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L’intégration de la problématique climatique dans les politiques

PARTIE I LA PRISE EN COMPTE DE LA NÉCÉSSITÉ DE REFORMER LE PROCESSUS

Chapitre 1 – Une prise en compte effective

1.2. Une prise en compte consacrée par une réglementation du comportement

1.2.1. L’intégration de la problématique climatique dans les politiques

Amener les membres du régime du climat à tenir compte de la problématique climatique dans la poursuite de leur développement économique est un aspect auquel les rédacteurs de la Convention sur le climat se sont intéressés dans deux dispositions. Celles-ci échappent à

la logique de la différenciation des engagements et s’appliquent par conséquent à l’ensemble des parties, développées ou en développement. On peut sans doute voir dans cette appartenance au droit commun un signe de l’importance que les États ont voulu attribuer à la nécessité d’intégrer la problématique climatique dans les politiques de développement économique. Cette exigence, indispensable pour orienter la croissance vers un modèle sobre en carbone, semble ainsi représenter une sorte de standard minimal en matière de lutte contre les changements climatiques132.

Tout d’abord, l’article 3.4 de la Convention énonce qu’« il convient que les politiques et mesures destinées à protéger le système climatique contre les changements climatiques provoqués par l’homme soient … intégrées dans les programmes nationaux de développement ». Si cette disposition n’impose pas systématiquement aux États de faire figurer des politiques climatiques dans leurs programmes de développement, elle implique en revanche que certains de ces programmes devront nécessairement comporter de telles politiques, puisque celles-ci ne peuvent être considérées isolément des programmes de développement.

Certes, il est ici fait référence au « développement » et non au « développement économique ». Toutefois, dans la mesure où le terme « développement » se définit comme un processus englobant qui possède une dimension économique133, l’intégration à laquelle

appelle l’article 3.4 semble également devoir concerner les décisions relatives au développement économique des États. En outre, cette disposition devrait certainement être interprétée à la lumière de l’alinéa 21 du préambule de la Convention qui énonce que « les

132 Les pays en développement ont également semblé souscrire à cette obligation puisque, dans sa proposition, l’Inde avait par exemple fait référence à « the importance of integrating environmental concerns and considerations into policies and programs in all countries ». India, « Paper n° 15 », op. cit., note 122, p. 4. 133 Le terme « développement » a été défini dans la Déclaration sur le droit au développement de l’Assemblée générale des Nations Unies comme « un processus global, économique, social, culturel et politique ». Assemblée générale des Nations Unies, Déclaration sur le droit au développement, A/RES/41/128, 4 décembre 1986, p. 196. Cette interprétation est en outre confortée par la suite de l’article 3.4 qui précise que « le développement économique est indispensable pour adopter des mesures destinées à faire face aux changements climatiques ».

mesures prises pour parer aux changements climatiques doivent être étroitement coordonnées avec le développement économique ».

Ensuite, l’article 4.1 f) de la Convention sur le climat prévoit que les parties « tiennent compte, dans la mesure du possible, de considérations liées aux changements climatiques dans leurs politiques et actions sociales, économiques, et écologiques ». Comme le soulignent Farhana Yamin et Joanna Deplegde, « this procedural commitment is designed to ensure the integration of climate change in all relevant fields of policy-making and of actions undertaken by Parties »134. Cet article est donc généralement considéré en doctrine

comme ayant une importance considérable pour favoriser le passage vers une économie faiblement carbonée dans la mesure où il « encourage all parties to think about climate change and have policies on the subject »135 lorsqu’ils adoptent des décisions dans le

domaine économique. Pour Philippe Sands, l’article 4.1 f) constitue ainsi la traduction concrète de l’idée d’intégration énoncée au Principe 4 de la Déclaration des Nations Unies

sur l’environnement et le développement136, selon laquelle « la protection de

l’environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérée isolément »137.

Bien qu’ils visent chacun à favoriser la prise en compte de la contrainte climatique dans les processus nationaux de développement économique, on remarque toutefois que trois facteurs contribuent à conférer à l’article 3.4 un champ d’application plus restreint que celui

134 Farhana Yamin, Joanna Depledge, The International Climate Change Regime: A Guide to Rules,

Institutions, and Procedures, Cambridge University Press, Cambridge, 2004, p. 222.

135 Patricia Birnie, Alan Boyle, Catherine Redgwell, International Law and the Environment, 3e éd., Oxford University Press, Oxford, 2009, p. 359.

136 Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, 14 juin 1992, texte reproduit dans : Rapport de la Conférence des

Nations Unies sur l’environnement et le développement, Rio de Janeiro, 3-14 juin 1992,

A/CONF.151/26/Rev.1 (Vol. I), 1993, p. 3. Ci-après la « Déclaration de Rio ».

137 Philippe Sands, « International Law in the Field of Sustainable Development », British Yearbook of

International Law, vol. 65, n° 1, 1994, p. 339. Le même constat a également était fait à propos de l’article 2.1

a) du Protocole de Kyoto, même si celui-ci vise des secteurs précis de l’économie et non l’ensemble des politiques économiques. Caroline London, « Le Protocole de Kyoto : innovation sur le plan du droit international général et du droit international de l’environnement en particulier », in Yves Petit, dir., Le

de l’article 4.1 f) : premièrement, l’intégration ne concerne dans l’article 3.4 que certains programmes de développement et non toute forme d’action et politique économique, comme le prévoit l’article 4.1 f) ; deuxièmement, la référence aux « politiques et mesures destinées à protéger le système climatique contre les changements climatiques » dans l’article 3.4 constitue une qualification plus précise que celle de « considérations liées aux changements climatiques » ; troisièmement, en évoquant la protection du système climatique, l’article 3.4 s’intéresse uniquement à la prise en compte de la problématique de l’atténuation des émissions dans le processus de développement économique, alors que l’article 4.1 f) s’étend également à la problématique de l’adaptation aux effets néfastes des changements climatiques138.

