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1 La faiblesse d’une filialisation

162. Le premier obstacle à une séparation efficace est le choix de la technique de

filialisation pour cloisonner les activités. Seul le Dodd-Frank Act ne prévoit pas la filialisation, mais préfère recourir à l’interdiction de certaines activités. Il faut souligner également que la proposition de règlement européen et la loi française prévoient la prohibition de certaines activités en plus d’une filialisation. Le choix de cette technique démontre que les rédacteurs des projets n’ont pas voulu rejeter le modèle de banque universelle. Cela a d’ailleurs été clairement exprimé par John Vickers et par Pierre Moscovici. Le premier a précisé que les recommandations de la Commission indépendante sur la profession de banquier qu’il a présidée ne sont pas une condamnation de ce modèle, mais qu’elles préconisent une règlementation permettant de structurer la banque universelle438. De même, Pierre Moscovici a

défendu à plusieurs reprises ce modèle, estimant que sa suppression n’était pas une bonne solution439.

Pour garantir une séparation effective des activités par la filialisation, il faudrait que la filiale cantonnée soit parfaitement « étanche » vis-à-vis de l’établissement de

437 PHILIPPONNAT T., Lettre ouverte adressée au Ministre français de l’Economie et des Finances

Pierre Moscovici, Belgique, 11 déc. 2012, p. 1.

438 VEREYCKEN K., op. cit. 439 V. supra, n° 138.

crédit et des autres filiales440. À défaut, la banque de dépôt pourrait aider financièrement la banque d’affaires pour couvrir ses pertes et donc se mettrait éventuellement en difficulté économique elle-même, que ce soit via des plus de trésorerie ou par le biais des pertes en capital. Or, cela rendrait inefficace la séparation puisque l’État viendrait en aide à la banque de dépôt qui aurait apporté des fonds à la banque d’affaires, créant ainsi un aléa moral vis-à-vis de la banque de dépôt du fait des activités de marché. Dans une telle hypothèse, la banque d’affaires bénéficierait indirectement du soutien public. Pour éviter une telle conséquence, la filialisation doit permettre d’interdire à la banque recevant les dépôts de la clientèle d’apporter un soutien, quel qu’il soit441, à la société filialisée réalisant des activités de marché.

Cependant, même si toutes ces précautions étaient prévues par les projets de loi, une filiale n’est jamais totalement autonome du reste du groupe. Ainsi, Jérôme Cazes, président du Club des Vigilants, a qualifié la filialisation des activités de « technique du Titanic » en rappelant que les cloisons n’ont pas suffi à empêcher le bateau de couler442.

163. Par le refus d’une séparation pure et simple des activités bancaires, le

cloisonnement ne sera pas totalement effectif du fait non seulement du lien capitalistique qui existe entre la société mère et la filiale cantonnée, mais aussi des divers mécanismes intragroupe prévus par la loi.

Le lien capitalistique qui va demeurer entre la filiale cantonnée et l’établissement de crédit rend la banque de dépôt vulnérable aux variations de rentabilité de la banque d’affaires, et donc aux risques qu’elle accepte de prendre. Par ce lien, l’établissement de crédit devra, au minimum, supporter la perte de son apport en cas de liquidation judiciaire ou amiable de la banque d’affaires. Cela résulte de l’article 1832 alinéa 3 du Code civil selon lequel tout associé s’engage à contribuer aux pertes de la société, ce qui signifie qu’en cas de liquidation de la société, l’associé

440 Finance Watch, Analyse du projet remis par le gouvernement français et propositions

d’amendements, janv. 2013, p. 17 et s.

441 La simple garantie apportée par la banque de dépôt suffit à faire jouer l’aléa moral puisqu’il existe

un risque que la garantie se réalise, auquel cas la banque de dépôt devra payer.

442 CAZES J., « Les Français ne méritent pas le projet de réforme bancaire de Pierre Moscovici », Le

Cercle Les Échos, 13 déc. 2012. Disponible sur : http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/politique- eco-conjoncture/politique-economique/221160928/francais-meritent-projet-r.

ne pourra récupérer son apport que si tous les créanciers, privilégiés comme chirographaires, ont été désintéressés. Cependant, il est rare que la contribution aux pertes de la filiale se limite à cette hypothèse.

Il existe généralement, voire systématiquement, des accords intragroupe entre la société mère et ses filiales portant sur des aspects financiers. Ainsi, l’article L. 511- 7 I 3° du Code monétaire et financier dispose qu’il n’est pas interdit pour une société de « procéder à des opérations de trésorerie avec des sociétés ayant avec elle, directement ou indirectement, des liens de capital conférant à l’une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres ». Cet article autorise ainsi la conclusion de prêts intragroupe et de conventions de trésorerie intragroupe, aussi appelées conventions d’omnium, qui sont définies comme étant « une convention sui

generis par laquelle la société mère se voit confier par les autres sociétés du groupe

des missions lui permettant de jouer le rôle d’emprunteur/prêteur afin de faire circuler les fonds des sociétés du groupe bénéficiant d’excédents de trésorerie vers celles qui souffrent au contraire de déficits »443. Par exemple, pendant la crise de 2007, les

sociétés mères BPCE et Crédit Agricole S.A. ont prêté d’importantes sommes à leurs filiales en difficultés, à savoir les banques d’affaires Natixis et Crédit Agricole Corporate and Investment Banking. De tels accords intragroupe permettent donc la gestion de flux de trésorerie au sein d’un groupe de sociétés. En conséquence, la séparation des activités bancaires par une filialisation ne garantit pas que l’établissement de crédit n’interviendra pas pour aider sa filiale, se mettant alors potentiellement en difficulté financière. Cela limite fortement la portée du cloisonnement des activités bancaires.

164. La séparation des activités par la technique de la filialisation n’est pas

satisfaisante pour garantir que la banque de dépôt ne subisse plus les risques pris par la banque d’affaires. Le choix d’une filialisation est d’autant plus contestable en France que deux des quatre grandes banques françaises, BPCE et Crédit Agricole S.A., opèrent déjà sous la forme d’un groupe bancaire ayant filialisé les activités de marché.

443 BEDARIDE B., « La convention d’omnium et le mandat de gestion de trésorerie », Les Échos, 2 mai

2013. Disponible sur : http://lecercle.lesechos.fr/entrepreneur/compta-finances/221171756/conven tion-omnium-et-mandat-gestion-tresorerie.

Or, celles-ci ont été confrontées, pendant la crise de 2007, à des difficultés économiques dues aux pertes de leur banque d’affaires filialisée, prouvant qu’une filialisation n’est pas adaptée au but poursuivi par la loi française. Jean Peyrelevade, ancien président du Crédit Lyonnais, a ainsi affirmé que la filialisation est une bonne idée s’il s’agit d’une étape intermédiaire avant une séparation complète des activités de banque de dépôt et des activités de banque d’affaires444. Il a par ailleurs ajouté que

« pour une activité de banque d’investissement, qui n’a pas de dépôts et donc pas de sources propres de liquidité, la tentation sera grande de trouver des tunnels, des viaducs, pour accéder à la liquidité de la banque de détail présente au sein du même groupe bancaire »445. En conséquence, le choix de la filialisation affaiblit l’efficacité de la séparation des activités bancaires, mais ce sont les lacunes des projets proposés qui vont définitivement remettre en cause l’efficience de celle-ci.