excessivement complexe, même si, telle qu’elle est rédigée, elle semble avoir un impact plus large. En effet, la proposition dispose d’une interdiction stricte de la négociation pour compte propre avec, comme pour le Dodd-Frank Act, quelques exceptions. Sur la base du peu de précisions apportées, il semblerait que ne soient autorisées que les opérations menées pour le compte de clients ou pour couvrir un risque découlant de ces opérations, ce qui peut être relativement large et susceptible d’abus par un détournement de l’interdiction de la négociation pour compte propre si les contours ne sont pas plus précisément définis.

88. À l’inverse du Dodd-Frank Act, la proposition de règlementation européenne

ne dispose pas expressément d’une exception pour les activités de teneur de marché. En revanche, l’exposé des motifs indique clairement qu’une distinction est faite entre cette activité et la négociation pour compte propre et, incidemment, que la tenue de marché n’est pas une activité considérée comme relevant du compte propre, qu’elle n’est donc pas prohibée299. Il faut cependant souligner que cela n’est pas indiqué dans

le corps des articles de la proposition de règlement, mais uniquement dans l’exposé des motifs qui l’accompagne. En outre, la notion de tenue de marché n’apparaît à aucun endroit dans les articles à l’exception de l’article 5 qui se borne à en apporter une définition. C’est là un exemple flagrant de la non-finalisation de cette proposition dont les dispositions sont pour la plupart incertaines, à la différence du rapport dit « Liikanen » qui était bien plus abouti.

Parallèlement, sont évidemment exclues de la prohibition les obligations portant sur la dette souveraine émises par les États afin de permettre à ceux-ci de continuer à se financer aisément sur les marchés et compte tenu du faible risque que de tels investissements représentent. Également, la Commission européenne a choisi d’exclure les achats et ventes des instruments de marché monétaire qui doivent notamment être « très liquides » et « être soumis à un risque négligeable de

299 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à des mesures structurelles

changement de valeur » à des fins de gestion de trésorerie. Là encore, l’imprécision des termes du texte offrirait une grande latitude d’interprétation accompagnée d’une insécurité juridique si ce texte devait être adopté.

89. En conséquence, bien que l’interdiction de la négociation pour compte propre

soit une initiative louable pour limiter les risques pris par une banque de dépôt pour son propre avantage, elle a été quelque peu vidée de sa substance du fait de certaines exceptions aux dispositions vagues permettant de contourner l’interdiction de la négociation pour compte propre, et particulièrement de l’autorisation de continuer à effectuer une activité de teneur de marché sans aucune restriction. Ainsi, malgré un champ d’application élargi, ce sont finalement les modalités d’application qui s’avèrent mitigées. Outre cette interdiction de la négociation pour compte propre, le

Dodd-Frank Act et la proposition de règlement européen imposent également aux

banques de dépôt une obligation de restreindre leurs relations commerciales avec les fonds de placement généralement spéculatifs que sont les fonds de couverture et les