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PARTIE I LA PRISE EN COMPTE DE LA NÉCÉSSITÉ DE REFORMER LE PROCESSUS

Chapitre 1 – Une prise en compte effective

1.3. Une prise en compte consacrée par un mécanisme de tarification des émissions

1.3.1. Un mécanisme fondé sur le jeu du marché

1.3.1.2. L’émergence du marché international du carbone

À deux égards au moins, l’expression « marché international du carbone » est trompeuse. La première raison est que le Protocole de Kyoto couvre en réalité six types de GES et que par conséquent, chaque droit d’émission échangé ne représente pas nécessairement un droit à émettre du CO2. À proprement parler, ce marché n’est donc pas un marché des émissions de CO2, même si c’est bien ce gaz qui est le plus abondamment rejeté dans l’atmosphère et que les émissions des autres types de GES sont enregistrées et comptabilisées en terme d’équivalent carbone202.

La seconde raison est qu’il existe non pas un, mais plusieurs marchés de droits d’émission qui possèdent chacun leurs propres règles et leurs propres caractéristiques, à commencer par la valeur d’échange des droits d’émission. Le « marché international du carbone » se décompose tout d’abord, pour reprendre la nomenclature utilisée dans le domaine de la finance, en un marché primaire, un marché secondaire et un marché des dérivés des droits d’émission203.

Le marché primaire correspond au marché sur lequel les droits d’émission sont placés pour la première fois. Dans le cas du Protocole de Kyoto, l’introduction des actifs sur ce marché résulte soit de l’allocation initiale en ce qui concerne les UQA, soit de la mise en place de projets pour les autres catégories de droits. Le marché secondaire désigne le marché sur lequel les droits d’émissions sont revendus. C’est donc sur ce marché que se négocient les

202 United Framework Convention on Climate Change, « Le commerce d’émissions », non daté, en ligne : <http://unfccc.int/portal_francophone/essential_background/feeling_the_heat/items/3295.php> (consulté le 15 septembre 2014).

203 Pew Center on Global Climate Change, « Carbon Market Design & Oversight: A Short Overview », Pew Center Briefs, 2010, 15 pages, en ligne : <http://www.c2es.org/docUploads/carbon-market-design-oversight- brief.pdf> (consulté le 15 septembre 2014).

échanges des droits et que s’établit leur prix. Les règles internationales demeurant silencieuses sur la façon dont ces actifs doivent être cédés, les participants au marché secondaire ont défini divers types d’arrangements contractuels pour donner cours aux transactions. Elles peuvent par exemple être réalisées par des contrats de vente de gré à gré ou standardisés, mais aussi dans le cadre de ventes organisées par des bourses. Enfin, le troisième marché est celui des dérivés. Sur ce marché, les participants s’échangent non pas des droits d’émission, mais des instruments (contrats à terme, contrats à livrer, swaps) qui portent sur ce type d’actifs et dont la valeur d’échange est établi en fonction de la variation de leur prix204.

Le marché international du carbone se décompose également en un marché spécifique pour chacune des différents types de droits d’émission. Ils possèdent tous une valeur d’échange qui leur est propre, notamment parce que le coût de leur obtention n’est pas uniforme, et que les modalités par lesquelles s’effectue leur cession ne sont pas nécessairement identiques.

En ce qui concerne les UQA, les échanges se caractérisent par des transactions sporadiques qui portent sur d’importants volumes d’unités. Celles-ci sont conclues au moyen de contrats de vente de gré à gré, qui constituent soit des traités internationaux, soit des contrats régis par le droit international privé205. La négociation de ces instruments demeure généralement

longue et complexe dans la mesure où elle suppose de définir un Green Investment Scheme. Ce plan d’investissement vert consiste à préciser la façon dont les revenus issus de la cession d’UQA seront utilisés pour le financement d’activités bénéfiques à la lutte contre les changements climatiques. Non prévue par les règles du régime du climat, cette pratique s’est imposée sur ce marché pour répondre au problème posé par « l’air chaud » en provenance des pays de l’Est de l’Europe.

204 Ibid.

205 Sander Simonetti, Rutger de Witt Wijnen, « International Emissions Trading and Green Investment Schemes », op. cit., note 192, pp. 164-165.

