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Les techniques de filialisation

§1 L’interdiction du trading à haute fréquence

Section 1 Les techniques de filialisation

110. Les quatre réformes mettent en avant la nécessité de protéger les activités

principales d’une banque de dépôt car elles sont « utiles », « vitales », ou encore « fondamentales » à l’économie347. Pour déterminer la dimension de ces activités, les

besoins du client sont placés au centre des nouvelles règlementations. C’est également sur la base de ce critère d’intérêt du client que les interdictions du Dodd-Frank Act ont été élaborées348. Ainsi, l’ambition du groupe d’experts de haut niveau sur la réforme

structurelle du secteur bancaire de l’Union européenne a été d’établir « un système bancaire sécurisé, stable et efficace pour servir les besoins des citoyens »349. Depuis l’entrée en vigueur de ces lois, les banques ont dû scinder leurs activités et filialiser une de leurs branches d’activité. Si ces filialisations s’avèrent structurellement strictes (§2), elles se heurtent à un champ d’application relativement restreint, pouvant générer des distorsions de concurrence (§1). En outre, avec le recul des années, nous avons pu constater que le choix d’une filialisation non d’une séparation totale et stricte telle que mise en place par le Glass-Steagall Act a considérablement limité l’impact de ces réformes, n’étant finalement que peu contraignantes pour les banques universelles qui existaient lors de leur entrée en vigueur.

§ 1 : Des règlementations soumises à un champ d’application

limité

111. Les rédacteurs des réformes mises en place ont eu pour objectif de cibler les

banques à risque systémique afin d’éviter les faillites en cascade et les recours à la garantie implicite des États en cas de défaillance, pouvant notamment résulter d’une attitude irresponsable de ces banques dans la conduite de leurs opérations sur les

347 Termes employés respectivement lors de l’élaboration de la L. française, dans le rapport dit

« Liikanen » et lors de l’élaboration de la L. anglaise.

348 V. supra, n° 77 et s.

349 « ...establishing a safe, stable and efficient banking system serving the needs of citizens... »

marchés financiers350. Ce but est clairement indiqué dans l’exposé des motifs de la proposition de règlement européen : « Étant donné que le principal objectif de la présente proposition est de traiter des risques systémiques qui subsistent dans le système financier de l’Union, élargir les mesures qu’elle prévoit à tous les établissements de crédit serait disproportionné. »351 Les mesures imposées par ces lois ont donc un champ d’application personnel restreint, puisqu’elles ne concernent pas toutes les banques universelles, mais uniquement celles à dimension systémique.

Pourtant, l’objectif affiché de ces réformes est de limiter le recours à la garantie implicite des États. Or, il serait abusif et restrictif de penser que seules les banques systémiques enclenchent le recours à la garantie implicite des États en cas de difficulté, et donc que ce sont les seules dont les activités doivent être règlementées. En effet, les banques universelles même plus modestes reçoivent des dépôts du public dans le cadre de leur activité de banque de dépôt. Or, c’est cette activité qui est la plus susceptible de bénéficier du soutien des États, afin de garantir les dépôts et d’éviter les révoltes qui pourraient subvenir en cas de risque ou de perte avérée portant sur l’épargne des particuliers. C’est ce qui a par ailleurs pu être constaté a contrario avec l’inaction du gouvernement américain face à la faillite de Lehman Brothers, banque d’affaires pourtant systémique, lors de la crise de 2007 : celle-ci ne recevant pas de dépôts du public, le gouvernement des États-Unis ne lui a pas apporté de concours financier pour la soutenir au moment de sa défaillance.

Malgré cela, les quatre réformes de séparation des activités bancaires soumettent l’application de la loi à des conditions de seuil qui ont pour objectif, soit de ne viser que les établissements de crédit de dimension systémique, soit d’épargner l’application de ces lois aux banques considérées comme non systémiques, sans considération pour leurs éventuelles interconnexions et pour la valeur des dépôts qu’elles gèrent.

350 V. supra, n° 60 et s.

351 Commission européenne, Proposition de règlement du Conseil confiant à la Banque centrale

européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de contrôle prudentiel des établissements de crédit, 12 sept. 2012, p. 7.

