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Le contenu des activités filialisées

123. Une fois la technique de cloisonnement choisie, il faut déterminer quelles sont

les activités à cloisonner. Il existe, sur ce point, une distinction majeure entre d’un côté la loi anglaise et de l’autre les réformes française, allemande et la proposition de règlement européen dans la mise en œuvre de la filialisation. En effet, la règlementation anglaise prévoit, dans la section 142 A, la filialisation des activités qu’elle qualifie de « fondamentales », c’est-à-dire des activités de banque de dépôt, alors que les autres règlementations préconisent la filialisation des activités spéculatives, à savoir les activités de banque d’affaires.

Cette différence peut sembler à première vue minime ; pourtant elle est importante pour plusieurs raisons. Tout d’abord, d’un point de vue symbolique, restreindre les activités de banque de dépôt peut être interprété comme une stigmatisation de la banque de dépôt alors que la réforme a pour objectif de la protéger. Ensuite, le secteur bancaire et financier est très mouvant, de nouveaux types d’instruments financiers et de contrats étant fréquemment créés. En cantonnant les activités de banque de dépôt, ces nouveaux instruments financiers et contrats relèveront de la compétence de la banque d’affaires uniquement jusqu’à ce que la règlementation soit modifiée, ce qui peut prendre un certain temps. Cela a à la fois un impact positif et négatif : il s’agit d’une limitation des possibilités d’action des banques de dépôt, les rendant moins compétitives, d’une part, et d’un moyen d’empêcher le recours à de nouveaux instruments financiers qui pourraient être dangereux, d’autre part. Néanmoins, cloisonner la banque de dépôt revient à prendre le risque de l’entraver en l’empêchant de réaliser certaines opérations qui seraient pourtant utiles à l’économie, voire même en oubliant de lui allouer certaines activités qui lui sont légitimes.

À l’inverse, la filialisation envisagée par les trois autres réformes permet, au contraire, de faire peser le risque d’erreur dans l’attribution des fonctions sur la banque d’affaires et de ne jamais limiter excessivement les activités de la banque de dépôt. Par ailleurs, il faut souligner que si la proposition de règlement européen était entrée en vigueur, les banques anglaises auraient en principe dû respecter la loi anglaise et la règlementation européenne simultanément, ce qui aurait pu amener à des situations compliquées de double filialisation (filialiser à la fois leurs activités de banque de

dépôt et les activités relevant de la banque d’affaires). Toutefois, compte tenu du retard pris pour la mise en place de la règlementation européenne et de l’inclusion qui en a résulté d’une disposition permettant aux banques soumises à une règlementation nationale similaire d’en être exonérée365, celle-ci n’aurait finalement pas été appliquée

aux banques anglaises déjà soumises au Financial Services (Banking Reform) Act. Par ailleurs, l’actualité liée à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne laisse à penser que le risque d’une double législation en sens contraire est désormais définitivement écarté.

Dans un souci de simplification, le terme « filialisation » et ses déclinaisons seront ci-dessous employés comme désignant les activités de banque d’affaires, c’est- à-dire les activités filialisées dans les règlementations française, allemande et dans la proposition de règlement européen, et les activités non filialisées de la loi anglaise.

124. Malgré les divergences qui peuvent exister, les réformes européenne et

américaine sont similaires sur la nécessité de restreindre certaines activités pour les banques de dépôt. Sont visées unanimement la négociation pour compte propre (§1) et les opérations avec les fonds d’investissement spéculatifs (§2), qui sont considérées comme faisant partie des activités les plus risquées pour la stabilité d’une banque de dépôt. Si les règlementations nationales et les conclusions du rapport dit « Liikanen » ont principalement opté pour la filialisation des activités les plus risquées (outre le

trading à haute fréquence interdit par la règlementation française366), la proposition de règlementation européenne et le Dodd-Frank Act ont choisi de prohiber ces activités et, pour la première, également de filialiser certaines activités de négociation qui sont moins risquées, mais peuvent permettre de contourner l’interdiction des activités pour compte propre et des relations contractuelles avec les fonds d’investissement spéculatifs. Cette correspondance quasi parfaite entre l’ensemble des réformes étudiées dans la présente analyse n’est évidemment pas une coïncidence, mais une preuve supplémentaire – s’il en fallait – que ces activités sont définitivement trop risquées pour être effectuées par une banque de dépôt, et au surplus par toute société y étant liée, notamment, dans le cadre d’une banque universelle, compte tenu de sa

365 V. supra, n° 112. 366 V. supra, n° 0 et s.

mission d’intérêt général de gestion des dépôts du public et des protections étatiques qui en résultent.

