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Pour déterminer le champ d’application de l’obligation de mise en garde, la

II – Le défaut de régulation bancaire, créateur de risque systémique

A. L’initiative régulatrice de la Cour de cassation

40. Pour déterminer le champ d’application de l’obligation de mise en garde, la

Cour de cassation opère donc une distinction entre le client averti et le client non averti afin de déterminer en pratique le besoin d’information et l’obligation subséquente qui pèse sur le banquier126. Cet examen préliminaire est considéré par la Haute juridiction

122 BOUCARD F. et DJOUDI J., op. cit.

123 Notamment : FABRE-MAGNAN M., « De l’obligation d’information dans les contrats », Ed. LGDJ,

1992 ; LE TOURNEAU Ph. et POUMAREDE M., « Contrats et obligations – Classification des obligations – Autres distinctions des obligations de moyens et des obligations de résultat », Juris Classeur Code Civil, fasc. 40, 2014, n° 18.

124 MATHEY N., op. cit.

125 STORCK M., « L’obligation d’information, de conseil, de mise en garde du banquier dispensateur

de crédit », RLDA, oct. 2008.

126 Notamment parmis les quatre arrêts similaires rendus par la première chambre de la Cour de cassation

le 12 juillet 2005 : Cass. 1re civ., 12 juill. 2005, n° 03-10.921, Bull. 2005, I, n° 327 : JCP E 2005, 1359,

obs. LEGEAIS D. ; JCP G 2005, II, 10 140, note GOURIO A. ; Banque mag. 2005, n° 673, p. 94, note GUILLOT J.-L. et BOCCARA SEGAL M. ; RD bancaire et fin. 2005, obs. CRÉDOT F. et GÉRARD Y. ; D. 2005, n° 44, note PARANCE B. ; D. 2005, AJ 2276, obs. DELPECH X. ; D. 2006, Pan. p. 155, obs. MARTIN D. R. et SYNVET H. ; RDI 2006, 123, obs. HEUGAS-DARRASPEN H. ; Banque et Droit 2005, n° 104, p. 80, obs. BONNEAU Th. ; LASSERRE-CAPDEVILLE J., Les 10 ans de l’arrêt Grimaldi, RD bancaire et fin., 2015.

comme un préalable indispensable et nécessaire avant toute analyse du devoir de mise en garde et de la responsabilité du banquier. En effet, à plusieurs reprises, la première chambre civile et la chambre commerciale ont cassé et renvoyé des arrêts de Cour d’appel dans lesquels les juges n’avaient pas pris la peine de déterminer la qualité du client pour cet unique motif127.

Progressivement, la Cour de cassation a donc élaboré des critères de qualification du client non averti. De manière générale, elle définit le client averti comme étant celui qui dispose des « compétences nécessaires pour apprécier le contenu, la portée et les risques liés » aux opérations concernées128. Afin de s’assurer de la bonne information du client, la Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer que l’analyse de la connaissance du client doit se faire individuellement et que le fait que le client soit accompagné ou assisté, même par une personne avertie (fût-elle un professionnel de la finance), est sans incidence sur sa qualification de client averti ou non129. Il résulte de ces jurisprudences que la qualification du client130 s’effectue in

concreto131 et est, logiquement, à la charge des juridictions du fond132. Ces dernières

se fondent sur des critères personnels (âge, formation, expérience, etc.) et particulièrement sur l’activité professionnelle pour déterminer la compétence du client. Ainsi, il résulte des jugements des tribunaux que les cadres et les dirigeants sont

127 Notamment : Cass. 1re civ., 6 janv. 2011, n° 09-70.651, Bull. 2011, I, n° 3 : JCP E 2011, 1140, note

LEGEAIS D. – Cass. com., 30 nov. 2010, n° 10-10.950 – Cass. com., 12 nov. 2008, n° 10-10.950 – Cass. 1re civ., 30 avr. 2009, n° 08-13.870 – Cass. ch. mixte, 29 juin 2007, 2 arrêts (n° 06-11.673 et n°

05-21.104) : JCP G 2007, II, 10 146, note GOURIO A. et JCP E 2007, n° 2015, note LEGEAIS D. ; D. 2007, p. 1950, 2081, note PIEDELIÈVRE S. ; D. 2008, p. 878, note MARTIN D. ; RLDC 2007 n° 2661, obs. MARRAUD DES GROTTES G. ; RD bancaire et fin. 2007, 148, obs. D. L. ; Banque et droit 2007, note BONNEAU Th. ; RLDC oct. 2007, p. 32, note DEVÈZE J. ; RTD civ. 2007, note JOURDAIN P. ; RLDC 2007, note DELEBECQUE Ph. ; Dr. & patrimoine 2007, n° 164, p. 77, note MATTOUT J.-P. et PRÜM A. ; Resp. civ. et assur. 2007, comm. 9, note HOCQUET-BERG S.

