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4. La problématique géographique de la société civile

4.1. Un manque de synergies entre acteurs de la société civile

« Un seul doigt de la main ne pas soulever un caillou. »

= On a toujours besoin d'autrui, l'union fait la force. » (Proverbe Bambara)

Les réformes institutionnelles et internationales augmentent l’implication de la société civile. D’un côté, cette proximité « supposée » des associations/O.N.G. doit améliorer la prise en compte des réalités locales et des besoins. D’un autre, ce transfert de compétences ne peut se faire que si les acteurs locaux en ont les compétences et les financements. Enfin, l’ensemble des acteurs doivent collaborer pour améliorer l’effectivité des programmes.

La décentralisation a élargie l’espace occupé par la société civile au niveau local. Des alliances inter-associatives sont concluantes et mettent en avant l’intérêt collectif (Bouju, Bocoum, Ouattara, Touré, 2004). Lorsque les résultats des initiatives locales à succès ont été transmises au niveau national, des décisions sont prises (Fournier et al., 2006).

Personne ne connaît réellement la synergie et les interactions qui existent entre les acteurs de terrain. D’ailleurs, si le concept de société civile est flou, la société civile elle-même ne se connaît pas très bien (Cherry, Mundy, 2007). Les relations avec d’autres associations ne sont pas toujours très bonnes : « il

’y p d c pit i ti , d’h r i ti iv c , ré i » [8]. De meilleures synergies sont

à créer [29].

Les étudiants d’une des deux associations de jeunes médecins étaient en pleine préparation du projet

« semaine de la santé » (séances d’information dans les écoles de la commune). Seulement, les

étudiants ne connaissaient pas les écoles chargées d’accueillir ces programmes. Ces écoles n’avaient pas été consultées avant les dépôts des dossiers.

L’un des exemples représentatif de ce manque de synergies est le « remue-ménage » opéré en 2008 à P.S.I. Mali après des activités considérées comme « ratées ». Le nouveau chef de l’organisation arrivé en 2006 a rompu à cette occasion le contact avec les O.N.G. partenaires pour cause de dépenses trop élevées. L’O.N.G. a décidée de tout faire par ses propres moyens même si l’un acteur rencontré avouait que l’O.N.G. ne possèdent pas toutes les compétences nécessaires pour le faire [30].

Peu de possibilités de mise en commun existent entre O.N.G. travaillant sur l’excision, chacune évolue en

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national des associations/O.N.G. fait que chacun opère sur ses propres lieux et projets. Même si des occasions informelles de partage existent, les partages formels restent faibles (Magassa, Meyer, 2008). Pourtant, plusieurs réseaux d’O.N.G. et espaces de concertation existent, sont légitimes121 et sont décentralisés au sein des régions.

Seulement, le C.C.A.-O.N.G. n’est qu’une association et n’a aucune reconnaissance officielle même si l’Etat malien le contact souvent (Raghavan, 1992). Les O.N.G. étrangères et nationales n’ont pu au début des années 2000 maintenir une plate-forme commune (Cherry, Mundy, 2007). L’Etat malien a crée en 1996 l’Espace d’Interpellation Démocratique (E.I.D.) qui regroupe paritairement la société civile et l’Etat. Les interactions au niveau local sont sujettes à de très nombreux codes. Si les acteurs étatiques, directions régionales, maires et chefs de quartiers sont souvent réunis dans le cadre de programmes de santé, tous n’ont pas les mêmes compétences et légitimités ce qui occasionne de grosses difficultés voir des blocages définitifs.

Ces difficultés sont encore plus prégnantes en présence d’un acteur exogène. De longues négociations et arrangements sont informelles, la grande majorité des acteurs présents ne perçoivent pas nécessairement le « cœ r d c f it » (3.3.3.) notamment parce que certains émissaires étrangers ne prennent pas le temps d’apprécier le contexte (Raffinot, 2002). Dans certains cas, les O.N.G. se trouvent simplement écartées des vrais débats, des préoccupations et des dynamiques locales des élus locaux et populations (Le Marcis, 2003).

Ce manque de synergies est dommage tant les coordinations peuvent répondre à plusieurs impératifs. Sur le plan économique, les organisations peuvent réaliser des économies d’échelles. Sur le plan géographique, elles peuvent rationaliser la desserte des territoires. D’un point de vue sanitaire, elles peuvent garantir à l’usager un système de prise en charge cohérent et sans discontinuités (Fleuret). Toutefois, lorsque le besoin s’en fait sentir, des alliances peuvent être recherchées afin d’accéder à des ressources publiques (Janin, 2008).

