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1 La prétendue solidité de la banque universelle face à la crise de

140. Le modèle de banque universelle est défendu par les rédacteurs des projets de

réforme eux-mêmes. Ainsi, Paul Vickers, président de la Commission indépendante sur la profession de banquier mise en place au Royaume-Uni, préconise une structuration de la banque universelle sans la condamner, car il estime que celle-ci a de nombreux avantages399. De même, Pierre Moscovici, Ministre de l’Économie et des Finances au moment de la présentation du projet de loi au Parlement, a écrit que « le modèle français de banque universelle a plutôt fait la preuve de sa résilience pendant la crise », ajoutant qu’une séparation stricte et non une filialisation des activités « conduirait à faire disparaître une offre de services que les banques françaises peuvent aujourd’hui offrir aux entreprises pour leur fournir un accès aux marchés

399 VEREYCKEN K., « La “Commission Vickers”, cheval de Troie de la City de Londres », Le Cercle

Les Échos, 12 janv. 2012. Disponible sur : http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/politique-eco- conjoncture/politique-economique/221142121/commission-vickers-cheval-.

financiers »400. Ce soutien inattendu explique certainement le manque de sévérité des réformes proposées401.

141. Les partisans du modèle de banque universelle considèrent qu’il n’est pas à

l’origine de la crise de 2007 et qu’il est donc stigmatisé à tort. Ils invoquent que le problème ne serait pas lié, en réalité, à la nature des activités exercées par les banques, mais, notamment, à la qualité de leur gestion et de leurs dirigeants, aux fraudes telles que celles des affaires dites « Kerviel » et « la baleine de Londres », au rôle des agences de notation et aux conflits d’intérêts qui aurait certainement menés à la liquidation judiciaire de Lehman Brothers402. Seules des initiatives humaines seraient donc responsables, sans que le modèle de banque universelle ait les effets néfastes qu’on lui attribue. S’il faut bien évidemment reconnaître que le risque bancaire n’est pas inhérent aux seules activités de marché puisque la crise des subprimes a montré que l’activité de crédit immobilier est une source importante de risques pour les banques et que d’autres acteurs ont effectivement joué un rôle dans la crise de 2007, il ne faut cependant pas sous-estimer l’implication des activités de marché dans celle-ci et le rôle primordial des banques universelles dans sa transmission à l’économie réelle compte tenu de la combinaison des activités de banque d’affaires, soumises à l’instabilité des marchés financiers, et des activités de banque de dépôt qui sont en lien direct avec l’économie réelle403. À défaut d’accepter cette analyse, certains partisans du modèle de banque universelle reconnaissent toutefois qu’il a certainement contribué à l’aggravation de la crise404.

400 MOSCOVICI P., Une Loi bancaire réformatrice, ambitieuse et réaliste, 4 févr. 2013. Disponible

sur : http://www.pierremoscovici.fr/2013/02/04/une-loi-bancaire-reformatrice-ambitieuse-et-realiste/.

401 V. infra, n° 0 et s.

402 FERRERO D., Rendez-vous du 1er févr. 2013. 403 V. supra, n° 51 et s.

404 GOUX J.-F., Conférence débat : La réforme bancaire de 2013 : analyse et insuffisances, 20 avril

142. Les partisans du modèle de banques universelles arguent également que ce

sont celles qui ont le mieux résisté à la crise et qu’il s’agirait donc du modèle le plus solide et le plus viable en cas de défaillance du système économique et financier405. En effet, Lehman Brothers et Merrill Lynch, des banques d’affaires, ainsi que Northern Rock et les caisses d’épargne espagnoles, des banques de dépôt, ont toutes été confrontées à des difficultés graves pendant la crise alors que les banques universelles auraient été moins touchées. Si une telle analyse est bien évidemment partielle et partiale, il faut toutefois souligner que certaines banques universelles ont permis de sauver de la liquidation judiciaire de plusieurs banques spécialisées, en les acquérant par le biais d’une fusion. Ainsi, Bank of America a acheté Merrill Lynch le 15 septembre 2008 et BNP Paribas est devenue l’actionnaire majoritaire de Fortis Banque. La succession de fusions et d’achat d’actions pendant la crise a engendré la création d’énormes groupes bancaires et financiers tels que JPMorgan Chase & Co qui est devenue la société mère de The Bear Stearns Companies, Inc., de Washington Mutual et de RBS Sempra. Cependant, si les banques universelles ont effectivement pu soutenir les banques spécialisées qui étaient en difficulté, c’est parce qu’une grande majorité d’entre elles ont reçu des aides publiques. Ce fut le cas notamment pour BNP Paribas à hauteur de 5,1 milliards d’euros, ainsi que pour Goldman Sachs, JPMorgan Chase & Co et Morgan Stanley qui ont reçu un total de 78 milliards de dollars d’aides406. De ce fait, il est donc faux – voire malhonnête – d’affirmer que le modèle

