• Aucun résultat trouvé

1. Analyse des pratiques locales par rapport aux connaissances

1.3. Une stigmatisation en recul mais toujours sous-jacente

1.3.2. La féminisation de la maladie : une stigmatisation de « genre » ?

Au Mali, les deux genres se rejettent la responsabilité de l’épidémie. L’idée d’une féminisation de la maladie est évoquée dans les rues mais aussi lors de la Conférence VIH/SIDA de Bamako (2007) par un journaliste.

« Les analphabètes pensent encore que ce sont les femmes qui sont séropositives. Les hommes malades

renvoient leurs femmes. » [54]

Pour un responsable d’A.F.A.S./A.M.A.S., si les femmes sont plus nombreuses à être contaminées, c’est parce qu’elles sont « plus nombreuses à aller dans les centres de dépistages et plus courageuses que les

hommes, qui cachent leur maladie ». Certains hommes séropositifs consultent et se fournissent en

médicaments dans d’autres unités de soins. Ces derniers cachent leurs médicaments et les prennent souvent sous la douche [48]. De nombreux maris abandonnent leurs femmes séropositives et leurs enfants et/ou ne leurs « donnent plus à manger ». Les maliennes s’occupent plus facilement de leurs maris [50]. Cela pose la question de la non-divulgation de son statut à son conjoint : « j ’ i cé f q i ’ cé f i t i t d dé div rc . M f i ’ i r j té, j’ i vécu deux ans avec de nombreuses maladies opportunistes. Av c tr it t, j’ i r pri r pid t d f rc , j’ i r pri ctivité t pr ç , f i t -famille sont revenus vers moi, des i t rv t t v v ir p r q j r pr f . L ci t q v q j’allais mieux, ma famille et belle-f i cr y i t p ’ xi t c d SI A. M f t t é d t

notre enfant est décédé, elle a été mise sous ARV. » [50]

Lorsque qu’un couple vient au C.E.S.A.C., les conséquences du statut séro-concordant/séro-discordant sont évoquées. Seulement, lorsque la femme est contaminée, le mari refuse souvent le dépistage [48]. De manière générale, le taux de refus des hommes au dépistage est plus grand (8.9% Femmes 6.5%, Ministère de la Santé, 2006).

155 http://www.aidslaw.ca/publications/interfaces/downloadFile.php?ref=1651

156 http://data.unaids.org/pub/Report/2010/mali_2010_ncpi_fr.pdf

157 L'Indépendant (29/10/2010), « A.T.T. au lancement de la campagne de vaccination contre la poliomyélite à Sénou : " Les parents qui refusent de faire vacciner leurs enfants répondront de leur infirmité " »

195

Le Samu Social qui soutient les enfants de la rue confirme que le dépistage est toujours plus aisé avec les jeunes filles alors que de nombreuses séances de counseling sont nécessaires pour les jeunes hommes [3].

La « sexospécificité » de la maladie existe également pour la tuberculose, pathologie perçue comme masculine. Elle entraine une double stigmatisation : celle des hommes comme groupe à risque et celles des femmes atteintes d’une maladie masculine (Berthé et al., 2009).

S’il existe un « laisser-aller » dans la gestion des ordures (institutions, populations), les femmes sont particulièrement montrer du doigt (Simard, De Koninck, 2001).

a) Les femmes et l’argent

« La beauté d'un homme est dans sa poche. » (Proverbe Bambara)

L’argent est synonyme de prestige et de capital social (Vuarin, 1994) notamment lors des cérémonies familiales et amicales (baptêmes, mariages…). Cette « économie sociale » n’est pas à négliger car elle est très importante socialement et économiquement, les sommes en jeu sont hautes. Cette monétarisation sociale n’est pas spécifique au Mali et aux femmes mais à la société tout entière (Bouju, Bocoum, Ouattara, Touré, 2004). La tradition de « permission » à l’accès à la sexualité (dot) est moins présente de nos jours.

De nos jours, les parents ne gérent plus les dépenses des enfants qui doivent eux-mêmes se prendre en charge (Gueye, Castle, Konaté, 2001). De nombreux débats radio, histoires populaires, pièces de théâtres, articles de presse ou chansons158 tournent autour de la femme cupide (Schulz, 2007).

La féminisation de la maladie est en partie liée à la précarité économique des femmes qui, dans certaines situations (notamment en milieu urbain), s’adonnent à de « mauvais » comportements159 (prostitution ; [46], Solbeck D.E., 2010; Boileau C., 2007). Pour un acteur rencontré, « 40% des filles négocient leurs

rapports sexuels » [28]. Un ensemble d’acteurs (parents, jeunes, institutions politiques, O.N.G.,

religieux…) présents à un atelier sur la recherche en santé sexuelle à Bamako (2005) notait que « la

dé cr ti t p vr té t ’ ri i d t vic » (Grange Omokaro, 2009).

