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2. Adapter la posture du chercheur au terrain d’étude

2.3. Langue bamaman

2.3.1. L’élaboration du questionnaire de l’enquête quantitative

« Quand tu veux connaitre q q ’ , i f t i p r d q ti . » (Proverbe Bambara)

Le pré-test de l’enquête quantitative a été indispensable pour apporter les corrections nécessaires à l’élaboration de l’enquête définitive. Tout d’abord, de déterminer si le questionnaire répondait bien aux objectifs de la recherche. Ensuite, de prévoir, anticiper ou résoudre les éventuels problèmes liés à la

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passation du questionnaire et au temps nécessaire. Enfin, de recueillir les premières réactions des enquêtés notamment sur la bonne formulation des questions.

Suite à ce mois de tests (381 questionnaires), le questionnaire final a été élaboré. Le travail de formulation a été approfondi en janvier 2008 avec des rendez-vous hebdomadaires avec les étudiants. L’adaptation du questionnaire était primordiale. Trop souvent, des formulaires pré-consus (modèles de changements de comportements) ne sont pas bâtis pour capturer à l’échelle locale les croyances en santé et échouent (Gueye, Castle, Konaté, 2001).

Singy (2004) a montré que la bonne formulation des questions est essentielle notamment dans l’utilisation de la formule « est-ce que ». Au moment d’un entretien sur le SIDA, l’enquêteur pose inévitablement des questions sur la sexualité. Celles-ci peuvent apparaître, aux yeux de l’enquêté, comme chargées de connotations plus ou moins normatives. Aussi, deux formulations différentes de la même question17 peuvent engendrer des réponses différentes. La formulation « est-ce que » est souvent utilisée par les enquêteurs pour ne pas choquer les enquêtées sur certaines questions taboues (religion, tabac, sexe, alcool).

Les enquêteurs ne devaient en aucun cas influencer les répondants. Il a donc été très important de pouvoir construire ce questionnaire avec les enquêteurs (étudiants) pour qu’ils formulent eux-mêmes les questions. Si le questionnaire était rédigé en français, les enquêteurs ont dans la majorité des cas dû faire la passation en bamanan pour se faire comprendre et mettre à l’aise le répondant. Pour cela, la traduction du questionnaire a été faite18.

Les questions devaient également être non ambiguës et ordonnées de manière logique. Les questions délicates qui pouvaient suscitées un refus de réponse n’ont pas été abordées trop tôt dans le questionnaire pour ne pas choquer notamment les populations les plus âgées.

2.3.2. Adapter la méthodologie aux pratiques langagières locales

« Avec le sang et le sexe, la parole est aussi une des bases de la vie sociale. Son utilisation malfaisante

c tri xp iq r ’ pp riti d di . » (Bargès, 1996)

L’accès à la culture locale est inséparable de la parole des acteurs et de la compréhension de la langue (C.E.M.AF., 2007). L’une des difficultés est la non-superposition des nosologies locales et occidentales. Nous avons donc adapté notre terminologie aux jeunes via les actes verbaux/non verbaux et mots de passe qui existent pour échanger sur la sexualité et le SIDA. Certains mots ne doivent pas être utilisés dans certaines circonstances publiques de peur de blesser ou choquer les personnes et auditoire. Des terminologies permettent de parler plus ouvertement de ces sujets difficiles: « l'intérieur de l'homme est

un cadenas dont la langue est la clé » (Proverbe Bambara).

« Tu es très fort en Bambara, dis donc! » [71]

17 Question A : « Est-ce que vous utilisez toujours des préservatifs avec votre partenaire ? » / Question B : « Vous utilisez toujours des préservatifs avec votre partenaire ? »

18 Exemples de traductions :

- A quel âge avez-vous pour la première fois eu des rapports sexuels?

= I chi toun bè san djoli la , chignè folo min kafognogonya tèmèna ini mogo tiè? - Quelles étaient les sources de ces messages ? = I yé o koumaw mè min?

- Pensez-v q ’ p rsonne qui parait en bonne santé peut en fait être infectée par le VIH, le virus qui cause le SIDA ? = E yèrè fè, mogo min bolen bè kènè bato fè, SIDA bana kisè bé séka yè(soro) a djolilawa?