§ 1 : La filialisation des relations contractuelles avec des fonds

d’investissement spéculatifs

125. Les fonds d’investissement sont des fonds de placement à risque qui ont pour

objectif « d’investir dans des sociétés qu’ils ont sélectionnées selon certains critères. Ils sont le plus souvent spécialisés suivant l’objectif de leur intervention »367. Par

exemple, les fonds de couverture (hedge fund) sont un type de fonds d’investissement. Les fonds d’investissement ne sont pas des contreparties fiables pour les banques car ils présentent un risque important d’insolvabilité du fait de leurs placements instables, mais ayant une meilleure rentabilité368. Ainsi, comme prévu par le Dodd-Frank Act et la proposition de règlement européen, les lois française, anglaise et allemande sont venues limiter les relations entre la banque de dépôt et ces fonds spéculatifs en les attribuant quasi exclusivement à la filiale de banque d’affaires.

126. Au niveau européen, il est à souligner que, bien que le rapport dit « Liikanen »

ait donné lieu à l’élaboration de la proposition de règlement européen par la Commission européenne, le groupe d’experts de haut niveau avait opté pour une filialisation des relations contractuelles avec les fonds d’investissement plutôt que pour l’interdiction totale de cette activité telle que prévue pour les groupes bancaires rentrant dans le champ d’application de la proposition de la Commission européenne. Le rapport dit « Liikanen » proposait en effet la filialisation des opérations de prêt, des engagements de prêt et des expositions de crédit non couvertes par une garantie si elles sont conclues avec un fonds de couverture, des véhicules d’investissement structuré, ou encore des entités assimilables à ces derniers.

367 Vernimmen.net, Lexique financier. Disponible sur : http://www.lesechos.fr/finance-marches/verni

mmen/index.php.

Même si le groupe d’experts de haut niveau a établi clairement un cloisonnement de la quasi-totalité des contrats généralement conclus par une banque avec un fonds d’investissement, sans y apporter d’exception ni de restriction, la Commission européenne a préféré limiter tout risque en posant une interdiction pure et simple des relations contractuelles des établissements de crédit, leur société mère et leurs filiales et succursales avec des fonds d’investissement alternatifs369. Cette disposition plus sévère interdit donc l’engagement d’un groupe bancaire dans des relations commerciales avec ces fonds, outre les exceptions prévues qui viennent en limiter son impact370.

127. En France, la loi de séparation et de régulation des activités bancaires371

affecte aux filiales cloisonnées (i.e. la banque d’affaires) les relations contractuelles avec les fonds d’investissement. Ainsi, l’article L. 511-47 II du Code monétaire et financier prévoit qu’est affectée à la filiale cantonnée « toute opération conclue pour [le] compte propre [de la banque] avec des organismes de placement collectifs à effet de levier ou autres véhicules d’investissement similaires, répondant à des caractéristiques fixées par arrêté du ministre chargé de l’économie » dès lors que l’opération n’est « pas garanti [e] par une sûreté dont les caractéristiques, contrôlées par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, satisferont à des exigences de quantité, de qualité et de disponibilité, dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l’économie. » Il en résulte qu’en principe aucune autre entité du groupe bancaire que la filiale banque d’affaires ne peut conclure des opérations pour compte propre, non garanties par une sûreté suffisante, avec des fonds d’investissement. En revanche, ces opérations sont autorisées à toute société du groupe, y compris la banque de dépôt, lorsqu’elles interviennent pour compte de tiers. Là aussi, nous sommes alors confrontés aux difficultés liées aux opérations de tenue de marché372. Également, l’appréciation des exigences de quantité, de qualité et de disponibilité relève de la libre interprétation de l’Autorité de contrôle prudentiel, sans qu’un seuil minimal soit

369 V. glossaire. 370 V. supra, n° 92.

371 L. n° 2013-672 du 26 juill. 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, JORF n° 0173

du 27 juill. 2013.

indiqué. Il s’agit non seulement d’une atteinte à la sécurité juridique, car la décision du régulateur peut être imprévisible, mais en plus une telle liberté est génératrice de conflits d’intérêts, voire d’inégalités entre les sociétés.