112. Ainsi, en France, le nouvel article L. 511-47 I du Code monétaire et financier

dispose que la séparation ne s’impose qu’aux établissements de crédit dont les activités de négociation sur instruments financiers dépassent des seuils fixés par décret en Conseil d’État. Ils devront être déterminés sur « la base de l’importance relative des activités de marché dans l’ensemble des activités de l’établissement de crédit. » Actuellement, ils sont fixés par le décret n° 2014-785 du 8 juillet 2014 qui dispose : « Le seuil mentionné au premier alinéa du I de l’article L. 511-47 est fixé sur la base de la valeur comptable des actifs correspondant à des activités de négociation sur instruments financiers à 7,5 % du bilan de l’entité concernée. » En conséquence, la filialisation s’impose dès lors que la valeur comptable des actifs de l’activité de négociation sur instruments financiers est supérieure à 7,5 % du bilan. Cette obligation ne concerne donc que les sociétés qui ont une activité de banque d’affaires pour des valeurs substantielles. Ainsi, dans le cadre de son rapport sur les impacts de la loi de séparation des activités bancaires, la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire a précisé que l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution n’a identifié que dix établissements qui sont soumis aux dispositions de ladite loi, regroupant cinq grands groupes bancaires français, trois établissements à capitaux français et deux filiales françaises de banques étrangères352. Ce chiffre extrêmement mineur doit être mis en perspective avec le nombre d’établissements de crédit agréés en France qui se portait à 402 au 1er janvier 2015353.

Pour ce qui est de la loi anglaise, elle ne pose pas clairement l’obligation de déterminer un seuil, mais le sous-entend. En effet, un large pouvoir d’interprétation est laissé à Her Majesty’s Treasury et aux régulateurs qui doivent déterminer le champ d’application de la loi selon des considérations d’opportunité et dans un objectif de protection des activités fondamentales.

Quant à la règlementation allemande, elle soumet les banques à l’application de ses dispositions dès lors que les activités pour compte propre, les prêts et garanties aux fonds de couverture (hedge fund) ainsi que le trading haute fréquence se voient

352 Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, Rapport d’information

sur la mise en application de la Loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, 24 juin 2015, p. 15 et s.

353 ACPR, Liste des établissements de crédit (à l’exclusion des établissements relevant de l’article

L. 518-1 du Code monétaire et financier) au 01/01/2015, 25 févr. 2015. Disponible sur : https://acpr.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/acp/publications/ registre-officiel/20150101_liste- EC-V2.pdf.

allouer un montant d’actifs qui dépasse cent milliards d’euros ou 20 % du total du bilan. C’est un seuil très élevé qui limite fortement le champ d’application de cette loi, le restreignant aux banques ayant l’impact systémique le plus fort.

Enfin, la proposition de règlement européen concerne, d’une part, les établissements de crédit ou sociétés mères dans l’Union européenne qui sont recensées parmi les établissements d’importance systémique mondiale conformément à l’article 131 de la directive 2013/36/UE et, d’autre part, les établissements de crédit ou sociétés mères dans l’Union qui, pendant une période de trois années consécutives, ont eu un total d’actifs représentant au moins 30 milliards d’euros et des activités de négociation atteignant au moins 70 milliards d’euros ou 10 % du total de leurs actifs (soit au moins 3 milliards d’euros).

Il en résulte que les quatre réformes ont pour objectif affiché de limiter leur action aux banques systémiques, excluant de ce fait les plus petites banques sans égard sur leurs potentielles interconnexions entre elles ou même avec des banques plus importantes, ni pour le risque de transmission d’une éventuelle défaillance de leur activité de banque d’affaires vers celle de banque de dépôt.

113. Quant au champ d’application territorial, la section 142 A du Financial

Services (Banking Reform) Act dispose que la filiale cantonnée est une personne

morale constituée au Royaume-Uni. Seules les filiales dont le siège social est au Royaume-Uni sont ainsi concernées, la règlementation n’ayant pas vocation à s’appliquer de façon extraterritoriale.

La même conclusion peut se présumer pour la loi française. En effet, dans le silence de la loi, l’application est uniquement territoriale. De plus, ce sont les établissements de crédit tels que définis par l’article L. 511-1 du Code monétaire et financier qui sont visés, il s’agit donc « des personnes morales qui effectuent à titre de profession habituelle des opérations de banque au sens de l’article L. 311-1 ». Or, pour réaliser des opérations de banque telles que définies par la loi, la société doit être agréée par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. En conséquence, seules les sociétés soumises à la surveillance de celle-ci doivent respecter cette règlementation. Dès lors, sont uniquement concernées les sociétés exerçant sur le territoire français une activité contrôlée par le régulateur prudentiel. C’est limitation est logique et totalement justifiée, d’une part, par la portée de la compétence territoriale

des administrations et juridictions française et, d’autre part, compte tenu du fait que les banques non agréées par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ne peuvent pas exercer d’activité de banque de dépôt en France.