4.2. Une couverture inégale des O.N.G. sur le terrain : la

concentration des sièges d’O.N.G. sur Bamako

Bien souvent, une association est avant tout locale, constituées d’acteurs légitimes avant d’être une association qui œuvre dans la santé. Cette inscription territoriale donne une légitimité et une volonté d’améliorer le cadre de vie comme le montre l’exemple de la pérennité de l’équipe médicale qui constitue le C.S.COM. de Banconi.

Les O.N.G. sont très présentes sur Bamako (sièges) ce qui contradictoire quand l’on connaît la situation sanitaire, économique et sociale des autres régions notamment rurales. Leur omniprésence sur Bamako est liée à des questions d’obtention de financement, de visibilité et d’occupation de postes multiples. Pour les trois répertoires en lien avec la santé utilisés (JICA Santé, JICA Sida, GP/SP), plus de 80% des O.N.G. avaient leurs sièges à Bamako122 (85% pour les O.N.G. spécialisées sur le VIH/SIDA).

121 Groupe Pivot Santé Population (G.P./S.P.), Fédération des Collectifs d’O.N.G. au Mali (FE.C.ONG.), Secrétariat de Concertation

des ONG Maliennes (SE.C.ONG., 1989), Conseil de Concertation et d’Appui aux Organisations Non Gouvernementales (C.C.A.-O.N.G., 1983), Coordination des Associations et O.N.G. Féminines (C.A.F.O., 1991)

122 Bamako (84%), Tombouctou (3%), Gao, Koulikoro, Kidal (2% chacun), Mopti, Kayes, Ségou, Sikasso (1% chacun), autres 3% (JICA Santé, JICA Sida, GP/SP)

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« Un des points est le regroupement géographique des O.N.G. dans certains quartiers des villes où elles

interviennent. De même, à Bamako, Médecins du Monde, Médecins Sans Frontières Luxembourg et

Acti C tr F i ét i t di t t d’ c t i d tr t t au plus. » (Dauvin, 2002)

Les quartiers où se situent le plus de sièges d’O.N.G. sont : Hamdallaye/ACI 2000 (quartier récent sur les terres de l’ancien aéroport de Bamako), Lafiabougou, Badalabougou et Hippodrome (Fig. 52). De nombreux bureaux et ambassades sont installés dans le premier quartier. Pour le dernier, il concentre de nombreux diplomates.

Figure 52: Nombre d’O.N.G. par quartiers de Bamako en 2009

Une omniprésence d’O.N.G./associations existe en commune IV (soit 31.7%). La commune II regroupe plus de 17%123 des O.N.G., la commune VI 13.4%. La commune III qui regroupe un grand nombre d’administrations ne représente que 6.4% (Ministère de l’Administration Territoriale et des Collectivités Locales, 2009). Cette variation territoriale des sièges d’O.N.G./associations est également présente à l’échelle plus fine des quartiers.

« Civil servants feel that donor agencies in Bamako are mere post offices and that there is not much to

get from dialogue at the country level. » (Bergamaschi, 2007)

De même, les structures d’aide ne cessent d’augmenter dans le centre-ville (une trentaine en 2008) notamment celles rattachées à certains ministères (agriculture, décentralisation, finance, économie). Ces structures sont localisées dans des immeubles différents des Ministères mais composées d’agents civils travaillant dans de meilleures conditions. Ces dernières n’ont bien souvent qu’une durée de vie limitée…

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(Bergamaschi, 2007). Cette concentration spatiale existe également pour les structures de recherches (instituts nationaux, facultés, universités, grandes écoles) ce qui « ne facilite pas la couverture des

autres régions du pays en matière de recherche » (Bougoudogo, 2010).

Pour Banconi et de Faladié, quatre et vingt-deux O.N.G./association ont en 2009 renouvelés leur accord-cadre (Ministère de l’Administration Territoriale et des Collectivités Locales, 2009). Seuls 7.1% des habitants de Banconi ont reçu de l’information sur le VIH/SIDA via les O.N.G./association (25.7% à Faladié). Ils ont aussi un accès moindre à cette information via les autres acteurs de proximité (autorités locales, religieux, pairs éducateurs) mis à part pour les médecins traditionnels. Cette présence moindre d’O.N.G./associations à Banconi, quartier plus pauvre, moins scolarisé, moins couvert en structures de soins et plus important démographiquement et donc plus sujet aux méconnaissances, pose la question de la spatialisation des O.N.G./associations et de leurs projets sanitaires. S’il y a moins d’O.N.G./associations présentes sur Banconi, nos répondants sont tout de même 39.7% à être adhérents à une association (Faladié 49.7%).