Certains comportements (échange rapport sexuel/argent) ne sont pas perçus comme de la prostitution mais comme un nouveau système de relations causales notamment en milieu urbain (Brand, 2000). L’amour « sous-jacent » permet de rendre cette pratique normale et non-choquante.

A la question « est-il correct de donner de l'argent ou un cadeau à sa (son) partenaire après une relation

sexuelle? », il existe peu de variations entre Banconi (19%) et Faladié (22%). Les hommes et les jeunes

(15-34 ans) perçoivent plus cette pratique comme normale (hommes 23.8% / femmes 15.7% ; jeunes 23.9% / 2.7% pour les plus de 34 ans). Les célibataires ont le même sentiment (26.3%, 13.9% pour les

158 « Les gars, écoutez mon fléau… Les filles ne savent plus ce qu’est l’amour, elles ont des choses en tête… La beauté n’a plus de valeur, quelque part l’amour se meurt, bon alors, éloigne toi si tu n’as pas de fric… Malheureux cette vie de débauche à laquelle les filles s’accrochent. […] Les filles ne pensent qu’à l’argent, en amour même plus de sentiments. » (Boom, groupe de rap malien in Grange Omokaro, 2009)

159 Le Républicain (21/10/2010), « Secret de femme : « Bamako : attention aux autos stoppeuses arnaqueuses » » Bamako Hebdo (12/06/2010), « Les techniques des ivoiriennes pour arnaquer les hommes »

196

couples mariés). D’ailleurs, les questions d’argent, de cadeaux ne sont pas inexistantes au sein du couple160.

b) Le sexe en échange de cadeau(x) : de la prostitution ?

La prostitution, le libertinage se retrouvent au quotidien pour assurer certains besoins essentiels ou de prestiges (motos, MP3, téléphones ; Unwomen, 2003) avec une mercantilisation des relations accrue en ville (Vuarin, 1994). Le cadeau est un symbole de la qualité de la relation sociale (C.E.M.AF., 2007). Dans le milieu scolaire, l’expression « N.S.T. = Notes Sexuellement Transmissibles »161 signifie la négociation des notes.

Nous pouvons distinguer deux catégories de « travailleuses du sexe » (Soutoura-Unaids, 2008).

Les « Travailleuses du Sexe Officielles » (T.S.O.) souvent originaires de la sous-région et enregistrées par les services des mœurs de la police et qui sont rattachées à une maison close (déclarée sous le nom d’hôtel ou de bar-restaurant). Elles y paient un « loyer » à la journée (2000 à 7500 Fcfa soit 3.05 € et 11.83 €).

Les « Travailleuses du Sexe Clandestines » (T.S.C.) » qui vivent généralement en famille, sont d’origine malienne même si l’on trouve de plus en plus d’étrangères. A Bamako, plus de treize nationalités différentes de prostituées ont été enregistrées (maliennes 50%, nigérianes 35%, guinéennes 5%...). Les autres nationalités sont présentes mais en moindre proportion162 (Soutoura-Unaids, 2008). La stigmatisation de certaines nationalités existe dans la presse malienne ou dans la société. La migration de nigériannes, guinéennes ou ivoiriennes163 est souvent forcée. Ces jeunes filles sont moins bien protégées que dans les maisons closes et sont victimes des rafles régulières de la police. Les prostituées clandestines sont aussi appelées « Jakarta cellulaire JTH 164», « chic, chèque, choc165 », « sponsors » ou « 3V » (« Villa, Vidéo, Voiture »).

160 Le Républicain (09/05/2010), « Secret de femme : Le pouvoir de l’argent » L’Essor (7/05/2010), « Vie de couple : les vertus du cadeau »

Le Républicain (09/08/2010), « Secret de femme : Célibataires pingres mais plus rassurants » Le Républicain (13/12/2010), « Secret de femme : L’argent dans le couple »

Le Républicain (17/02/2011), « Secret de femme : Le danger de monnayer son amour »

161 L'indicateur Renouveau, 09/10/2009, « Université de Bamako : La prostitution à ciel ouvert » Le Républicain, 16/12/2009, « Facultés : La prostitution gagne les bancs »

Avenue 223 (22/04/2010), « Relations d’amour entre enseignants et étudiants : peut-on l’interdire ? »

Lafia Révélateur (07/01/2011), « L’inquiétude de certains parents des filles de Tombouctou étudiant dans les Universités de Bamako »

Abderrahmane Sissako, « Notes Sexuellement Transmissibles », Scénarios d’Afrique,

http://www.dailymotion.com/video/x8yqlv_scenarios-d-afrique-notes-sexuellem_shortfilms

162 Moins de 5% de Burkinabés, Sénégalaises, Ivoiriennes Ghanéennes, Camerounaises, Béninoises, Sierra Léonaises, Togolaises

163 Le Prétoire (03/03/2011), « Et si on en parlait : Prostitution à Bamako : Quand les étrangères perdent le terrain » BBC Afrique (30/09/2010), « Mali: des nigérianes dans la prostitution »