de banque universelle a mieux résisté à la crise alors qu’une partie de ces banques n’ont pu surmonter celle-ci que grâce à l’engagement financier des États motivé par l’aléa moral, et donc les risques portant sur les dépôts du public.

143. Enfin, les partisans du modèle de banque universelle considèrent également

que si, en théorie, la limitation de la taille des banques induite par une séparation des activités bancaires diminue l’aléa moral par la suppression du caractère too big to fail de celles-ci, cette affirmation n’est pas forcément vraie en pratique. Pour justifier cela,

405 LE FUR Y. et QUIRY P., « Faut-il séparer banques de détail et banques d’investissements ? », La

lettre Vernimmen.net, oct. 2012, n° 110, p. 3.

406 Rédaction Les Échos, « BNP Paribas veut rembourser les aides publiques “avant juin 2010” », Les

Échos, 23 sept. 2009. Disponible sur : http://www.lesechos.fr/23/09/2009/lesechos.fr/300377641_bnp- paribas-veut-rembourser-les-aides-publiques--avant-juin-2010-.htm.

ils mettent en avant notamment le fait que l’État français a garanti les contrats conclus par le Crédit Immobilier de France, banque d’affaires, alors que celui-ci ne détient que 3,5 % du marché des prêts immobiliers, et est donc loin d’être too big to fail407. Pourtant, cet argument n’a pas la portée qu’il paraît avoir car les difficultés du Crédit Immobilier de France ne sont pas dues à des prises de risque inconsidérées ou à des comportements amoraux, mais au contexte de crise générale que la société a subi directement. En effet, dans une telle situation de crise, l’agence de notation Moody’s a fortement dégradé la note accordée au Crédit Immobilier de France, notamment parce que cette banque d’affaires ne faisait pas partie d’un groupe bancaire, incluant une banque de dépôt, sur lequel elle aurait pu s’appuyer en cas de difficultés économiques408. Ainsi, la société a vu sa note diminuer uniquement à cause de sa structure de banque spécialisée non rattachée à un groupe bancaire. Or, la baisse de la note a non seulement bloqué le financement de cette banque sur les marchés, mais en plus elle a rendu exigible une partie de ses dettes dont une clause prévoyait l’exigibilité immédiate en cas de dégradation de la notation409, générant une situation délicate

proche du surendettement. Cela démontre en revanche que la seule règlementation des activités bancaires, même si elle est nécessaire, ne suffira pas à assainir le système bancaire et financier car il existe d’autres facteurs d’instabilité, dont le manque de règlementation des agences de notation. Il faut cependant reconnaître que l’État est intervenu alors qu’il n’était pas obligé de le faire puisqu’aucun service vital à l’économie n’était en danger. Dès lors, il faut accorder aux partisans du modèle de banque universelle qu’une règlementation efficace ne peut être effectivement suivie d’effet que si l’État choisit de limiter l’octroi de ses aides, ce qui ne peut en pratique relever que du bon vouloir des gouvernements.

144. En conséquence, ceux qui veulent protéger le modèle de banque universelle

estiment qu’il est le plus solide pour résister aux variations des marchés. Pourtant, s’il n’y a pas eu de banque universelle en cessation des paiements pendant la crise, c’est

407 LE FUR Y. et QUIRY P., op. cit., p. 3.

408 Agence nationale pour l’information sur le logement, « La crise du Crédit Immobilier de France »,

Habitat Actualité, sept. 2012, n° 129, p. 5 et s.

en grande partie dû au soutien apporté par les aides publiques, et non à la structure de l’établissement qui, au contraire, a eu tendance à les précipiter dans la crise lorsque l’activité de banque d’affaires disposait de titres toxiques comme notamment les CDO de subprimes. Si ce modèle n’est pas plus solide que les banques spécialisées dans un contexte d’instabilité du marché, il serait néanmoins, selon ses partisans, plus apte à répondre aux besoins des clients que le modèle de banque spécialisée.