Seuls 18.4% des répondants de Banconi et 7.7% de Faladié font appels aux associations du quartier en cas de problèmes, les réseaux familiaux, amicaux et voisinages sont plus perçus comme prioritaires.

4.3. Une couverture inégale des O.N.G. sur le terrain : un écart

entre les sièges des O.N.G. et leurs zones d’interventions

80% des O.N.G. du répertoire de la coopération japonaise se trouvaient en 2007 à Bamako dont 27% dans le nouveau quartier de bureaux d’Hamdallaye/ACI 2000 ou peu de population réside…. Cette omniprésence de sièges d’O.N.G. sur Bamako n’est pas nécessairement un inconvénient car cela permet des relations directes entre les différentes institutions nationales/internationales et un accès supérieur aux travaux et recherches via Internet ou les bibliothèques (facultés, structures, Ministères…). Cependant, les O.N.G. ne doivent pas pour autant perdre de vue leurs terrains éloignés…

Si 83% des O.N.G. qui travaillent avec la coopération japonaise ont un siège à Bamako, seules 14% ont un projet en cours dans la capitale malienne (Fig. 52). A contrario, si 2% des O.N.G. ont un siège à Ségou, elles sont 11% à œuvrer sur ce territoire. Cet écart entre les lieux de siège et zones d’interventions est important pour la majorité des villes.

Même si certaines organisations ont une ancienneté et/ou une proximité géographique, le manque de relations, de suivi quotidien des projets, les coûts de transports et le manque de régularité dans la fréquence des actions compliquent le bon fonctionnement des programmes sur le long terme. La proximité sociale (gage de réussite) manque lorsque les organisations ne viennent que pour des projets ponctuels et de courte durée. Ceci est d’autant plus vrai que les prises de contact et démarches demandent beaucoup de temps si l’on veut respecter les us et coutumes…

La logique d’implantation des O.N.G. est tributaire des bailleurs de fonds. Ces derniers avouent réserver leur aide à la seule région jugée apte au développement (sud du Mali pour l’or et le coton, Bertrand, 1999b). La participation de la société civile est abondamment requise de l’extérieur mais inégalement concrétisée à l’intérieur du pays (Bertrand, 1999a).

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Figure 53: Zones d’interventions des O.N.G. au Mali en 2009

Une certaine homogénéité existe dans les zones d’interventions (Fig. 53). Les zones d’interventions les plus présentes sont :

1. pour les O.N.G. référencées par la coopération japonaise en santé, Bamako, Koulikoro et Ségou, 2. Koulikoro et Bamako pour celles qui travaillent sur le VIH/SIDA,

3. Bamako, Ségou, Koulikoro et Sikasso pour le Groupe Pivot Santé Population.

Une question se pose : à qui revient la responsabilité de coordonner la localisation des projets au sein des régions et des agglomérations ?

Figure 54: Prévalence du VIH/SIDA en 2006 et zones d’interventions des O.N.G. spécialisées sur le VIH/SIDA au Mali en 2009 par régions au Mali

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L’analyse géographique des territoires d’interventions et l’analyse des actions montrent un accroissement des discontinuités à toutes échelles (Dubresson, Jaglin, 2002). Une procédure était en cours en 2008 pour mieux définir les avantages comparatifs des O.N.G. et mieux répondre aux critiques formulées à l’égard du manque d’ancrage en milieu rural des organisations basées à Bamako (Magassa, Meyer, 2008). La capitale représente la « facilité », les programmes sont plus faciles à mettre en place ([24]; Fig. 54). Des écarts s’observent entre les lieux de siège des O.N.G. spécialisées sur le VIH/SIDA et leurs zones d’interventions (J.I.C.A., 2007). Une concentration des actions de la santé de la reproduction sur Bamako s’est également observée dans les années 70-90 (Kaggwa, Diop, Storey, 2008).