Ces États ayant reçu une dotation d’UQA initiale trop importante au regard de leurs prévisions d’émission, ces plans ont ainsi servi à garantir l’intégrité environnementale des transactions, en évitant que la cession de quotas d’émission ne donne lieu à des « effets d’aubaine » et ne soit uniquement considérée comme un source d’enrichissement. C’est d’ailleurs essentiellement des pays de l’Est que provient la majorité des UQA cédées à ce jour. Entre 2008 et 2009, le Japon, plusieurs membres de l’Union européenne et certaines entreprises ont par exemple acquis des UQA auprès de la République Tchèque, de la Slovaquie, de la Hongrie, de l’Ukraine et de la Lettonie206. Selon une étude réalisée par la

firme Thomson Reuters Point Carbon, 56 ventes d’UQA auraient été conclues entre 2008 et 2011, et la valeur moyenne de cette unité sur ce marché aurait oscillé entre 4 et 15 euros au cours de cette période207. Par la suite, les analystes estiment que le prix des UQA aurait

considérablement chuté pour atteindre une valeur de 0,5 euro en décembre 2012208.

Pour ce qui est des URE et des URCE, leur marché se caractérise au contraire par un important volume de transactions et un degré d’organisation plus poussé. Il convient ici de souligner le rôle déterminant joué par certains acteurs financiers dans la structuration et le développement de ce marché. La Banque mondiale, ainsi que de nombreuses banques nationales, ont par exemple créé des fonds d’investissement, parfois en partenariat avec le secteur privé, destinés à investir dans des projets de réduction des émissions et à revendre ensuite les droits générés pour alimenter le marché en liquidité209. En outre, afin de faciliter

206 Deborah Murphy, John Drexhage, Peter Wooders, « Les mécanismes internationaux du marché du carbone au sein d’un accord post-2012 sur les changements climatiques », Institut international du développement durable, 2009, p. 5, en ligne : <http://www.iisd.org/pdf/2009/international_carbon_market_m echanisms_fr.pdf> (consulté le 15 septembre 2014).

207 Point Carbon, « Carry-over of AAUs from CP1 to CP2: Future Implications for the Climate Regime », Thomson Reuters, 2012, pp. 14-15, en ligne : <http://carbonmarketwatch.org/wp-content/uploads/2012/11/ AAU-banking-briefing-paper-Point-Carbon.pdf> (consulté le 15 septembre 2014).

208 Alexandre Kossoy, « Mapping Carbon Prices and Initiatives. Developments and Prospects », Carbon Finance at the World Bank, 2013, p. 22, en ligne : <https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/ 10986/15771/77955.pdf?sequence=1> (consulté le 15 septembre 2014). En matière d’UQA, il demeure toutefois extrêmement difficile d’obtenir des informations précises sur le nombre de transactions qui ont été conclues ainsi que sur la valeur d’échange de ces unités. En effet, les ventes demeurent souvent confidentielles et le montant des transactions n’est pas toujours divulgué par les États.

209 Jean-Charles Bancal, Julia Kalfon, « Les instruments institutionnels et contractuels du mécanisme de développement propre de Kyoto », Revue de droit des affaires internationales, n° 6, 2009, p. 682. Sur le fonds mis en place par la Banque mondiale voir spécifiquement : François Falloux, « Relever le défi de l’effet de serre par le marché ? Mythe ou réalité, éthique ou efficacité ? », Le courrier de l’environnement de l’INRA, n° 31, 1997, pp. 7-14.

la rencontre de l’offre et de la demande, plusieurs « bourses du carbone » ont peu à peu été mises en place. Sur le marché secondaire, la valeur de revente des URE et de URCE était respectivement au cours de l’année 2011 de 8,7 et 7,9 euros210, avant d’enregistrer, là aussi,

une forte baisse et de s’établir sous le seuil de 1 euro211.

À la fois cause et conséquence de l’importance du volume des transactions, le marché des URE et URCE se caractérise en outre par un phénomène de standardisation des contrats de vente. Impliqués dans le commerce des crédits carbone depuis ses origines, la Banque mondiale et les Pays-Bas ont été les premiers acteurs « [to] attempted to manage the uncertainties in the market trough contractual arrangements with their fund participants and project developers »212. L’enjeu consiste ici à gérer les divers risques qui sont associés à la

réalisation des projets. Ceux-ci peuvent en effet prendre du retard, ne pas conduire à délivrer le nombre de crédits d’émission initialement prévu ou délivrer des crédits d’une valeur inférieure à celle anticipée au moment de leur mise en œuvre213.