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« Cher Seyba, un grand merci pour tes vœ x i ( v ) q t tr ttr i i

B r . Q i t pr t t t r d c t p j i q t ’ d é i t t message ce matin. Ca me fait toujours quelque chose de voir un Toubab parlé ma langue ! Ca casse toutes les barrières quand on parle la langue de ’ tr . T c rri c d fr ç i q éric i (C rp d P ix) t c pri d p i t p . L r d cr t d ’ itié tr

hommes se passe dans les langues. » [67]

« Bravo Seyba Coulibaly et quelle belle maîtrise de la langue ! » [72]

« Bonjour Sébastien, le vrai bambara des français ! » [26]

« Seyba, rci p r c pr v r q i ’y ré t tr it ti 19. » [73]

« Bonjour Sébastien, merci pour ton message en ce moment difficile pour nous au Mali20. Tes proverbes

sont bien adaptés au contexte, tu es un véritable malien maintenant. Ton message est parti droit au

cœ r. » [21]

« Bonjour mon esclave Coulibaly. Je suis très contente de te lire à chaque email car tu es plus malien

que moi qui ne sait écrire aucun mot en bambara. [26]

Notre méthodologie mixte a nécessité des compétences en bamanan notamment pour les termes médicaux. Des inadéquations de traduction dans le secteur médical existent entre le français et le bamanan. Pour cela, l’approche lexicale du corps souffrant de Yannick Jaffré a été utilisé (Jaffré, 2008). Très souvent, le bamanan et le français se mélangent (Dunning, Harrison, 2010; Mbodj-Pouye, Van den Avenne, 2007), le bamanan subissant l'influence du français (lexical, phonétique, morpho-syntaxique). Les deux langues occupent une position privilégiée, se croisent et s’épaulent plus qu'elles ne se concurrencent.

Bamako, comme la grande majorité des villes et régions du Mali, parle aujourd’hui majorirairement le bamanan. Le bamanan est devenu ces dernières années la langue d’intégration en ville, symbole de modernité et ce, même si elle s’est également développée dans les campagnes même les plus éloignées (Dumestre, 1998; Dumestre et al., 1994). Les trois quarts de la population malienne utilisent le bamanan ce qui est bien au-delà de son territoire «ethnique» (centre-sud). De nombreux facteurs ont joué en sa faveur : le développement de l'administration, des communications (routes, voie ferrée, radio, télévision), des grandes religions (principalement de l'Islam) ou le commerce.

Lorsque les maliens sont éloignés de leur région d’origine, les éléments culturels qui font leur particularité ne sont plus vécus au quotidien chez les migrants. Les maliens qui résident en France perdent progressivement leur langue d’origine et leur identité ethnique dans la mesure où « être peul ou

bambara ne signifie rien » dans la société d’accueil. L’ensemble des migrants sont alors assimilés à des «

africains » ou à des « maliens » (Rey, Van Den Avenne, 1998).

Dès la deuxième génération, le bamanan devient la langue exclusive à l'extérieur du milieu familial. Pour la troisième génération, la « langue des pères » a disparue du répertoire des Bamakois tandis qu'apparaît

19 Problèmes géopolitiques et nationaux au Mali en mars 2012

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pour une petite partie de la population, la langue officielle (le français). Le français est lié au monde de l'écrit, de l'officiel tandis que les autres langues sont réservées à l'oral (le convivial, le quotidien). Certaines populations marginalisées parlent peu le français (Dorier-Apprill, Van den Avenne, 2001). 2.3.3. L’utilisation de proverbes bamanans

Dans le corps du texte, nous allons utiliser des proverbes issus de la culture malienne, bamanan ou africaine en général. Ces proverbes sont importants car ils montrent combien certaines pratiques ou situations peuvent s’expliquer par des principes culturels. Le chercheur étranger comme n’importe quel acteur doit intégrer ces aspects culturels.

2.4. Le « senankuya »

2.4.1. Définir le « senankuya »

Le cousinage à plaisanterie « senankuya » est un « pacte social » (Canut, Smith, 2006). Il est traduit tour à tour de « relations à plaisanteries », « cousinage à plaisanterie », « joking relationships » ou

« allianceà plaisanterie ». La variété des pratiques ne permet pas de réduire ces relations à un terme

générique. Bakary Soumagno (un chef griot malien) utilise d’ailleurs toutes ces expressions (Fouéré, 2005).

Cependant, une confusion existe souvent entre alliance et parenté à plaisanterie alors que ces deux expressions ne sont pas synonymes (Napon, 2006). Adamou Barké distingue ces termes :

1. Le « cousinage à plaisanterie » regroupe tous les cousins croisés issus de familles ou de groupes assimilés à des familles (clans, ethnies, castes) « quelle que soit la position sociale des parties

i p iq é d ’éch v r » (Douyon, 2006).