All Africa.com (01//10/2010), « Nigeria: Thousands of Trafficked Girls found in Mali Slave Camps »

Nouvelle Libération (21/04/2011), « Répercussions de la crise ivoirienne au Mali : Des Ivoiriennes «gâtent le coin» à Bamako ! » Le Combat (13/03/2011), « Les effets collatéraux de la crise ivoirienne au Mali : Sauve qui peut… Les Wolosso de Yopougon à l’assaut de Bamako »

Option (03/05/2011), « Bulles : Amour wolosso »

Le Prétoire (05/09/2011), « Des prostituées guinéennes agressent un journaliste de «Le Prétoire» »

164 « Djakarta cellulaire » correspond aux jeunes filles n’ayant pas de revenus, une famille pauvre mais possédant les tout derniers portables à la mode. Conférence VIH/SIDA Bamako 2007

« Djakarta » : petites motos venant d’Indonésie et de Chine, motos qui pululent sur Bamako

La Révélation (03/12/2010), « Proxénétisme à Bamako : Quand nos sœurs contractent des Djakarta avec les bars chinois en échange de leurs corps

165 Le « chic » caractérise le « beau mec », le « chèque » l’homme qui possède beaucoup d’argent et le « choc » le choix du cœur (Grange Omokaro, 2009).

197

Le client de ces deux groupes décide du lieu de la « passe » avec un « circuit » classique : la rencontre dans un bar-restaurant avec chambres appelé « maquis » où le client loue la chambre (250 Fcfa (0.385€) à 5000 Fcfa (7.5€)). Les prix de « la passe » varient beaucoup, de 500 à 5000 FCFA (0.75€ à 7.5€) jusqu’à 20000 FCFA (30€) pour la nuit [26]. Le client des prostituées est « Monsieur Tout Le Monde » (médecins (4.2.2.a.), saisonniers, administratifs, ingénieurs…

Aujourd’hui, les téléphones mobiles modifient les pratiques. Des jeunes filles laissent des photos et numéros de téléphone à une personne secrète dans les hôtels chics et le client appelle lui-même la fille. Des jeunes filles nommées « deuxième bureau »166 attendent souvent à l’extérieur des administrations et entreprises.

Si le nombre de prostitués « affichées » est stable à Bamako, la proportion d’étudiantes (prostituées

« clandestines ») augmente (baisse du nombre et du montant des bourses) [26]. Les prostituées

clandestines sont souvent identifiées comme des filles « sérieuses », elles sont donc difficiles à sonder [25]. [9] [26]).

Le taux de prévalence des prostituées augmentent avec l’âge167. Autre fait important, les prostituées mariées sont très contaminées168 d’où de grands risques de transmission dans le couple d’autant que l’utilisation du préservatif est irrégulière avec les petits amis (32.9% des prostituées utilisent le préservatif régulièrement contre 53.9% de manière irrégulière (Soutoura-Unaids, 2008)) et que les personnes infectées communiquent difficilement leur statut à leur conjoint.

27% des femmes qui ont un partenaire régulier qui donne de l’argent étaient âgées de moins de dix ans que lui (5.2.1.b. ; Gueye, Castle, Konaté, 2001) notamment parce que les « gains » sont supérieurs. Or, les hommes qui ont un haut niveau scolaire et/ou de bosn revenus ont des taux de prévalence en hausse [18]. Les enquêtes sociales du Centre d’Ecoute, de Soins, d’Accueil et de Conseils (C.E.S.A.C.) montrent que les personnes les plus infectées sont économiquement les extrêmes [48]. Si les populations les plus éduquées semblent mieux connaître les voies de transmission, elles émettent autant des confusions (White et al., 2009), il est donc inutile de stigmatiser les populations pauvres ou analphabètes.

Si les hommes critiquent le comportement de certaines femmes en les considérant comme

« provocantes », « d v t ppr dr ’ t ir » ou jugeant que le sexe est « trop facile » pour elles,

les femmes mettent, de leurs côtés en avant, l’infidélité des hommes [T] [L] [R] (5.2.1.c.). Quelques réflexions d’hommes appuient ce dernier point :

« J’ i p i r p rt ir cc i t j pr t p v t. » [T]

« Le sexe est partout. Il faut ’ cc p r d tr v i d x p rt t. » [43]

« N v c p d r ti x , p p rt t…. » [J]

On observe un certain déni de responsabilité envers le genre masculin : « il faut passer des messages

aux travailleuses du sexe mais aussi à la communauté notamment les hommes » [4].

166 Bamanet (19/03/2009), « Amour et “deuxième bureau”, Le calvaire des femmes mariées légalement »

167 15-20 ans : 23.4%, 21-25 ans : 27.9%, 26-30 ans : 37.5%, 31-35 ans : 48.3%, 36-40 ans : 42%, + de 40 ans : 57.7%

198

Pour l’Alliance des Religieux du Mali contre le VIH/SIDA, la prostitution reste essentiellement un problème masculin car ce sont eux qui créent la demande notamment les hommes mariés [9].