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3. Des difficultés relationnelles entre l’Etat et la société civile

3.3. Une répartition des fonds et programmes douteuse

3.3.1. La corruption dans la société civile

Les O.N.G. locales sont quelques fois perçues comme des organisations élitistes, corrompues, dépourvues de structure de responsabilité et dépendantes du financement et des programmes occidentaux. Au mieux, elles sont considérées comme inefficaces et incapables de mener à bien la tâche immense qu’on leur avait originellement assignée (Pratt in Castel, 2006).

L’essentiel des allocations est décidé au niveau central (Van Dormael, 2006). Une O.N.G. qui œuvre auprès des enfants de la rue évoquent, sans tabous, les femmes de Ministres Maliens qui créent des O.N.G./associations/fondations dans le but de capter des fonds supplémentaires. Ces acteurs rapportent

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que les fonds récoltés par la Fondation de l’Enfance (dirigée par l’ex-Madame la Présidente du Mali) pour l’envoi de jeunes à l’étranger ou pour les formations en français sont au final destinés aux propres enfants des Ministres… [7].

« Des responsables d c tr d’éc t t dét r é d d i t ir d ti é x f t infectés ou affectés que nous encadrons dans les centres. Ce même constat a été fait dans les hôpitaux et les centres de santé communautaires. » [55]

« Le Mali est le pays le plus riche du monde mais avec la population la plus pauvre. Ils « sucent » le sang

de la population. I f t p c p r ’ r r q i t d i t r ch d . »

[22]

Nombreuses sont les O.N.G. créées par le souci de trouver un emploi, plutôt que d’apporter des compétences ou aides aux populations. Bon nombre d’O.N.G. ne font pas du bon travail et ne servent pas efficacement les populations au nom desquelles elles justifient leurs financements. Beaucoup disparaissent suite à la réussite ou l’échec du projet (Togola, Gerber, 2007). Le Code de Déontologie des O.N.G. (FE.C.O.N.G.) reconnaît l’existence des problèmes de redistribution, la non-présence d’un Etat fort, la malhonnêteté, la corruption et le clientélisme et la nécessité de stopper ces pratiques (Chapitre IV, Article 16 in FE.C.O.N.G., 2005).

3.3.2. Un intérêt financier et non sanitaire…

« C i q i t c i d’ ch t r ch v v tr t’ id r p rrir. »

= « Les conseillers ne sont pas les payeurs. » (Proverbe Bambara)

L’afflux important d’argent pour les programmes sur le VIH/SIDA est quelque fois mal perçu par les populations, agents de santé et associations/O.N.G.. Certains regrettent que de si grands financements soient accordés au SIDA en comparaison d’autres pathologies perçues comme plus « importantes » aux yeux des populations et qui ne reçoivent pas ou peu d’argent (paludisme, tuberculose, diabète…).

« P r q j p r d SI A, i f t q ’ p i c r SI A t j rd’h i « métier » comme la

menuiserie ou la mécanique. Toute personne qui parle du SIDA est payée et ces personnes sont bien payées pour avoir des informations sur la population. Ils font ça pour leur bien-êtr , c’ t rc d

revenu pour eux mais pas pour la population. » [H2]

Une inadéquation existe entre les moyens donnés aux projets et la composition des populations qui doivent être touchées par ces mêmes projets ce qui montre un manque évident dans l’élaboration des programmes (Ministère du Travail, de la Fonction Publique et de la Réforme de l’Etat, 2009).

Le « marché du SIDA » représente un espace de confrontation entre acteurs (Delaunay, Blibolo, Cissé-Woné, 1998). L’Alliance des Maires du Mali (A.M.M.) regrette que leurs programmes VIH/SIDA n’aient pas reçu 1 Fcfa de la part du H.C.N.L.S. alors que la structure appartient au Haut Conseil [15].

Si un des acteurs trouve que la gestion des fonds est transparente (« les comptes ’ ff ct t d v t

tout le monde » [37]), d’autres émettent des doutes ([7] [23]) en déplorant l’existence de structures

« fictives » financées par le H.C.N.L.S.. Le financement VIH/SIDA a déjà été stoppé au Mali car le Haut

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de corruption et de malversations même si les « requins existent encore » [35] et que le VIH/SIDA

« rrit p d q ’i ’ érit »117 [3]. Les financements sont en grande majorité délivrés via

certains « réseaux » [24].

