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PARTIE I LA PRISE EN COMPTE DE LA NÉCÉSSITÉ DE REFORMER LE PROCESSUS

Chapitre 1 – Une prise en compte effective

1.3. Une prise en compte consacrée par un mécanisme de tarification des émissions

1.3.2. Un mécanisme destiné à influencer le comportement des agents économiques

1.3.2.1. La contribution de la tarification des émissions de GES

Jusqu’à l’adoption du Protocole de Kyoto, l’utilisation de l’atmosphère pour y rejeter les GES issus de la combustion d’énergies fossiles était une activité gratuite pour l’ensemble des agents économiques. Cette gratuité n’était bien sûr qu’« illusoire »218, puisqu’une telle

utilisation de l’atmosphère portait en réalité atteinte à la capacité de support limité de cet écosystème et avait par conséquent un coût social pour la collectivité, en l’espèce celui de

217 Comme l’indique l’article 17, la participation des pays de l’annexe B à des échanges de droits d’émission doit venir « en complément des mesures prises au niveau national pour remplir les engagements chiffrés de limitation et de réduction des émissions ». À titre principal, c’est donc par l’application de politiques nationales que les objectifs de réduction des émissions doivent être atteints. Cela dit, même si la COP a par la suite indiqué que les mesures domestiques devaient constituer un « élément important de l’effort consenti par chaque partie pour atteindre son objectif », ce critère de « supplémentarité » n’est toutefois que qualitatif et non quantitatif. Décision 15/CP.7, Principes, nature et champ d’application des mécanismes prévus aux

articles 6, 12 et 17 du Protocole de Kyoto, FCCC/CP/2001/13/Add.2, 21 janvier 2002, p. 2.

218 Annie Vallée, « Les solutions économiques aux problèmes environnementaux : entre État et marché »,

la dégradation du climat. Du point de vue de l’analyse économique, ces émissions de GES constituaient donc des externalités négatives.

Ce concept d’externalité négative est utilisé par les économistes pour décrire les situations où les décisions d’un agent économique ont un effet néfaste pour un autre agent (ou la collectivité) sans que le marché intervienne219. C’est ainsi que toute forme de pollution

environnementale tend généralement à être considérée comme un externalité négative. Ce type d’externalité survient lorsque le marché sous-évalue l’utilisation des ressources naturelles, c’est-à-dire lorsqu’il n’attribue pas à leur usage un coût privé qui est aligné sur leur véritable coût social220. Si ce coût social demeure une « externalité » non prise en

compte par le marché, les agents ne peuvent connaître la rareté de ces ressources puisque cette rareté n’est pas adéquatement reflétée par le système des prix221. Selon cette approche,

la surexploitation des ressources naturelles serait donc avant tout le produit d’une défaillance du marché dans la mesure où, en l’absence de correctifs, son fonctionnement ne permettrait pas aux agents économiques de connaître l’ampleur des sacrifices à faire pour pouvoir utiliser des ressources naturelles222.

Aussi, pour remédier à cette défaillance du marché et protéger l’environnement, les économistes suggèrent de corriger le prix des biens et des services en y intégrant le coût de l’emploi des ressources naturelles. Par le biais de cette internalisation des externalités, les agents économiques ne pourraient plus ignorer les dégradations environnementales générées par leurs comportements et seraient alors incités, en raison de leur capacité à effectuer des choix rationnels, à adopter des pratiques moins polluantes223. En mettant en

place un mécanisme de tarification des émissions de GES, c’est précisément à cette thèse

219 Philippe Bontems, Gilles Rotillon, L’économie de l’environnement, 4e éd., La Découverte, Paris, 2013, p. 18.

220 Mehdi Abbas, Économie politique globale des changements climatiques, op. cit., note 12, p. 29.

221 Michael Bothe, « Bilan de recherches de la section de langue française du Centre d’étude et de recherche de l’Académie », in Michael Bothe, Peter H. Sand, La politique de l’environnement : de la réglementation

aux instruments économiques, Martinus Nijhoff, Dordrecht, 1995, p. 32.

222 Patrick Point, « Le prix de la nature », Cahiers Français, Environnement et gestion de la planète, n° 250, 1991, p. 39.

223 Olivier Godard, « La pensée économique face à la question de l’environnement », Cahiers de recherche –

de l’internalisation des effets externes, qui est à la base du principe du pollueur-payeur, que les rédacteurs du Protocole de Kyoto ont souscrit.

Le système d’échange de droits d’émission permet en effet de rapprocher le coût privé de l’utilisation de l’atmosphère de son véritable coût social et donc, de jouer sur le système des prix au niveau du secteur de la consommation afin de provoquer un basculement de la demande finale vers des produits dont la production est moins polluante224. À travers la

fourniture d’un signal prix adéquat, cet outil vise ainsi « at influencing important economic activities such as energy production and foreign direct investment in order to reduce their impact on the environment »225, et permet par conséquent de s’attaquer aux causes initiales

des changements climatiques en faisant appel à la rationalité supposée des agents économiques. C’est pourquoi il est bien admis en doctrine que les outils qui conduisent à attribuer un prix à l’usage des ressources naturelles offrent un moyen privilégié pour intégrer les problématiques environnementales au cœur des activités économiques226.