128 Cass. 1re civ., 28 nov. 2012, n° 11-26.477.

129 Cass. 1re civ., 30 avr. 2009, n° 07-18.334 : JCP E 2009, note LEGEAIS D. ; Banque et droit, juill.-

août 2009, p. 20, note BONNEAU Th.

130 Pour les opérations réalisées par une société, le caractère averti ou non s’apprécie au regard de la

situation de son dirigeant (notamment : Cass. com., 2 nov. 2011, n° 10-24.114 et 10-28.657 – Cass. com., 11 oct. 2011, n° 10-19.091).

131 Notamment : MATHEY N., op. cit.

132 Idem et LEGEAIS D., « Responsabilité du banquier fournisseur de crédit », Juris Classeur Banque –

généralement considérés comme avertis quand bien même leur activité serait sans aucun lien avec les opérations bancaires envisagées133.

À titre d’illustration sur le caractère in concreto de la détermination de la qualité d’averti ou non : à propos d’un médecin qui rachète à ses deux anciens coassociés le cabinet, puis trois ans plus tard les locaux, la Cour de cassation a suivi l’avis des juges du fond qui ont estimé que le client était averti compte tenu du fait qu’il est « un médecin spécialiste de haut niveau et en tant que tel capable de réflexion et de discernement, [que s’il] n’était sans doute pas, lorsqu’il a contracté, un homme d’affaires expérimenté ni un professionnel du crédit [il] ne pouvait pas ignorer les risques inhérents aux opérations dont il prenait l’initiative » et que par ailleurs il avait déjà l’expérience d’un premier emprunt contracté trois ans plus tôt et qu’il était évidemment le mieux placé pour apprécier les perspectives de développement de son activité professionnelle (et donc de ses facultés de remboursement)134 ; à propos d’un

pompier professionnel de 26 ans, titulaire d’un baccalauréat médico-social, qui contracte son premier emprunt immobilier pour financer l’acquisition d’un ensemble immobilier à usage locatif, la Cour d’appel a retenu son caractère non averti aux motifs que ni sa profession ni sa formation n’impliquent des connaissances en matière d’investissement financier et de crédit135 ; à propos d’un découvert accordé à une

société dirigée par un gérant âgé de 27 ans qui venait de prendre cette responsabilité sans posséder une expérience en matière financière ou comptable conférant la qualification d’emprunteur averti, la banque est tenue à une obligation de mise en garde du fait du caractère non averti du gérant de la société (la présence d’un expert- comptable pour conseiller la société par ailleurs est sans incidence)136.

Afin d’apprécier le caractère ou non d’averti, les juges du fond prennent également en compte les caractéristiques de l’opération. Ainsi, plus sa complexité est grande, moins le client est susceptible d’être considéré comme averti pour les besoins de cette opération137. C’est notamment en ce sens qu’a jugé la Cour d’appel d’Orléans

133 LEGEAIS D., idem.

134 Cass. com., 26 mai 2010, n° 08-10.274 et CA Toulouse, 2e ch., 2e sect., 16 oct. 2007, n° 05/06220. 135 CA Poitiers, 2e ch. civile, 2 sept. 2014, n° 13/03271.

136 CA Bastia, ch. civile B, 21 nov. 2012, n° 11/00087, confirmé par Cass. com, 4 mars 2014, n° 13-

10.588 (« le caractère non averti de l’emprunteur, personne morale, s’apprécie en la personne de son représentant légal »).

le 30 mars 2009, en considérant que le banquier a manqué à ses obligations en octroyant un prêt de restructuration à une cliente âgée n’ayant aucune compétence en matière financière sans l’avoir auparavant mise en garde138. Outre les aspects

personnels, qui suffisent à eux seuls à caractériser la qualité de non avertie de la cliente, la Cour précise, concernant l’opération en elle-même, que « le prêt dont il s’agit était un prêt dit “de restructuration”, destiné à se substituer à d’autres engagements, ce qui nécessitait que l’emprunteuse soit clairement avertie du sort des engagements concernés, de ceux qui se trouvaient repris sous la couverture de ce prêt, de ceux qui continueraient à subsister, des arriérés éventuellement apurés… ». Ainsi, dans cette affaire, la complexité même de l’emprunt aurait nécessité une mise en garde par le banquier.