2. La « parenté à plaisanterie » signifie que les deux groupes ont un lien de parenté et de consanguinité contractée par un mariage entre deux groupes ou deux familles (Sissao, 2002). Le terme « d’ i c p i t ri » signifie quand à lui que deux groupes sociaux quelconques (villages, quartiers, ethnies, clans, castes et autres groupes familiaux) peuvent librement s’allier les uns aux autres (Sissao, 2002).

2.4.2. Pourquoi utiliser le « senankuya » ?

« Le grand savoir s'accommode de la plaisanterie. » (Proverbe Malien)

Les nécessités de la vie moderne exigent des populations africaines de plus recourir à l'écrit. L'écrit a été longtemps le privilège des élites urbaines, symbole de l’administration coloniale et donc enjeu de pouvoir. La communication usuelle et quotidienne au Mali utilise simultanément l'oral et l'écrit. Cependant, la société reste dominée par l'oralité. Le Mali est reconnu pour la richesse de ses traditions orales transmises de générations en générations. La communication individuelle ou de groupe est régie par de nombreuses procédures qui sont variables selon les sociétés, les milieux, la nature de la rencontre et la « qualité » des protagonistes. En effet, le statut du locuteur ainsi que le contexte de la rencontre sont les conditions majeures de l’efficacité de la parole. La parole et la communication structurent la

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société, elles sont porteuses de valeurs et de confiance. Cette communication obéit donc à ces procédures dont l'ignorance ou l'inobservation peut conduire à des blocages.

Pour un étranger, il est donc très important de connaître ces mécanismes et plus généralement, les us et coutumes qui influencent les relations interpersonnelles et intra-communautaires. L’apprentissage des principales salutations en bamanan a facilité grandement les approches. La position d’étudiant étranger qui connaît à minima la langue, la culture et le senankuya a facilité l’accès à l’information. Ces apprentissages ont permis sur un mode pacifique, car non sérieux (plaisanterie) de nuancer les possibles tensions qui naissent du contact avec un étranger. Le fait de se présenter dès le premier contact téléphonique ou visuel par le biais de ces relations à plaisanteries posait le cadre de la rencontre. La qualité des échanges passe également par l’intonation de la voix, les mimiques du locuteur et un ensemble d’indices verbaux et sociaux dont font partie ces apprentissages. Les chercheurs doivent intégrer dans chaque discipline ou domaine des éléments qui appartiennent à la culture et aux traditions locales (Easton, Belloncle, 2000). Les « relations à plaisanteries » ont été utilisées pour permettre de faire connaissance, d’entrer en relation sur un mode très particulier mais en lien avec le contexte malien. Les plaisanteries échangées contribuent à détendre l’atmosphère, à établir un climat de confiance, de

« provoquer un relâchement, […] une détente » (Nyamba, 2001). Le senankuya a une dimension

théâtrale de jeu interactif et de rire. Le senankuya peut, lors d'un différend, faire baisser la tension (Doumbia, 2002) et annuler les motifs de mésententes probables avec son vis-à-vis. Les marges de libertés d’actions octroyées aux « joueurs » ne sont marquées par aucune contrainte apparente (Barké).

« L’h ’ i q , i cri i r , p i t d préh i t p r . » (Douyon, 2006)

Ces relations accentuent les révélateurs car elles marquent la différence. Cependant, le cousinage joue à la fois le rôle de « frontière symbolique » et de « passeur ». Autrement dit, c’est par l’affirmation de la différence que sont construites et maintenues les frontières sociales (autochtones/étrangers, Fouéré, 2005). Ces relations instituent du lien social dans une société multiculturelle (Konaté, 2001). L’alliance de deux cousins reconnaît leur existence distincte au lieu de la nier ou de l’ignorer et crée donc un point de passage (Smith, 2004). Les relations à plaisanteries sont l’exact opposé des relations dites

« d’évit t » qui existent par exemple entre membres du groupe familial (respect excessif qui

induisent des interdits de rencontres ou d’échanges de paroles). Elles permettent d’évacuer ces contraintes imposées par l’ordre social (Radcliffe-Brown in Fouéré, 2005).

Le senankuya est enseigné à différentes échelles : à l’échelle du continent pour limiter les conflits mais également à l’échelle micro-locale pour la « résolution non-violente de conflits en milieu scolaire » (Unesco, 2002). Ces relations mettent en rapport des communautés historiquement, culturellement et économiquement plus ou moins autonomes. Les auteurs ne sont pas unanimement d’accords sur l’importance de ces relations dans la relative absence de conflits en Afrique de l’ouest en comparaison de certaines autres régions d’Afrique. Cependant, leur promotion par le biais d’associations au Burkina Faso ou de sessions de formations organisées au sein des écoles montrent que celles-ci sont importantes dans la résolution de conflits (Canut, 2004; Unesco, 2002; Konaté, 2001).