L’importance d’une telle politique de tarification des émissions de GES pour protéger le climat se comprend aisément au regard de la spécificité du problème climatique. Un premier élément de cette spécificité tient au fait que la lutte contre les changements climatiques appelle des transformations profondes des modes de vie, dont la réalisation dépend de la somme des choix individuels. Dans la mesure où l’ensemble des agents économiques (États, entreprises, ménages) détiennent une part de responsabilité dans ce projet collectif, il semble indispensable que ceux-ci soient tous incités à réduire leurs émissions de GES. D’autant plus que sur le plan de la légalité internationale, le respect des engagements consentis par les membres du régime du climat ne peut dépendre exclusivement de leur propre action.

224 Roger Guesnerie, « Les enjeux économiques de l’effet de serre », in Roger Guesnerie, dir., Kyoto et

l’économie de l’effet de serre, La Documentation française, Paris, 2003, p. 24.

225 Laura B. Campbell, « The Role of the Private Sector and Other Non-State Actors in Implementation of the Kyoto Protocol », in Chambers W. Bradnee, dir., Inter-Linkages: The Kyoto Protocol and the International

Trade and Investment Regimes, United Nations University Press, New York, 2001, p. 17.

Un second élément de la spécificité du défi climatique réside dans les différentes échelles de temps qu’il met en rapport. Lutter contre les changements climatiques requiert des investissements, publics et privés, considérables. Or, « when making investments, governments and companies normally look at rates of return. If an investment looks likely to deliver a decent return, it is worth making. If it doesn’t, it isn’t. The trouble with mitigating climate change is that the benefits are uncertain and distant »227. Mais ce

problème surgit surtout lorsque la rentabilité des investissements en faveur de la protection du climat est appréciée sur un terme relativement court. Comme le notent Cameron Hepburn et Nicholas Stern :

concluding that climate mitigation is an ‘inferior investment’, compared with the short-term pay-off from investing resources elsewhere, is unsafe; the next 200 years are highly uncertain, and the underlying structure of the economy will be transformed as changes to our climate alter the human and physical geography of the planet228.

Les taux de rendement qu’on observe sur les marchés et qui sont généralement à court ou moyen terme (deux ou trois décennies) ne sont donc évidemment pas adaptés pour la prise de décision en matière de changements climatiques229. Les effets du dérèglement du climat

qui ne se sont pas encore manifestés doivent être analysés à la façon d’une « bombe à retardement » : que ceux-ci ne se présentent pas maintenant ne signifie pas qu’ils ne se produiront pas à l’avenir. Cependant, dans un système économique où le retour sur investissement se mesure encore sur le court ou moyen terme, l’argument paraît à lui seul insuffisant pour que des capitaux puissent être massivement affectés au chantier de la transition énergétique. Dans ce contexte, la probabilité que les choix favorables au climat

227 Anonyme, « Is it Worth it ? », The Economist – A special Report on the Carbon Economy, 5 décembre 2009, p. 6.

228 Cameron Hepburn, Nicholas Stern, « A New Global Deal on Climate Change », Oxford Review of

Economic Policy, vol. 24, n° 2, 2008, pp. 262-263.

229 Nicholas Stern, Gérer les changements climatiques. Climat, croissance, développement et équité, Collège de France, Fayard, Paris, 2010, pp. 25-26. L’auteur souligne qu’« [u]ne grave erreur, commise par de trop nombreux économistes, consiste à utiliser directement les taux d’intérêt ou les taux de rendement que l’on observe sur les marchés pour prendre les décisions en matière de changement climatique. Ces taux sont en général relatifs au court terme ou au moyen terme …. Quand les niveaux de revenus de long terme dépendent de façon cruciale des décisions qui sont prises aujourd’hui, comme c’est le cas pour le changement climatique, les utiliser conduit à une erreur analytique extrêmement trompeuse ».

apparaissent comme une option plus rentable pour les agents économiques semble donc en grande partie devoir dépendre du coût qui est associé à court et moyen terme à la décision d’émettre ou de ne pas émettre des GES.

Si la tarification des émissions de GES constitue un outil indispensable des politiques climatiques, il convient toutefois de préciser que la production d’un signal prix favorable à la transition énergétique peut tout autant s’effectuer par le biais du système de permis négociables que par le recours à l’outil fiscal. On conviendra en effet, avec Alain Karsenty et Jacques Weber, que les marchés de droits ne sont pas « des instruments d’une nature fondamentalement différente de la taxe ‘pigouvienne’ … puisqu’il s’agit, dans les deux cas, d’‘internaliser les externalités’ »230. Pourtant, comme le notent ces auteurs, « le choix

de l’un ou de l’autre des instruments, s’il peut conduire au même résultat économique, ne produit pas du tout les mêmes effets sociaux et ces instruments ne sont donc pas équivalents du point de vue des politiques publiques »231. Or, si le système d’échange de

droits d’émission du Protocole de Kyoto peut être considéré comme un outil en mesure d’influencer le comportement des agents économiques et de résoudre le problème climatique à la source, c’est en raison non seulement du signal prix qu’il conduit à émettre, mais aussi des effets sociaux qui découlent de la logique marchande sur laquelle il repose.