« En fait, Tombouctou est une région du Nord ou les intervenants sont moins nombreux surtout dans le

cadre du VIH/SIDA. » [68]

« AK ti , it ti ’ t p p r q d p rt ir p t ti . » [56]

Comment ces O.N.G. s’intègrent-elles à leurs territoires d’actions (populations, groupes cibles, acteurs en place) ? Pour différents acteurs qui travaillent dans la lutte contre l’excision, chaque O.N.G./association a son terrain propre d’où une dispersion des efforts [16]. Lors de séances de sensibilisation sur le VIH/SIDA à Banconi, une O.N.G. n’a pas pris la « peine » d’en informer le C.S.COM. alors que ce centre est une référence (quartier, Bamako, Mali, internationale) dans le domaine de la santé communautaire [12]. Ceci est d’autant plus critiquable qu’il existe au sein du centre de santé, des relais communautaires qui effectuent également ce genre de sensibilisations (dans le centre ou dans les familles). Ce manque de coordination entre acteurs locaux de statuts différents crée des problèmes de légitimité et d’appropriation des messages. Certaines actions sont organisées par des O.N.G. « virtuelles », absentes du terrain (Bourdarias, 2003).

En règle générale, les O.N.G. choisissent de ne pas intervenir sur les mêmes lieux et auprès des mêmes populations (visibilité médiatique, reconnaissance individualisée). Les autorités et populations locales sont presque toujours « preneuses » d’actions de terrain. Il en résulte une sorte de territorialisation des influences, de la concurrence entre O.N.G. et le souvenir plus ou moins durable et bénéfique des actions menées.

« Les partenaires sont éparpillés dans toutes les communes. » [27]

Les acteurs n’ont que peu d’intérêts à se trouver au quotidien auprès des populations. Dans le « projet

schisto », les personnels venaient de Bamako et touchaient leurs frais de déplacement, sans distinction

de statut (Berche, 1996). Les acteurs ont donc tout à gagner : de meilleurs salaires à Bamako, un plus grands accès aux services, une plus grande valeur sociale du travail et des salaires complémentaires (per diem). Ce constat complique la venue de médecins dans les centres de santé en zone rurale.

« 1997 1998, j’ i été c rdi t r v c ’O.N.G. X d pr j t d tt c tr VIH/SI A d X vi d’ rr di t d Y d ré i d M pti. C’ét it p r 2 . J’ i dé i i é p i ctivité c r r p d ’O.N.G. i fi cé p r ’O.N.G. et qui était basée à Bamako ont détourné tous les fonds alors que mes trois animateurs et moi-même crevaient de faim en brousse. » [55]

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Le caractère local des O.N.G. est souvent mis en avant contrairement aux grandes agences internationales ou l’Etat. Les O.N.G. revendiquent elles-mêmes le fait de représenter des groupes locaux. Cependant, le système d’auto-gouvernance de ces O.N.G., leur représentation, légitimité et déformation institutionnelle (fonds externes) et structures internes quelque fois non démocratiques font peser des doutes sur leur rôle d’agent neutre (Magassa, Meyer, 2008). Le caractère local des actions des O.N.G. ne serait qu’idéalisé de l’extérieur (Bertrand, 1999b). L’un des dangers de l’engouement pour la décentralisation, c’est de conduire à passer du « tout Etat » au « tout local » (Janin, 2008).

Les nombreuses O.N.G. maliennes locales créées depuis 20 ans montrent un certain dynamisme local. Cela ne signifie pas pour autant que celles-ci adoptent des modalités spécifiques d’intervention sur le terrain (Leclerc-Olive, 2008).

La Coordination des Associations Féminines et O.N.G. (C.A.F.O.) est un exemple positif. Celle-ci est présente dans les six communes et quartiers de Bamako (au 30/12/2007, 78 cellules dans les quartiers). L’organisation est également présente dans les régions (au 31/12/2007, plus de 2000 associations/O.N.G. avec une moyenne de 10 personnes par association ou O.N.G. [25]).

L’omniprésence des sièges d’O.N.G. et associations à Bamako, l’écart entre ces sièges et leurs territoires d’intervention, les difficultés de communication et de transports, compliquent la mise en place des programmes. Nous l’avons vu (2.2.; 2.3.) et nous le verrons (7.1.1.; 7.1.3.), la proximité des chercheurs et intervenants en santé est primordiale pour transmettre de bons messages d’autant que la décentralisation et les programmes de participation communautaire sont censés améliorer les relations des organisations avec les collectivités locales. Or, cette omniprésence d’O.N.G. à Bamako et les nombreux déplacements ne font qu’accroître la mise en place de programmes standardisés sur le terrain et le temps d’intervention (Van Dormael, 2006) d’autant que les organisations sont peu nombreuses à préparer l’élaboration des programmes de terrain (8.3.).