« J’ i r c tr t c q i tr v i t d c d i q i ’ ccr ch t q ’ r c f rt d tr v i , i t d ’ p c r q d j fi t rç i r t c r ri q q ’i courent dans leurs comportements sexuels. Des gens infectés ou affectés par le VIH/SIDA et leurs f t cr v t d f i r q O.N.G. ti t i t r ti t f cti ir d ’Et t q i tr v i t d c d i ’ richi t r r d . » [55]

« Beaucoup pensent que le SIDA est forcément lié aux intérêts financiers des dirigeants. » [S] [T] [U]

Les acteurs se réfèrent non pas à un groupe d’acteurs référencé (annuaire des associations et O.N.G.) mais à un type d’acteurs très variable et très différent (social, sanitaire, institutionnel…) D’ailleurs, certaines organisations locales ne sont pas connues des institutions mais très reconnues par les habitants.

Le développement depuis vingt ans des partis politiques et associations sont, d’un côté, un gage de démocratie et de liberté mais également symbole d’une course au pouvoir et aux fonds (Roy, 2005) avec une participation vue comme un alibi sans contenu réel (Thiriot, 2002).

De nos jours, le citadin doit recourir à des personnes bien placées même s’il n’a aucun lien de parenté (Bouju, 2000; Marie, 1997). En effet, aujourd’hui, en ville, les liens communautaires ne suffisent plus à fournir toutes les ressources sociales nécessaires (3.4.2.a.). Auparavant, la sécurité matérielle et affective (identité, statut social, réputation) dépendait de la capacité des habitants à tenir leur place et leur rang au sein de leur parenté, voisinage et grins.

Il n’est pas ici question de généraliser, stigmatiser ou rassembler toutes les organisations sous une simple et unique vision mercantile car beaucoup d’O.N.G. et associations font un très bon travail. Certaines rencontrées ont également été crées suite au décès d’un ami par le VIH/SIDA [44]. Cependant, lors de notre travail de terrain, nous avons été tellement confrontés à cet intérêt financier (per diem) qu’il nous était impossible de ne pas travailler cette question qui a des conséquences sur les projets. 3.3.3. La question des per diem

Les enjeux sont très importants au Mali au regard du montant des ressources financières issues de l’aide internationale. Deux aides existent pour les projets santé : les per diem (frais de déplacement) et les

topping-up (suppléments de salaires, formations, réunions; Berche, 1996). Leur importance pour motiver

les fonctionnaires (« sursalaires ») est très grande.

a) L’importance des per diem sur le fonctionnement des institutions

« Quand un Etat fait semblant de payer ses agents, ceux-ci font semblant de travailler. » (Traoré, 1999)

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La motivation financière des personnels d’administrations pour les per diem (Balique, 2000) est telle que les employés n’effectuent plus les tâches requises par le gouvernement malien mais privilégient les tâches données par les organisations internationales (privatisation personnelle du service public, Henriet, 2005) d’autant que les salaires de la fonction publique malienne sont très bas. Dans certains cas, les salaires ne permettent de couvrir que 15 jours des frais familiaux… Pour les 15 derniers jours, les agents s’adonnent donc à toutes genres de pratiques (légales via les per diem ou illégales; Le Marcis, 2003, Raffinot, 2002). Le manquement aux obligations d’un chef de famille pour cause de pauvreté est l’une des raisons les plus courantes de « honte » à Bamako d’où une recherche perpétuelle de fonds (C.E.M.AF., 2007).

« Tous ces programmes, toutes ces activités vitales pour les malades et les P.V.VIH. (Frais de transport,

repas communs…) t t é ’ t t dé i é r q t j r d 4X4 t ch té

nom de la lutte contre le SIDA. » [55]

Au Mali, la légitimité du personnel de santé ne se retrouve pas dans les relations sociales mais dans l'identité sociale que lui donne l'institution qui l'emploie. Si l'Etat ne lui donne pas les possibilités de redistribuer, du prestige ou la sécurité d'un emploi avec une valeur sociale, il doit trouver tous ces éléments ailleurs. Cette quête financière ne gêne pas les personnels de santé. Ces derniers n’hésitent pas à aller à l’encontre des codes traditionnels de comportements en allant au domicile de l’« expert

étranger » avec une liste de doléances… Dans certains cas, les per diem sont d’ailleurs bien supérieurs

aux frais réels. La motivation mercantile occasionne de graves manques professionnels et éthiques (refus de vacciner, négligence des documents, Berche, 1996)

L’Etat malien n’a jamais donné de primes à ses fonctionnaires. Aucun texte légal ne reconnaît les per diem et topping-up. Ils sont même administrativement interdits. Autre que la motivation financière, la participation à un projet de développement est reconnue socialement. Les professeurs, chercheurs ou acteurs rencontrés n’oublient pas de mentionner leurs formations à l’étranger ou leur participation aux programmes avec un principe : « p dép c t p d’ r t » (C.E.M.AF., 2007). Beaucoup de ces acteurs aiment « placarder » leurs certificats de formations ou colloques dans leurs bureaux.

b) Les conséquences des per diem sur le fonctionnement des institutions La forte présence des per diem a deux conséquences importantes.

