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PARTIE I LA PRISE EN COMPTE DE LA NÉCÉSSITÉ DE REFORMER LE PROCESSUS

Chapitre 2 – Une prise en compte limitée

2.1. La souplesse de la réglementation du comportement économique des États

2.1.3. L’utilité de la réglementation

2.1.3.2. La mise en place d’un encadrement juridique minimal

Sur une question aussi essentielle pour la lutte contre les changements climatiques que celle des décisions économiques prises par les autorités publiques, il est indispensable que l’action des États soit encadrée par des règles favorisant la transition énergétique. Certes, dans le cadre du régime du climat, cet encadrement s’est effectué moins par le biais d’une « contrainte hiérarchique » que par le biais d’un « droit négocié et directif, voulu et agréé plutôt qu’imposé »313. Mais même soft, l’importance de cet encadrement ne doit pas être

sous-estimée. À défaut d’interdire ou d’obliger, cette réglementation possède au moins une valeur permissive qui indique aux membres du régime du climat la nature des comportements économiques qu’ils peuvent mettre en œuvre sur leur territoire. L’un des rôles qui est généralement reconnu à la soft law consiste en effet « [to] provide guidance or a model for domestic laws, without international obligation »314. En encadrant l’exercice

des choix économiques susceptibles d’avoir des répercussions sur l’énergie et les émissions de GES, le régime du climat a donc permis d’identifier des modèles de conduite dans le domaine de la transition énergétique dont la légalité ne peut être remise en cause.

Cette fonction de normalisation des pratiques nationales en matière de transition énergétique a été d’autant plus importante qu’elle présentait une caractère pionnier, en ce sens qu’elle intervenait dans un contexte de vide juridique. Certes, le domaine de l’énergie constitue un objet de réglementation bien antérieur à l’apparition de la problématique

313 Georges Abi-Saab, « Éloge du ‘droit assourdi’. Quelques réflexions sur le rôle de la soft law en droit international contemporain », op. cit., note 264, p. 60.

314 Dinah Shelton, « Comments on the Normative Challenge of Environmental ‘Soft Law’ », in Société française pour le droit international, Le droit international face aux enjeux environnementaux, op. cit., note 277, p. 112.

climatique, qui a fait l’objet de nombreuses normes et qui a donné lieu à un amas de « disparate legal elements »315. Cependant, ce n’est qu’à partir de la mise en place du

régime du climat que le droit international a spécifiquement cherché à « influencer la matrice énergétique des États en favorisant les énergies renouvelables par rapport aux énergies fossiles »316.

On rappellera à nouveau ici les propos de Georges Abi-Saab, qui considérait que « par sa souplesse et sa fluidité, la soft law peut se déployer là où la hard law ne peut ou n’ose s’aventurer » et ainsi explorer et défricher de « nouvelles aires d’expansion de la réglementation juridique »317. Compte tenu de l’état de la société internationale et des

enjeux économiques associés aux mesures touchant à l’utilisation des énergies fossiles, il eut été fort peu probable que se développent dès la mise en place du régime du climat des règles encadrant étroitement l’exercice des choix énergétiques de ses membres. Le recours au droit souple semble donc avoir permis de déterminer un champ du licite dans un domaine qui n’en connaissait auparavant aucun et où pourtant les susceptibilités nationales sont vives. Un droit souple est peut-être après tout préférable à un vide juridique.

Surtout qu’en l’espèce, la réglementation du comportement économique des États apparaît quand même avoir été suivie d’une certaine part d’effectivité. C’est en tout cas ce qui ressort de l’évaluation de synthèse réalisée en 2003 par le Secrétariat de la Convention de la troisième communication nationale transmise par les pays de l’annexe I. Cette évaluation démontre en effet que les politiques climatiques notifiées par les États dans leur communication avaient principalement pour objectif d’« encourager une offre et une consommation d’énergie économiquement efficaces », de « diversifier les sources d’énergie » et de « promouvoir une réforme du secteur de l’énergie … en développant la

315 Arghyrios A. Fatouros, « An International Legal Framework for Energy », Recueil des cours de

l’Académie de droit international de La Haye, tome 332, 2007, p. 365.

316 Jorge E. Viñuales, « Vers un droit international de l’énergie : essai de cartographie », op. cit., note 305, p. 336.

317 Georges Abi-Saab, « Éloge du ‘droit assourdi’. Quelques réflexions sur le rôle de la soft law en droit international contemporain », op. cit., note 264, pp. 64-65.

participation du secteur privé »318. De même, le rapport souligne que dans « la façon de

formuler et de mettre en œuvre les politiques relatives au climat … l’on perçoit une nette tendance à l’adoption d’une nouvelle conception intégrée dans la troisième communication nationale de la plupart des Parties »319. Que la réglementation du comportement

économique des États soit soft ne conduit donc pas pour autant à lui retirer toute capacité d’orientation sur les choix exercés par les États.

À côté de cette problématique de l’effectivité de la réglementation, il apparaît en outre légitime de se demander jusqu’à quel point, sur cette question de l’encadrement des choix économiques favorables à la transition énergétique, le droit peut ou, plus exactement, doit être « durci ». Bien sûr, la réponse dépend avant tout de la volonté des États. Et à ce sujet on sait que, pour nombre d’entre eux, la réglementation de l’usage des énergies fossiles demeure un sujet politiquement sensible. En marge des négociations climatiques, l’issue des travaux menés à la Commission du droit international des Nations Unies sur les ressources naturelles partagées l’a encore récemment rappelé320.