Concernant le détail de cette disposition, l’arrêté venant préciser l’application de cette séparation a été publié le 9 septembre 2014373. Il résulte de son article 7 que seuls les fonds d’investissement alternatifs374 ayant recours à un effet de levier « de manière substantielle au sens de l’article 111 du règlement délégué n° 231/2013375 »

sont visés. Il s’agit des fonds ayant une exposition supérieure à trois fois sa valeur nette d’inventaire376, c’est-à-dire que le montant des actifs couvre au mieux un tiers du

passif. Ce sont donc des fonds ayant une couverture des risques minime en cas de défaillance, et qui sont donc fortement susceptibles de faire faillite. Il en résulte que les fonds d’investissement ayant un effet de levier inférieur ou égal à trois (ce qui peut être extrêmement conséquent) ne sont pas concernés par l’interdiction de contracter avec les banques de dépôt. Ainsi, ces dernières sont autorisées, par exemple, à conclure une opération de prêt avec des fonds d’investissement qui sont exposés à un risque allant jusqu’à trois fois la valeur nette de leurs actifs sans avoir l’obligation de mettre en place une garantie. Un tel risque de non-recouvrement des sommes prêtées ne devrait pas être autorisé aux banques de dépôt car, malgré les ratios prudentiels notamment de liquidité et de solvabilité377, il reste déraisonnable et déraisonné d’exposer une banque qui gère les dépôts du public aux pertes conséquentes qui peuvent en résulter.

Également, l’arrêté précise qu’un certain nombre d’opérations sont exclues de l’obligation de cloisonner les relations contractuelles avec des fonds d’investissement à la banque d’affaires. C’est notamment le cas des placements réalisés par les filiales d’entreprises d’assurance ou de réassurance (i.e. ces filiales ne sont pas contraintes par

373 Arrêté du 9 sept. 2014 portant application du titre Ier de la L. n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de

séparation et de régulation des activités bancaires, JORF n° 0229 du 3 octobre 2014.

374 V. glossaire.

375 Règl. délégué n° 231/2013 de la Commission du 19 déc. 2012 complétant la Dir. 2011/61/UE du

Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les dérogations, les conditions générales d’exercice, les dépositaires, l’effet de levier, la transparence et la surveillance.

376 La valeur nette d’inventaire correspond à la valeur nette des actifs du fonds (AMF, « Modalités de

mise en œuvre des obligations en matière de comptes rendus à l’égard de l’AMF dans le cadre de la Dir. AIFM », 23 sept. 2014).

la restriction de la réalisation d’opérations avec des fonds d’investissement aux seules filiales de banque d’affaires). Cette exception apparaît comme proportionnée, même si elle n’exclut pas le risque, compte tenu des obligations prudentielles auxquelles les entreprises d’assurance et de réassurance sont soumises, garantissant une certaine stabilité de celles-ci. En revanche, trois autres exceptions sont prévues à l’article 7 II de l’arrêté précité et aucune d’elle ne semble justifiée au regard des risques encourus par la banque de dépôt (ou ses sociétés affiliées non cantonnées). En effet, elles doivent être mises en perspective avec la nature des opérations qui entrent dans le champ d’application de l’obligation de séparation : il s’agit uniquement des opérations pour compte propre non garanties et des opérations pour compte propre qui, garanties ou non, sont conclues avec des fonds ayant recours à un effet de levier supérieur à 3. En conséquence, l’interdiction faite aux banques de dépôt et à leurs affiliées non cantonnées d’avoir des relations commerciales avec les fonds d’investissement a un champ d’application extrêmement limité. Dès lors, autoriser les banques de dépôt (et leurs affiliées) à conclure des opérations avec des fonds d’investissement quel qu’ils soient dès lors qu’elles sont garanties ou des opérations (garanties ou non) avec des fonds d’investissement extrêmement risqués ne peut être justifié de quelque manière que ce soit (à l’exception des opérations réalisées par les sociétés d’assurance ou de réassurance qui peuvent être envisagées compte tenu des garanties apportées par les obligations prudentielles auxquelles elles sont soumises).

Il doit être noté que, en plus, l’arrêté exclut un certain nombre de fonds d’investissement de l’obligation de séparation, il s’agit principalement de fonds non spéculatifs et peu généralement risqués tels que les organismes de placement collectifs en valeurs mobilières agréées (OPCVM)378, les fonds d’investissement d’épargne salariale379 et les fonds de capital-investissement380.

Il résulte de cette analyse que l’obligation de filialiser les opérations conclues avec des fonds d’investissement est extrêmement limitée, voire totalement inefficace,

378 Les OPCVM sont extrêmement encadrés par la règlementation européenne, française et par le

règlement général de l’AMF. Pour pouvoir être commercialisés en France, les OPCVM de droit français doivent être agréés par l’AMF et les OPCVM relevant du droit d’un autre État membre de l’Union européenne ou État partie à l’accord sur l’Espace économique européen doivent être notifiés à l’AMF et sont contrôlés par elle.