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L’importance des relations à plaisanteries dans la politique et la société est telle qu’une recherche appliquée a été effectuée au Burkina Faso. Ces relations sont mêmes devenues l’axe prioritaire du Centre National de la Recherche Scientifique dans le pays avec le développement d’associations de promotion de la parenté à plaisanterie. Le cousinage suscite un intérêt grandissant dans les milieux universitaires en Afrique de l’ouest et ce, dans des disciplines différentes (Barké).

2.4.3. Les règles du « senankuya »

Sous le couvert de la plaisanterie et du jeu, le cousinage est souvent utilisé pour régler des problèmes sérieux, mais il est primordial d’en connaître les règles (Doumbia, 2002) :

1. Connaître les cousins patronymiques en déterminant quel est le patronyme de son interlocuteur pour le classer dans l’un des trois camps (de son côté, du côté de ses cousins ou dans le camp neutre).

2. Connaître les cousins ethniques en cherchant à le classer dans l'un des trois camps cités précédemment car quelques fois, le patronyme ne suffit pas pour le classer ethniquement.

« Etes-vous un Cissé qui porte un stylo ou un Cissé qui porte un bâton ? ». Le patronyme Cissé signifie que l’interlocuteur peut être de famille maraboutique, forgeronne ou griote.

3. Connaître les équivalences patronymiques par exemple : Trawele = Dembélé = Konaté = Keïta. 4. Ne jamais avoir l’intention de nuire en plaisantant avec son cousin car l'intention vaut déjà l'action

(Radcliffe-Brown in Smith, 2004).

5. Ne pas se mettre en tête que l'interlocuteur veut nuire en plaisantant permet les plaisanteries les plus osées. Dans les milieux très influencés par l'Islam, les cousins évitent tout de même certains excès.

6. Veiller à ne pas confondre une caste supérieure et une caste inférieure.

Si le cousinage donne l’impression que deux cousins peuvent se rallier sur tout, d’autres codes et règles subsistent comme la prohibition de l’adultère ou émettre des insultes sur les défauts physiques ou moraux de l’homme, de la femme ou de la famille du parent à plaisanterie. D’autre part, il ne faut pas insulter la mère, celle-ci détient un statut privilégié dans la société (fécondité, sauvegarde de la tradition).

Ensuite, il est interdit de violenter ou de verser le sang de l’allié à plaisanterie même si certaines cérémonies peuvent « exorciser » la transgression.

Enfin, il est interdit d’insulter l’individu mais possible d’insulter le groupe auquel il appartient pour montrer la supériorité de son groupe d’appartenance sur l’autre (Sissao, 2002).

2.4.4. Une pratique commune aux territoires, aux populations et aux ethnies

Cette pratique langagière est très présente en Afrique notamment en Afrique de l’Ouest (Sénégal, Gambie, Guinée, Burkina Faso, Dunning, Harrison, 2010 ; Konaté, 2001) notamment sur l’espace des anciens empires (Ghana, Mali). Seulement, des variations dans les pratiques du cousinage existent (Touaregs au Mali, Diolas au Sénégal ; O’Bannon, 2005). Ces relations sont tellement importantes que les sites Internet touristiques du Mali et du Burkina Faso les mettent en avant dans les aspects culture locale (Sissao, 2002).

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Les relations à plaisanteries sont appelées différemment selon les pays21 (Canut, 2006). A l’échelle du Mali, elles sont nommées « mangu » chez les dogons, « tububusha » en tamaschek ou « senankuya » en bamanan. Des similitudes se retrouvent entre patronymes, entre les Diarra (bamanan) qui équivaut à N’Diaye (sereers, soninkés, toucouleurs, wolofs) ou aux Koné (malinkés) (Unesco, 2002).

Cette pratique unit différents groupes d’Afrique de l’ouest et crée un même espace territorial de cohabitation d’où l’intérêt supplémentaire de son utilisation au Mali « carrefour » de nombreuses ethnies. Elle est également inter-ethnique par exemple entre Bambaras et Peuls (Napon, 2006). … La liste des groupes ethniques touchés par ce système de modération est longue22.

