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PARTIE I LA PRISE EN COMPTE DE LA NÉCÉSSITÉ DE REFORMER LE PROCESSUS

Chapitre 2 – Une prise en compte limitée

2.1. La souplesse de la réglementation du comportement économique des États

2.1.1. La souplesse des règles du droit conventionnel

2.1.1.2. Une souplesse liée à la fonction des règles

Le second facteur qui conduit à atténuer la force contraignante des règles qui définissent des comportements économiques favorables à la lutte contre les changements climatiques tient à la fonction qui leur est parfois assignée par les États au sein du système conventionnel.

Tout d’abord, il peut arriver que ces règles soient explicitement identifiées non pas comme des obligations autonomes à part entière, mais comme des directives générales à prendre en compte dans l’application des autres dispositions du régime du climat. Tel est le cas de l’article 3.4 de la Convention qui note qu’« il convient que les politiques et mesures destinées à protéger le système climatique contre les changements climatiques provoqués par l’homme soient intégrées dans les programmes nationaux de développement ». L’article 3, qui s’intitule « principes », débute en effet par un chapeau qui précise que « dans les

279 Georges Abi-Saab, « Éloge du ‘droit assourdi’. Quelques réflexions sur le rôle de la soft law en droit international contemporain », op. cit., note 264, p. 67.

mesures qu’elles prendront pour atteindre l’objectif de la Convention et en appliquer les dispositions, les Parties se laisseront guider, entre autres, par » les alinéas de cet article.

La présence de ce chapeau résulte d’une initiative de la délégation américaine qui, lors des négociations du texte de la Convention, avait cherché à minimiser la force contraignante de ces principes au sein du régime du climat et à éviter qu’ils puissent acquérir une existence autonome en dehors de ce système conventionnel par le biais du processus coutumier281. De

l’avis de certains commentateurs, ce chapeau « tries to ensure that the principles inform the implementation of commitments and other actions taken to achieve the objective of the Convention rather than give rise to additional commitments »282. Interprété à la lumière de

son chapeau, l’article 3.4 n’a donc manifestement pas vocation à encadrer étroitement l’action des États dans le domaine économique. Cette interprétation se trouve d’ailleurs confortée par l’usage de la formule « il convient que » au début de l’article. Davantage déclaratoire que prescriptive, son utilisation démontre que l’intention des rédacteurs du texte était moins de mettre à la charge des États une obligation que de formuler une simple orientation générale.

Cela étant, malgré la souplesse inhérente à sa fonction, cette directive d’application de la Convention aurait pu constituer un vecteur important pour faire rayonner dans l’ensemble du régime du climat la nécessité d’avoir une approche intégrée de la lutte contre les changements climatiques au niveau national. La souplesse des directives d’application peut en effet se révéler une force lorsque les États sont tenus de les prendre en compte dans l’application des autres dispositions d’un texte et non simplement invités à « se laisser

281 Selon Daniel Bodansky, les formules se « laisseront guider » et « entre autres » visent à réduire la portée des principes au sein de la Convention et la référence aux « Parties », et non aux États, est destinée à éviter que ces principes n’acquièrent une valeur coutumière en dehors du système conventionnel. Par ailleurs, la délégation américaine est parvenue à inclure une note de bas de page dans la Convention précisant que les « titres des articles sont exclusivement donnés pour la commodité du lecteur », afin d’éviter que l’intitulé de l’article 3 (« Principes ») puisse être invoqué pour déterminer la valeur juridique du contenu de cet article. En revanche, la proposition consistant à reconnaître qu’aucun État ne pourrait être déclaré en violation de l’article 3 se heurta à l’opposition des pays en développement, très attachés au respect de ces principes. Daniel Bodansky, « The United Nations Framework Convention on Climate Change: A Commentary », op. cit., note 34, pp. 502-503.

282 Farhana Yamin, Joanna Depledge, The International Climate Change Regime: A Guide to Rules,

guider » par ces directives, « entre autres ». On peut donc regretter que la formulation du chapeau ait limité le potentiel qu’aurait pu avoir l’article 3.4 de la Convention sur le climat pour amener les États à placer la problématique climatique au centre des décisions économiques.