379 Les fonds d’épargne salariale doivent également être agréés par l’AMF.

380 Les fonds de capital-investissement sont des fonds qui permettent d’investir dans des sociétés non

compte tenu de l’étendue des exceptions qui y sont faites et de son champ d’application très grandement restreint. En conséquence, alors que cette disposition paraissait efficace en théorie, elle se révèle totalement vidée de sa substance par l’arrêté qui la précise. Par ailleurs, nous rappelons que la règlementation relative à la séparation des activités bancaires ne concerne que les banques d’importance systémique381, ainsi les

banques étant sous ces seuils peuvent continuer à contracter directement avec les fonds spéculatifs, même lorsqu’elles gèrent des dépôts du public.

128. Le Financial Services (Banking Reform) Act anglais prévoit l’interdiction

pour la banque de dépôt cloisonnée de conclure « des transactions d’un type spécifique ou avec des personnes entrant dans une catégorie spécifique »382 et de « détenir dans des circonstances spécifiques des actions ou des droits de vote dans des sociétés ayant une description spécifique »383. Cette disposition posée dans la section 142 E de la loi

est imprécise quant à la portée de l’interdiction et aux sociétés concernées. Elle laisse le soin aux Her Majesty’s Treasury de déterminer les transactions et/ou personnes entrant dans le champ d’application de l’interdiction. Ainsi, cette loi n’intervient pas clairement en faveur de l’interdiction des relations contractuelles entre la banque de dépôt et les fonds d’investissement, même si ce sont ces activités qui semblent être visées par les articles 142 A et suivants de la loi. La décision de confier aux banques d’affaires les contrats passés avec un fonds d’investissement est donc soumise à la volonté du Her Majesty’s Treasury et des régulateurs. Une fois encore, il ne peut qu’être constaté que la règlementation anglaise est finalement laissée aux décisions et au bon vouloir de ces derniers.

129. Le cloisonnement plus ou moins strict et précis des relations contractuelles

avec les fonds d’investissement permet en théorie d’isoler de la banque de dépôt du risque direct d’insolvabilité lié aux activités fortement spéculatives des fonds d’investissement. En pratique, son respect par les banques reste à démontrer car les

381 V. supra, n° 111.

382 « Entering into transactions of a specified kind or with persons falling within a specified class. » 383 « Holding in specified circumstances shares or voting power in companies of a specified

données relatives aux fonds d’investissement, et particulièrement à l’ampleur de leur effet de levier, ne sont généralement pas publiques ; il sera donc impossible de savoir si une telle séparation est respectée avant qu’un nouveau scandale financier n’éclate. Dans tous les cas, l’étendue des exceptions prévues dans la règlementation française laisse perplexe pour une mesure annoncée comme efficace. Compte tenu des risques conséquents étant relatifs à l’activité même des fonds d’investissement spéculatifs, toute opération conclue avec ce type de fonds par une filiale non cantonnée, et a

fortiori par la banque de dépôt, devrait être totalement prohibée sans qu’aucune

exception y soit apportée. Tout comme le trading à haute fréquence, l’exposition au risque des relations contractuelles avec les fonds d’investissement spéculatifs (voire non spéculatifs lorsque la stabilité du fonds n’est pas assurée) est bien trop élevée pour que de telles activités puissent être opérées par la banque de dépôt ou dans son environnement direct. Si la filialisation de cette activité permet, dans une moindre mesure, et de façon insuffisante, de restreindre ce risque, encore faudrait-il que les restrictions soient efficaces. Ainsi, la commission de finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire a reconnu elle-même que la filialisation des opérations conclues avec les fonds d’investissement spéculatifs est « très partielle »384 ainsi que,

de manière générale, « la portée limitée de la filialisation des activités bancaires ». En complément de cette disposition pour limiter l’impact de la spéculation sur les banques de dépôt, les réformes proposent également de règlementer les activités réalisées pour compte propre, comme l’a fait le Dodd-Frank Act. Il est à noter que si l’interdiction des relations commerciales avec les fonds d’investissement se limite aux activités réalisées pour compte propre, elle fait l’objet d’un traitement à part dans chacune des législations ainsi que dans les projets successifs de règlementation européenne.

§ 2 : La filialisation des activités de négociation pour compte