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La reconnaissance de la nécessité de nouveaux choix économiques

PARTIE I LA PRISE EN COMPTE DE LA NÉCÉSSITÉ DE REFORMER LE PROCESSUS

Chapitre 2 – Une prise en compte limitée

2.1. La souplesse de la réglementation du comportement économique des États

2.1.3. L’utilité de la réglementation

2.1.3.1. La reconnaissance de la nécessité de nouveaux choix économiques

Le fait qu’une réglementation des comportements économiques des États, aussi soft soit- elle, ait été développée au sein du régime du climat démontre une chose : que l’ensemble de la communauté internationale a (au moins) réussi à s’entendre sur l’idée qu’une lutte efficace contre les changements climatiques requiert la réalisation de nouveaux choix économiques. Précisons que cette réglementation a permis de conférer à cette idée une légitimité très forte au sein de la société internationale dans la mesure où ses dispositions ont régulièrement été développées dans une enceinte multilatérale et agréées par un nombre important d’États s’exprimant par consensus. Sur le plan juridique, cette consécration quasi-universelle de l’opportunité d’adopter de nouveaux comportements économiques favorables à la transition énergétique n’a pas été sans effet pour les membres du régime du climat.

Conformément à la théorie du domaine réservé, l’ordre juridique international reconnaît aux États l’exercice d’une compétence discrétionnaire à propos des domaines d’activité qui ne sont pas régis par des normes internationales, ainsi qu’un droit, garanti par le principe de non-intervention, de ne subir dans ces domaines aucune immixtion de la part des autres États ou des organisations internationales309. Cependant, il est bien établi que l’étendue de

ce domaine réservé « dépend du développement des rapports internationaux »310 et, en ce

sens, la conclusion d’instruments juridiques entre les États conduit à faire sortir les matières sur lesquelles ils portent de leur champ de compétence discrétionnaire, que ces instruments soient formellement hard ou soft. En effet, la doctrine s’accorde pour considérer que même des instruments de soft law ont pour effet de réduire l’étendue du domaine réservé des États

309 Jean Salmon, dir., Dictionnaire de droit international public, Bruylant, Bruxelles, 2001, p. 356.

310 CPJI, avis consultatif du 7 février 1923, Décrets de nationalité promulgués en Tunisie et au Maroc, Recueil 1923, Série B, n° 4, p. 24.

qui y ont souscrits. Ainsi, comme le notent Anne Peters et Isabella Pagotto, « the probably most fundamental and uncontested effect of inter-state soft law is the ‘internationalization’ of the subject matter it deals with. The adoption of a soft law instrument removes the respective subject matter from the domaine réservé of States »311.

Dès lors, la présence au sein du régime du climat d’une réglementation du comportement économique des États a entrainé une conséquence juridique ; celle de priver les membres de ce système conventionnel de la possibilité d’exercer des compétences discrétionnaires dans le choix de certains types de comportements économiques et d’invoquer le principe de non- intervention pour soustraire l’exercice de ces choix à l’appréciation des autres membres de la communauté internationale. Ainsi en est-il par exemple des décisions publiques qui portent sur l’octroi de subventions au secteur énergétique. Déjà, il faut se rappeler que l’octroi de telles subventions peut être soumis au respect d’autres engagements, découlant notamment des accords de l’OMC. Par ailleurs, le Protocole de Kyoto encourage les pays de l’annexe I à réduire progressivement les subventions qui vont à l’encontre de l’objectif de la Convention. Ces États ne peuvent donc plus faire valoir dans ce domaine une compétence discrétionnaire.

Bien sûr, compte tenu de la nature soft de cette réglementation, et sous réserve de leurs autres engagements internationaux, les États ont conservé une compétence nationale très étendue pour choisir la mesure dans laquelle ils souhaitent s’efforcer d’effectuer des choix économiques favorables à la transition énergétique. Et au sujet des subventions publiques accordées au secteur de l’énergie, la pratique tend à démontrer que cette mesure est généralement assez faible312. Cependant, parce qu’il existe des règles agréées au sein d’une

311 Anne Peters, Isabella Pagotto, « Soft Law as a New Mode of Governance: A Legal Perspective », New Modes of Governance Project, 2006, p. 22, en ligne : <http://www.eu-newgov.org/database/DELIV/D04 D11_Soft_Law_as_a_NMG-Legal_Perspective.pdf> (consulté le 15 septembre 2014). Voir également : Patrick Daillier, Mathias Forteau, Alain Pellet, Droit international public, op. cit., note 266, p. 485. « L’étendue du domaine réservé est déterminée par les engagements lato sensu des États … y compris au titre d’actes concertés non conventionnels ».

312 Tel est notamment le cas au Canada où, selon le Commissaire à l’environnement et au développement durable (un organe de contrôle administratif de l’action du gouvernment fédéral), le gouvernement fédéral a mis « en œuvre une vaste gamme de programmes qui appuient le secteur des combustibles fossiles »,

enceinte quasi-universelle qui reconnaissent la nécessité de faire des choix économiques favorables à la transition énergétique, le droit international n’autorise plus les membres du régime du climat à remettre en cause unilatéralement et sur la base de leur propre appréciation, l’opportunité de réaliser ces choix. En effet, conformément à l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, les États sont tenus d’exécuter de bonne foi les dispositions de la réglementation qui portent sur le comportement des États en matière économique. Or, dans ce contexte, une exécution de bonne foi semble au minimum devoir impliquer que les membres du régime du climat s’abstiennent de questionner la pertinence d’effectuer des choix économiques favorables à la transition énergétique puisque des règles internationales les encouragent justement à effectuer de tels choix.

Sans doute est-ce ici que peut être décelée une première utilité de la réglementation du comportement des États en matière économique. Dans la mesure où lutter contre les changements climatiques « à la source » suppose que les États acceptent d’effectuer de nouveaux choix économiques, il semble indispensable que les membres du régime du climat s’accordent en premier lieu sur la nécessité d’adopter de nouveaux comportements économiques afin que le bien fondé de cette nécessité ne puisse plus être remis en cause par l’expression d’un pouvoir discrétionnaire de l’un d’entre eux.

Cela étant, que les membres du régime du climat reconnaissent l’opportunité d’adopter des comportements économiques favorables à la transition énergétique ne signifie évidemment pas que ceux-ci partagent des vues identiques sur la nature des comportements économiques à mettre en œuvre pour réaliser cette transition énergétique ou sur les délais dans lesquels celle-ci devrait avoir lieu. Autrement dit, pour que le régime du climat puisse être réellement efficace, il ne convient pas seulement que ses membres admettent l’opportunité d’effectuer de nouveaux choix économiques ; il faut encore qu’ils parviennent à s’entendre pour définir collectivement les comportements qui sont les plus appropriés

principalement par le biais de dépenses directes et fiscales. Bureau du vérificateur général du Canada,

Rapport du commissaire à l’environnement et au développement durable à la Chambre des communes – Automne 2012. Une étude du soutien fédéral au secteur des combustibles fossiles, Ministre des Travaux

publics et Services gouvernementaux, 2012, p. 2, en ligne : <http://www.oag-bvg.gc.ca/internet/docs/parl_ce sd_201212_04_f.pdf> (consulté le 15 septembre 2014).

pour réorienter le processus de développement économique et qui doivent donc être appliqués au niveau national. Et c’est précisément à ce chapitre que peut être observée une autre utilité de la réglementation du comportement économique des États développés au sein du régime du climat.