En raison de sa portée plus large, l’article 4.1 f) offrirait donc, par rapport à l’article 3.4, un potentiel plus important pour amener les États à tenir compte de la problématique climatique dans leurs choix économiques, ce qui invite à considérer cette disposition comme l’outil privilégié pour susciter cette intégration. Cela étant, dans la mesure où la Convention indique explicitement que les paragraphes de l’article 3 sont destinés à guider les parties dans l’application de l’ensemble de leurs obligations, l’exigence d’intégration

138 Même si l’article 4.1 b) de la Convention fait explicitement référence à la question de l’adaptation, cette question a pendant longtemps constitué « le parent pauvre du débat et des politiques sur le changement climatique ». Christian de Perthuis, Stéphane Hallegatte, Franck Lecocq, « Économie de l’adaptation au changement climatique », Rapport du Conseil économique pour le développement durable, 2010, p. 5, en ligne : <http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/001-3.pdf> (consulté le 15 septembre 2014). Selon Farhana Yamin et Joanna Depledge, la mise en œuvre des dispositions conventionnelles relatives à l’adaptation « has been impeded … by three interlocking factors: lack of agreement about the meaning, scope and timing of adaptation; limited capacity in developing countries to undertake vulnerability assessments and planning; and bottlenecks in the availability of funding ». Farhana Yamin, Joanna Depledge,

The International Climate Change Regime: A Guide to Rules, Institutions, and Procedures, op. cit., note 134,

p. 213. Ce n’est qu’à partir des années 2000 que cette question a fait l’objet d’une attention plus marquée au sein des négociations. Roda Verheyen, « Adaptation to the Impacts of Anthropogenic Climate Change: The International Legal Framework », Review of European, Comparative & International Environmental Law, vol. 11, n° 2, 2002, pp. 129-143. Les membres du régime du climat reconnaissent aujourd’hui « que l’adaptation doit être considérée comme revêtant le même degré de priorité que l’atténuation ». Décision 1/CP.16, Les accords de Cancún : Résultats des travaux du Groupe de travail spécial de l’action concertée à

énoncée à l’article 3.4 paraît avoir, comparativement à l’article 4.1 f), un rayonnement plus large au sein du système conventionnel139.

Ce rayonnement est d’autant plus important qu’en fonction de la façon dont elles sont appliquées, certaines dispositions de la Convention qui ne portent pas directement sur l’intégration de la problématique climatique dans les politiques économiques peuvent quand même avoir un impact déterminant sur ce processus. On peut notamment penser à l’article 6 de la Convention qui demande aux parties d’« encourager et de faciliter aux niveaux national et, le cas échéant, sous régional et régional … la formation de personnel scientifique, technique et de gestion » afin de favoriser la sensibilisation et l’éducation du public aux changements climatiques. Les activités organisées au titre de cette obligation peuvent par exemple conduire à favoriser l’intégration de la problématique climatique dans les politiques économiques si elles visent à former les personnes responsables de l’élaboration de ces politiques aux enjeux climatiques et à l’importance de cette intégration pour l’efficacité de la lutte contre les changements climatiques. En effet, le découpage sectoriel généralement privilégié pour organiser l’administration publique ne facilite pas nécessairement la prise en charge de la question climatique par les organismes investis de pouvoirs économiques.

En ce qui concerne le droit dérivé, l’identification des dispositions encourageant l’intégration de la problématique climatique dans les politiques économiques apparaît en revanche plus difficile. Certes, la Déclaration ministérielle de Delhi sur les changements

climatiques et le développement durable adoptée lors de la COP 8 en 2002, rappelle que

« les politiques et mesures destinées à protéger le système climatique contre les changements d’origine anthropique devraient être … intégrées aux programmes nationaux de développement »140. Cependant, aucun énoncé de cette nature ne semble figurer dans les

139 L’article 3 de la Convention débute par un chapeau ainsi rédigé : « dans les mesures qu’elles prendront pour atteindre l’objectif de la Convention et en appliquer les dispositions, les Parties se laisseront guider, entre autres, par ce qui suit ».

140 Décision 1/CP.8, Déclaration ministérielle de Delhi sur les changements climatiques et le développement

durable, FCCC/CP/2002/7/Add.1, 28 mars 2003, p. 3. Par ailleurs, le texte note que « les stratégies

nationales de développement durable devraient intégrer plus complètement les objectifs concernant les changements climatiques dans les secteurs clefs tels que l’eau, l’énergie, la santé, l’agriculture et la diversité biologique ».

autres décisions de la COP ou de la COP/MOP. Cela n’a peut-être rien d’étonnant quand on sait que les discussions menées au sein de ces instances portent le plus souvent sur des points très techniques liés à la mise en œuvre des règles conventionnelles. Il en va toutefois différemment pour ce qui est des dispositions qui encouragent les États à réglementer certains secteurs d’activité économique.