Mais au-delà de cet aspect, il est généralement admis qu’en matière de lutte contre les

318 Note du Secrétariat, Communications des Parties visées à l’annexe I de la Convention. Rapport de

compilation-synthèse sur les troisièmes communications nationales, FCCC/SBI/2003/7/Add.1, 29 mai 2003,

p. 23. Voir également : Note by the Secretariat, Compilation and synthesis of fourth national communications.

Policies, measures, past and projected future greenhouse gas emission trends of Parties included in Annex I to the Convention, FCCC/SBI/2007/INF.6/Add.1, 23 novembre 2007, p. 15. Le document souligne que

« countries are increasingly placing climate change in the long-term framework for their energy policy ». 319 Note du Secrétariat, Communications des Parties visées à l’annexe I de la Convention. Rapport de

compilation-synthèse sur les troisièmes communications nationales, op. cit., note 318, p. 27. Prenant note de

ce rapport, la COP a reconnu que de nombreux États visés à l’annexe I avaient entrepris « des réformes économiques qui contribuent à la réalisation » de l’atténuation des changements climatiques et élaboré « des stratégies intégrées relatives au climat ». Décision 1/CP.9, Communications nationales des Parties visées à

l’annexe I de la Convention, FCCC/CP/2003/6/Add.1, 30 mars 2004, p. 3.

320 En 2002, la Commission du droit international des Nations Unies a fait inscrire le sujet « ressources naturelles partagées » à son programme de travail. Sur recommandation du rapporteur spécial, Chusei Yamada, il a été décidé que les travaux porteraient successivement sur les eaux souterraines transfrontières, le pétrole et le gaz naturel. Cependant sur ce dernier point, la Commission a dû se résoudre à abandonner ses travaux en 2010, en raison de la difficulté du sujet. En effet, « un grand nombre d’États ont estimé que la question du pétrole et du gaz était avant tout de nature bilatérale, qu’elle était hautement politique et technique et recouvrait des situations régionales très différentes. Ils ont mis en doute la nécessité pour la Commission de lancer un processus de codification en la matière, y compris l’élaboration de règles universelles ». Shinya Murase, Ressources naturelles partagées : possibilités d’entreprendre des travaux sur

changements climatiques, chaque État doit pouvoir bénéficier d’une certaine flexibilité dans l’élaboration de ses politiques nationales afin d’adapter son action à ses propres réalités, qu’elles soient énergétiques, économiques, sociales ou géographiques. Il paraît en effet plus approprié de concevoir des mesures concrètes de lutte contre les changements climatiques à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale. En ce sens, « the types of policies that can effectively address greenhouse gas emissions in a manner consistent with national interest will by necessity vary from country to country »321. En l’absence de

solutions uniques pour réduire les émissions de GES transposables à l’ensemble des États, tout cadre juridique international visant à favoriser la transition énergétique semble donc nécessairement voué à offrir à ses destinataires une certaine marge de manœuvre.

Cela étant, au regard de l’étendue de la marge de manœuvre que le régime du climat a accordée à ses membres, il ne fait aucun doute que cette réglementation du comportement économique des États aurait pu, et aurait dû, davantage encadrer l’exercice des choix nationaux se rapportant aux questions énergétiques. D’une part, le caractère faiblement contraignant et/ou non obligatoire de certaines dispositions paraît incompatible avec le projet de transition énergétique qu’appelle la protection du climat. Par exemple, réduire et supprimer les subventions accordées aux secteurs d’activité économique fortement émetteurs de GES est une mesure qui, en raison de son importance, devrait être présentée non pas comme une simple recommandation faite aux États, mais plutôt comme une obligation de résultat. D’autre part, plusieurs mesures qui auraient pu contribuer à encadrer davantage les choix nationaux, notamment dans le domaine de l’énergie, et qui ont parfois été proposées lors des négociations, sont absentes des textes.

Par exemple, le régime du climat ne s’appuie sur aucune norme de procédé ou de produit pour lutter contre les changements climatiques et ne contient pas d’engagement spécifique sur les énergies renouvelables et sur les standards en matière d’efficacité énergétique. On peut regretter que le Protocole de Kyoto n’ait pas prévu d’obligations chiffrées sur ces deux

321 Eileen Claussen, Ged Davis, Howard Bamsey, et al., « International Climate Efforts Beyond 2012. Report of the Climate Dialogue at Pocantico », Pew Center on Global Climate Change, 2005, p. 9, en ligne : <http://www.c2es.org/docUploads/PEW_Pocantico_Report05.p df> (consulté le 15 septembre 2014).

points, alors même que des obligations de cette nature ont été définies pour les réductions des émissions de GES. À titre de comparaison, rappelons que la politique climatique européenne, telle que consacrée par le « paquet énergie-climat » adopté en 2008, repose sur un triple objectif de réduction des émissions, d’amélioration de l’efficacité énergétique et d’augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique.

Faiblement contraignantes, voire non obligatoires ; souvent évasives et trop lacunaires ; éparpillées au sein de différentes thématiques de négociations et dépourvues de coordination ; avec de telles dispositions, la réglementation du comportement économique des États apparaît comme un outil imparfait pour engager les membres du régime du climat dans une transition énergétique et les orienter vers une mode de développement économique à faible intensité carbone. Or, mais pour des raisons différentes, un constat similaire peut également être formulé en ce qui concerne l’autre stratégie de promotion de la transition énergétique mise en place dans le régime du climat, qui se fonde sur la tarification des émissions de GES.