Tout d’abord, les per diem sont tellement intégrés dans les habitudes (Jaffré, 2007; Dauvin, Siméant, 2002) qu’il est aujourd’hui difficile de s’assurer la participation de certains personnels sans leur paiement. Les per diem font taire les possibles oppositions (Lewandowski, 2007). De nombreuses organisations rencontrées attendaient en retour de leur participation à nos entretiens, la mise en place de projets futurs118. Les efforts d’harmonisation des budgets se sont réduits en 1999 à la question des

per diem (Magassa, Meyer, 2008). Une forte résistance des Ministères Maliens a été observée face au

renforcement du pouvoir du Ministère des Finances (craintes de pertes de revenus; Bergamaschi, 2009). Dans une étude de 2007, 19% des revenus des O.N.G. provenaient des per diem (De Niet, 2007).

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Les fonctionnaires qui cumulent plusieurs fonctions sont souvent appelés pour des ateliers/formations/réunions d’où leur absence courante des services (24% dans les administrations). Il est le premier problème répertorié par les usagers119 (De Sardan, 2010).

Cette question du financement de la société civile est primordiale au vu du nombre très important d’organisations existantes et donc postulantes lors des appels d’offre. Les financements ne peuvent être distribués à toutes les organisations d’où une sélection drastique ou de petits financements.

3.3.4. La société civile face aux appels d’offres en santé

Plus de 20% des O.N.G. répertoriées par la coopération japonaise avaient en 2007 des budgets compris entre 152 449 et 381 122 euros120 (J.I.C.A., 2007).

La distribution des fonds VIH/SIDA pose problème car seuls deux fonds sont disponibles au Fond Mondial : les bénéficiaires principaux (H.C.N.L.S. et G.P./S.P.) et les bénéficiaires secondaires (O.N.G.). La mobilisation des fonds devient plus difficile et concurrentielle suite à la reconversion et à la réorientation de l’aide au développement. Cette concurrence s’observe également pour mobiliser le public et s’approprier des terrains d’action (Bourdarias, 2003).

En 2006, sur 1284 projets reçus (M.A.P. 1230 + Fond Mondial 54), 886 projets ont été analysés pour 367 projets approuvés et 199 contrats signés. Pour le M.A.P. 2007, le nombre de projets reçus était plus important (1337) avec pour conséquence un nombre de projets approuvés et contrats signés supérieur (389 et 253). Même si le nombre de projets financés a augmenté, beaucoup restent mis à l’écart. Seulement, il apparaît nécessaire de limiter le nombre d’O.N.G. financées au vu des décalages importants entre projets prévus (Berche, 1996) et financements reçus [28]. La moyenne des financements pour le M.A.P. était de 54 153 € pour le M.A.P. et de 113 581€ pour le Fond Mondial.

« Il y a un « canevas » préét i p r pp d’ ffr d d r . P r q q ’ q i ’h it d ,

les dossiers sont assez faciles à remplir. » [8]

Le H.C.N.L.S. produit des critères de plus en plus sévères pour limiter les projets (De Renzio, Whitfield, Bergamaschi, 2008). Ces critères sont difficilement assimilés par les organisations (associations/O.N.G.) notamment celles de petites tailles (4.3.2.). Ce pré-formatage des appels d’offres incite les organisations à rédiger des projets en fonction de ce qu’attendent les bailleurs (6.1.2.b.) plus qu’en fonction des réalités contextuelles locales d’où une inadaptation des projets (6.1.1.). Les organisations financées sont sensiblement identiques au fur et à mesure des appels d’offres. Cela ne remet pas en cause leur travail et l’émergence de possibles innovations : « c ’ t p f ci d’ v ir cc x r rc dé é p r

’Et t t p rtenaires au développement. » [58]

Le Haut Conseil et la Cellule Sectorielle de Lutte contre le VIH/SIDA (C.S.L.S., Ministère de la santé) ont interpellés les bailleurs de fonds lors de la Conférence VIH/SIDA de Bamako (2007) pour une meilleure

119 Viennent ensuite les mauvais comportements du fonctionnaire (abus de pouvoir, négligence 19%;), la lenteur (17%), la corruption (8%) et l’incompétence (4%).

120 O.N.G. maliennes 87%, Etats-Unis (4%), France (3%), Grande-Bretagne (2%), Suisse, Italie, Japon et autres nationalités avec 1% chacune

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harmonisation et alignement des procédures d’appels d’offres. Les deux fonds ont des procédures différentes, ce qui augmente le temps de préparation [25].

Cette compétition entre organisations lors des appels d’offres engendre certaines difficultés relationnelles. Les synergies sont pourtant primordiales pour améliorer la mise en réseau d’informations, de méthodes ou d’outils qui fonctionnent dans la prévention du VIH/SIDA. Celle-ci peut améliorer la passation des messages.