Certains types de contrats, notamment ceux développés par l’International Emissions

Trading Association sur la base des travaux de la Banque mondiale (le Emission Reductions Purchase Agreement), de même que par le gouvernement néerlandais (le Certified Emission Reduction Unit Purchase Tender) ont ainsi été mis au point pour répondre à ces

enjeux et garantir la sécurité juridique des transactions. Qu’il soit national ou international,

210 Alexandre Kossoy, Pierre Guigon, « State and Trends of the Carbon Market 2012 », Carbon Finance at the World Bank, 2012, p. 48 et p. 60, en ligne : <http://siteresources.worldbank.org/INTCARBONFINANCE/ Resources/State_and_Trends_2012_Web_Optimized_19035_Cvr&Txt_LR.pdf> (consulté le 15 septembre 2014).

211 Par exemple, au cours de l’année 2013, la valeur moyenne d’une URCE sur le marché secondaire était de 0,37 euro. Alexandre Kossoy, « State and Trends of Carbon Pricing », World Bank Group, 2014, p. 39, en ligne : <http://documents.worldbank.org/curated/en/2014/05/19572833/state-trends-carbon-pricing-2014> (consulté le 15 septembre 2014). Entre juin 2013 et juin 2014, la valeur de revente d’une URCE sur le marché européen est restée bien inférieure à 1 euro (0,12 euro en mai 2014), et la valeur de revente d’une URE est restée inférieure à celle d’une URCE. Andrei Marcu, « Les marchés du carbone et l’accord post-2020 »,

Tendances Carbone, n° 92, 2014, p. 1, en ligne : <http://www.cdcclimat.com/IMG//pdf/tc92_fr.pdf> (consul-

té le 15 septembre 2014).

212 Christopher Norton, « Selling Carbon Credits », in Paul Q. Watchman, dir., Climate Change: A Guide to

Carbon Law & Practice, op. cit., note 193, p. 73.

213 Martijn Wilder, Monique Willis, Mina Guli, « Carbon Contracts, Structuring Transactions: Practical Experiences », in David Freestone, Charlotte Streck, dir., Legal Aspects of Implementing the Kyoto Protocol

le droit économique occupe donc dans ce commerce une place considérable, mais aussi novatrice, puisqu’elle repose sur une « convergence de différentes disciplines juridiques telles que le droit commercial, le droit financier, le droit du montage de projets, le droit fiscal, le droit des sociétés et le droit des valeurs mobilières »214.

Enfin, le marché des UAB demeure pour l’instant très peu développé. Ce n’est qu’au cours de l’année 2011 que ces unités ont commencé à être délivrées aux États et qu’une première vente a été réalisée. En décembre 2011, la Hongrie a en effet annoncé avoir cédé des UAB, sans toutefois préciser le destinataire, le volume et le montant de cette transaction215. Ce

souci de confidentialité n’est pas propre aux transactions d’UAB mais concerne l’ensemble des échanges sur le marché international du carbone. Force est d’admettre qu’en la matière, les intérêts économiques en jeu se concilient mal avec le principe d’une transparence dans l’accès aux informations.

Avec la mise en place du marché international du carbone, le Protocole de Kyoto semble donc avoir opéré une spectaculaire conversion du monde de la finance et des affaires à la problématique climatique. De nombreuses banques et institutions financières ont en effet activement pris part aux échanges de droits d’émission216, faisant ainsi des salles de marché

un nouveau terrain de la lutte contre les changements climatiques. Car il convient de ne pas oublier que le système d’échange du Protocole, et la tarification des émissions de GES qui en résulte, représente avant tout un mécanisme destiné à favoriser la protection du climat.

214 Jean-Charles Bancal, Julia Kalfon, « Les instruments institutionnels et contractuels du mécanisme de développement propre de Kyoto », op. cit., note 209, p. 665.

215 Certaines études estiment que dans le cadre de cette vente, le prix de l’UAB s’est établi à 2,95 dollars US. Alexandre Kossoy, Pierre Guigon, « State and Trends of the Carbon Market 2012 », op. cit., note 210, p. 62. 216 James Kanter, « In London’s Financial World, Carbon Trading Is the New Big Thing », The New York

1.3.2. Un mécanisme destiné à influencer le comportement des agents