Ensuite, la souplesse de certaines dispositions qui font partie de la réglementation du comportement économique peut trouver sa source dans la valeur purement indicative que les États leur attribuent parfois. Cette situation s’observe notamment à l’article 2.1 a) du Protocole de Kyoto qui énumère une liste de mesures et politiques que les États de l’annexe I peuvent appliquer sur leur territoire pour atteindre leur objectif de réduction. En effet, l’alinéa a) précise que chaque partie de l’annexe I « applique et/ou élabore plus avant des politiques et mesures, en fonction de sa situation nationale, par exemple les suivantes ». La liste énoncée ensuite ne présente donc qu’une valeur indicative et offre aux États la possibilité de choisir les politiques et mesures qu’ils estiment être les plus appropriées à ce qu’est, selon eux, leur « situation nationale ».

Comme le souligne Joanna Depledge, « the main substantive area of debate over policies and measures in the protocol negotiations » consistait précisément à déterminer « whether or not the protocol should define specific mandatory policies and measures »283. Lors des

discussions, l’Union européenne s’était prononcée en faveur de telles mesures pour les pays de l’annexe I en proposant d’ajouter trois annexes au Protocole : une première énonçant des mesures obligatoires, une deuxième énonçant des mesures prioritaires et une troisième énonçant des mesures appropriées. Sous la pression des États-Unis, du Canada, du Japon, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, qui considéraient que les parties devraient pouvoir conserver une flexibilité dans le choix des politiques et mesures à mettre en œuvre, la proposition européenne fut rejetée284. Il convient donc de voir dans l’article 2.1 a) du

Protocole de Kyoto une liste de mesures suggérées, à titre d’exemples, dont la mise en œuvre ne s’impose pas aux parties.

283 Joanna Depledge, « Tracing the Origins of the Kyoto Protocol: An Article-by-Article Textual History »,

op. cit., note 248, p. 18 et s.

Que leur souplesse provienne de l’imprécision de leur contenu ou de leur fonction (ou parfois des deux), les règles conventionnelles qui définissent des comportements économiques favorables à la lutte contre les changements climatiques apparaissent, sur le plan substantiel, comme étant très peu contraignantes pour les membres du régime du climat. Les manifestations les plus tangibles d’un encadrement de l’action des États dans ce domaine semblent à vrai dire se limiter à l’identification des secteurs d’activité dans lesquels les mesures de maîtrise des émissions de GES devraient être appliquées.

L’article 4.1 c) de la Convention « encourage » les parties à mettre au point et à diffuser des technologies écologiquement rationnelles dans les secteurs de l’énergie, des transports, de l’industrie, de l’agriculture, des forêts et de la gestion des déchets. De même, l’article 10 b) i) du Protocole de Kyoto précise que les programmes « contenant des mesures destinées à atténuer les changements climatiques et … à faciliter une adaptation appropriée à ces changements … devraient concerner notamment les secteurs de l’énergie, des transports et de l’industrie, ainsi que l’agriculture, la foresterie et la gestion des déchets »285. Dans ces

deux exemples, l’identification des secteurs d’activité délimite au moins précisément le champ d’application de ces dispositions. Encore que, on voit mal dans quels autres secteurs les États pourraient bien agir pour réduire leurs émissions de GES, ce qui soulève la question de l’utilité de telles dispositions. En revanche, la liste énoncée à l’annexe A du Protocole ne semble avoir qu’une valeur indicative, dans la mesure où aucune disposition du Protocole ne demande spécifiquement aux parties de s’y conformer dans leurs actions domestiques.

La souplesse de cette réglementation n’est sans doute pas étrangère au fait que la Convention, et dans une certaine mesure, le Protocole, sont des traités-cadres dont l’objectif est précisément de définir les assises de la coopération sans pour autant en détailler les

285 On notera par ailleurs que ces secteurs d’activité sont aussi explicitement visés à l’annexe A du Protocole de Kyoto comme étant les secteurs où les parties au Protocole devraient appliquer des mesures pour réduire leurs émissions. Cela étant, dans la mesure où cette liste fait simplement l’objet d’une énumération, sans aucun texte, et que les dispositions du Protocole de Kyoto n’y font jamais directement référence, elle présente manifestement davantage une valeur indicative que prescriptive.

modalités. Mais, cet argument semble à lui seul insuffisant pour expliquer cette souplesse, dans la mesure où celle-ci s’étend également aux dispositions du droit dérivé dont l’une des fonctions principales consiste justement à préciser le contenu des normes conventionnelles.