Pour ce qui est de la proposition de règlement européen, elle prévoit en son article 3 de s’appliquer de façon extensive à tout établissement de crédit établi dans l’Union européenne, ainsi qu’aux succursales européennes d’un établissement de crédit établi dans un pays tiers, mais aussi aux sociétés mères établies dans l’Union européenne lorsque l’une des entités du groupe est un établissement de crédit établi dans l’Union. Son champ d’application est également étendu aux succursales et filiales des sociétés précitées « quel que soit l’endroit où elles se trouvent »354. Toutefois, d’une part, aucun mécanisme de coopération internationale pour le contrôle des succursales et filiales établies dans des pays tiers n’est prévu, rendant uniquement théorique cette application extensive et, d’autre part, l’article 4 de la proposition de règlement vient limiter son champ d’application au sein même de l’Union européenne. En effet, compte tenu de l’élaboration très tardive de la règlementation européenne sur la séparation des activités bancaires, les États membres ayant déjà mis en place une telle législation depuis plusieurs années ont manifesté leurs inquiétudes à l’idée de devoir amender leur texte, et donc imposer de nouvelles modalités de séparation aux banques qui ont déjà dû modifier leur structuration pour se conformer à la loi nationale. Cela aurait eu un impact particulier pour les banques et groupes bancaires anglais qui ont eu l’obligation de filialiser leur activité de banque de dépôt au titre du Financial

Services (Banking Reform) Act et auraient également à filialiser leur activité de banque

d’affaires pour se conformer à la règlementation européenne. C’est la raison pour laquelle l’article 4 de la proposition de règlement prévoit la possibilité de déroger à ses obligations pour les banques et groupes bancaires qui sont couverts par une législation nationale ayant un effet « considéré comme équivalent » à celui de ladite proposition. Cette possibilité doit être demandée par l’État membre à la Commission européenne pour une législation adoptée avant la date de la présente proposition de règlement. Toutefois, concernant les banques relevant de la règlementation anglaise, l’actualité liée à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne laisse à penser que, sauf

revirement impromptu, le risque d’une double législation en sens contraire est désormais définitivement écarté.

En conséquence, compte tenu du retard pris pour la mise en place de la règlementation européenne, a minima les banques et groupes bancaires français, anglais et allemands ne devraient pas être soumis à celle-ci, dont une nouvelle présentation devant le Parlement européen à la suite de son rejet initial n’est par ailleurs toujours pas prévue355. Ainsi, alors que l’intérêt principal d’une législation au niveau de l’Union européenne est une harmonisation des obligations et restrictions, et incidemment l’affaiblissement des concurrences déloyales dues aux législations entre les sociétés des États membres de l’Union européenne, l’article 4 et, de manière plus générale, les grandes libertés offertes aux États membres pour les modalités de mise en œuvre de la proposition de règlement européen en font une règlementation « à la carte » extrêmement peu dissuasive.

114. Le champ d’application des lois de séparation des activités bancaires qui ont

été votées au sein de l’Union européenne est donc restreint aux seules banques d’ampleur systémique et, à l’exception de la proposition de règlement européen, limité à la compétence territoriale de chacun des États. Si la limite de la territorialité est justifiée par la souveraineté des États, l’étendue du champ d’application personnel restreint fortement la portée de ces lois, ce qui est d’autant plus préjudiciable que la séparation structurelle des activités est assurée efficacement par ces règlementations malgré l’insuffisance d’une filialisation. Ainsi, si une banque universelle non systémique se retrouve face à des difficultés financières qui mettent en danger les dépôts du public qu’elle gère, il est peu probable que l’État la laisse défaillir en se limitant à l’intervention du Fonds de garantie des dépôts356. Il en résulte que les

banques universelles, quelles que soient leur taille et leur importance systémique ou non, bénéficieront certainement d’aides publiques afin d’éviter leur défaillance. Par ailleurs, même une petite banque universelle multiplie, du fait de son regroupement des activités de banque de dépôt et de banque d’affaires, les interconnexions avec

355 V. supra, n° 73. 356 V. supra, n° 66.

d’autres établissements et opérateurs, exposant les exposant ainsi un effet de contagion des risques.