L’historique des relations de cousinage provient des légendes et traditions ancestrales notamment lors du partage des terres par Soundjata Keïta, le fondateur du Mali (au début du XIIIème siècle). Les liens interethniques ont été édifiés à cette époque. Le Mali est le berceau de vieilles civilisations qui se sont manifestées sous forme de grands empires et de nombreux petits royaumes qui ont pris des ascendances momentanées les uns sur les autres avant le début de la conquête coloniale. Cette succession dans le commandement a amené les ethnies à se dominer à tour de rôle et a engendré au fil du temps des relations de cousinage.

Les échelles d’application de la parenté à plaisanterie se dégagent en trois groupes : les échelles sociales (alliances matrimoniales), les échelles générationnelles et les échelles territoriales (villages, groupes ethniques). A l’échelle locale, le senankuya existe dans toutes les localités. Si certains quartiers concentrent certaines ethnies, ces concentrations ne seraient pas liées au cousinage (Dunning, Harrison, 2010).

2.4.5. Exemple de « senankuya »

Ces relations qui datent pour la majorité de très loin, empruntent des formulations et des stéréotypes assumés de la part des ethnies. Lorsque deux personnes de noms différents se rencontrent, celles-ci connaissent les liens qui les unissent (le respect d’un Coulibaly envers un Diarra).

Les étrangers se voient très souvent confier un nom local dès leur premier séjour (pour moi, « Seyba

Coulibaly »). Cela permet, s’il est utilisé à bon escient, de mieux s’intégrer dans les réseaux et les

groupes de population ou au contraire de marquer leur différence. Ce nom qui m’a été donné m’a garantit une certaine immunité accompagnée d’une pointe d’humour et de convivialité dans les échanges. D’ailleurs, c’est son patronyme que l’on annonce en premier lors des salutations ce qui permet une identification ethnique et sociale rapide si l’on connaît bien sûr, les codes qui régissent les relations à plaisanteries. Le patronyme « Coulibaly » représente un groupe fortement marqué les relations esclaves/maîtres, il est donc très souvent donné aux « Toubabous23 » par les maliens pour jouer ! Les échanges entre ces groupes à plaisanteries fonctionnent typiquement sous cette forme :

A :« Bonjour Coulibaly ! »

B : « Comment vas-tu mon maître ? » A : « Alors mangeur de haricots ! »

21 « Utani » en Tanzanie, « senankuya » au Mali, « dendiragu » et « dakure » au Burkina Faso ou « banungwe » en Zambie

22 Les Diarra et les Traoré, les Keïta et les Coulibaly, les Koné et Traoré, les Touré et Maïga, les Camara et Sylla

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B : « Nous sommes peut-être des mangeurs de haricots mais nous sommes aussi des guerriers et à

’ ri i d M i grâce à Binto! »24

Les relations à plaisanteries peuvent apparaître violentes et agressives (jeu verbal, gestuel, insultes25, menaces). Des propos injurieux peuvent être employés (nourriture, habillement, religion, langue, occupation de l’autre) sur ses pratiques culturelles (Smith, 2004).

« Merci Sey , j v i p q t ét i C i y. C ’ t p d i r ch ix d d

famille, c'est d'ailleurs pourquoi on est dans cette situation car les Tourés sont toujours mal conseillés. Leurs conseils préférés sont les Coulibaly qui leurs font toujours des crocs en jambe. Je sais que tu comprends que même les situations difficiles les Maliens font appel au cousinage donc merci

Couloubalyké. » [12]

Ces relations comportent des préceptes de non-agression, d’assistance mutuelle, de respect, de solidarité et de médiation en toutes circonstances (besoin d’argent, accidents… ; Fouéré, 2005). Lors d’un accident, si un lien de cousinage existe entre les deux personnes, les constats sont rarement rédigés car personne ne peut être considéré comme en tort.

Chacun se répercute la place d’esclave et de maître car la hiérarchie qui existe peut être réciproque. Cette « abolition » de la hiérarchie s’est avérée très utile lors de nos entretiens. Cela nous a facilité l’accès à certaines informations au sein d’institutions très marquées par leurs structures hiérarchiques. D’ailleurs, ces dernières sont souvent des obstacles à l’accès de données.

2.4.6. Quelle place pour le « senankuya » aujourd’hui ?

Ces relations à plaisanteries deviennent un des grands thèmes politiques en Afrique notamment pour la prévention des conflits interethniques. Le Mali connaît des troubles sécuritaires et terroristes dans le Nord du pays. L’Etat malien a bien compris l’importance de la dimension pacifique du cousinage (Barke) et capitalise cette pratique par le biais de la radio ou de la télé en insistant sur les notions d’entraide et