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PARTIE I LA PRISE EN COMPTE DE LA NÉCÉSSITÉ DE REFORMER LE PROCESSUS

Chapitre 2 – Une prise en compte limitée

2.1. La souplesse de la réglementation du comportement économique des États

2.1.1. La souplesse des règles du droit conventionnel

2.1.1.1. Une souplesse liée à l’imprécision des règles

Plusieurs dispositions du droit conventionnel qui identifient des comportements économiques favorables à la lutte contre les changements climatiques sont formulées de manière imprécise, ce qui tend à leur conférer un contenu vague et un champ d’application extrêmement large. Une illustration de ce phénomène de « soft formulation »276 figure par

exemple à l’article 4.1 f) de la Convention qui prévoit que toutes les parties « tiennent compte, dans la mesure du possible, de considérations liées aux changements climatiques dans leurs politiques et actions sociales, économiques, et écologiques ».

Comme nous l’avons constaté précédemment, cette disposition constitue l’outil privilégié dans la Convention pour faire de la problématique climatique une préoccupation transversale de l’action des autorités publiques, notamment lorsqu’elles agissent dans le domaine économique. Or, malgré l’importance que revêt l’idée d’intégration exprimée par l’article 4.1 f) de la Convention pour lutter contre les changements climatiques, sa formulation rend extrêmement difficile de savoir ce à quoi engage véritablement cette disposition et il est par conséquent impossible de déterminer les cas concrets dans lesquels un défaut d’exécution pourrait être constaté. Que faut-il entendre par « tenir compte » ? Dans quelles circonstances la prise en compte est-elle ou non possible ? Quelle place

276 Alan Boyle, Christine Chinkin, The Making of International Law, Oxford University Press, Oxford, 2007, p. 220. On peut convenir, avec Martti Koskenniemi, que ce type de formulation, où « none of the language is phrased in terms of rights or obligations », ouvre la voie à une « approche managériale du droit ». Puisqu’elles ne permettent pas de déterminer les manquements à la légalité, les dispositions soft conduiraient en effet, selon cet auteur, à engager les États dans une sorte d’« unending process of balancing, adjusting and managing ». Martti Koskenniemi, « The Fate of Public International Law: Between Techniques and Politics »,

doivent occuper « les considérations liées aux changements climatiques » dans les politiques économiques ? Et, surtout, qu’est-ce qu’une « considération liée aux changements climatiques » ?

Le caractère « fuyant »277 de ce type d’obligation se retrouve également à l’article 4.1 c) de

la Convention, en vertu duquel toutes les parties sont tenues d’encourager et de soutenir « la mise au point, l’application et la diffusion – notamment par voie de transfert – de technologies, pratiques et procédés qui permettent de maîtriser, de réduire ou de prévenir les émissions » de GES. Ici, la succession de ces diverses énumérations fait de cette disposition un article « fourre-tout » qui peut virtuellement couvrir un nombre indéterminé d’actions et qui donc ne requiert des États l’adoption d’aucun comportement précisément identifiable.

Par ailleurs, l’utilisation des termes « tenir compte », « encourager » et « soutenir » démontre que les États n’ont sans doute pas souhaité assortir ces articles d’un degré de contrainte très élevé et qu’ils constituent davantage de simples lignes de conduite que chaque partie devrait s’efforcer de respecter, plutôt que des énoncés dont la vocation serait de prescrire l’adoption d’un comportement spécifique. Même si les articles 4.1 c) et f) obligent bien les parties à la Convention, il est donc difficile de déterminer leur portée précise. En ce sens, on peut convenir avec Daniel Bodansky que :

these commitments are general not only in their applicability to all states but also in their content. They do not compel particular actions; rather, the Framework Convention on Climate Change takes a ‘bottom-up’ approach, encouraging states to develop and implement their own national programs to address climate change278.

277 Sandrine Maljean-Dubois, « La ‘fabrication’ du droit international au défi de la protection de l’environnement », in Société française pour le droit international, Le droit international face aux enjeux

environnementaux, Pedone, Paris, 2010, p. 30.

278 Daniel Bodansky, « The Emerging Climate Change Regime », Annual Review of Energy & the

Un commentaire similaire peut certainement être formulé à l’égard des autres dispositions qui identifient des comportements économiques favorables à la lutte contre les changements climatiques inscrites dans le Protocole de Kyoto. Tel est par exemple le cas de l’article 10.1 c) en vertu duquel toutes les parties au Protocole sont tenues de « prendre toutes les mesures possibles pour promouvoir, faciliter et financer … l’accès à des technologies écologiquement rationnelles ou leur transfert … ce qui passe notamment par … l’instauration d’un environnement porteur pour le secteur privé ». En l’absence de précisions, des incertitudes demeurent sur le contenu précis que revêt cette obligation. Qu’est-ce qu’un « environnement porteur » et quel type de mesures devrait être adopté pour favoriser son instauration ?

La conséquence de la formulation imprécise de ces diverses dispositions conventionnelles est que chaque partie possède la possibilité de faire valoir de façon très large son pouvoir unilatéral d’interprétation lors de leur exécution. Dans ces exemples, les États bénéficient d’une importante marge de manœuvre pour déterminer eux-mêmes les actions qu’ils estiment les plus appropriées pour se conformer à leurs engagements, ce qui a pour résultat de limiter la capacité directrice de la règle sur les comportements adoptés. En effet, rien ne garantit que l’exécution par un État de ces différentes obligations orientera nécessairement son développement économique vers un modèle à faible intensité carbone, puisque tout dépendra en définitive du sens que celui-ci aura décidé d’attribuer à ces engagements et de la façon dont il les aura mis en œuvre.

La présence de ces dispositions substantiellement souples dans la Convention sur le climat et le Protocole de Kyoto tend ainsi à rejoindre un constat formulé par Georges Abi-Saab à propos de la nature des obligations qui figurent généralement dans les instruments du droit international de coopération. Selon cet auteur, la réalisation complète des obligations énoncées dans ce type d’instrument « dépend de trop de facteurs exogènes … pour que l’ordre juridique international puisse raisonnablement … tenir les États pour garant de

ce résultat quelles que soient les circonstances »279. Aussi, lorsqu’il s’agit de poursuivre un

but d’intérêt commun par une action collective, il est fréquent que les États aient recours à des obligations de moyen qui confèrent à leurs destinataires une importante marge de discrétion dans leur exécution. Et comme le précise Georges Abi-Saab, au-delà d’un certain point, l’existence de cette marge de discrétion rend l’exécution de telles obligations « invérifiable par un contrôle objectif externe, tel le contrôle judiciaire. De sorte que même quand de telles obligations sont portées par des instruments contraignants comme des traités, elles ne se prêtent pas à ce type de vérification. Nous parlons alors d’un ‘contenu’

soft »280. Ce constat se vérifie parfaitement avec les règles conventionnelles du régime du

climat portant sur les comportements économiques des États dont la dilution constitue l’une des deux causes à l’origine de leur souplesse.