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1. Analyse des pratiques locales par rapport aux connaissances

1.1. Un tabou toujours présent

1.1.1. Un tabou sur la sexualité toujours présent

Les échanges sur le VIH/SIDA ne peuvent se faire que si le contexte sociétal le permet. Les messages sont d’autant plus adaptés et acceptés s’ils sont autorisés au sein de la société. L’épidémie du VIH/SIDA est telle qu’aucun tabou et frein ne devrait engendrer de blocage à la sensibilisation.

Seulement, au Mali, les discussions sur la sexualité et la grossesse sont toujours taboues et perçues comme un manque de vertus (même entre femme) alors que le pays est l’un des plus féconds au monde (6.5 en 2009; Diallo, 2004b ; Clemmons, Coulibaly, 1999). Ce manque de communication est très présent à l’échelle micro-locale (cercle familial, couple) même si des avancées sont perceptibles :

« J i ’ d i t r d pr i r h r d tt c tr SI A d c ité

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discute entre eux. […] Il y a dix ans, on ne pouvait pas parler de SIDA « ’ i » r q ’ j rd’h i,

on en discute à tous les niveaux (religieux, notables, femmes, hommes et jeunes). » [56]

Des différences apparaissent entre nos deux espaces sur le fait d’accepter que de l’information VIH/SIDA soit diffusée.

Figure 56 : Lien entre lieu d’habitation et la volonté que les enfants reçoivent de l’éducation sexuelle à l’école et le fait d’accepter de parler du VIH/SIDA dans la vie de tous les jours

Si les hommes en milieu rural possèdent des relations en ville, leurs épouses réduisent leur champ de connaissances au voisinage immédiat, elles ont moins d’interlocuteurs (Gibbal, 1988). En 2007, 54.4% des ruraux rapportaient que seules les personnes immorales parlent de VIH/SIDA (Hess, McKinney, 2007).

« Les filles (prostituées) ne parlent pas entre-elles du SIDA. » [9]

« I ’ t rrivé d’êtr p d t d i i i ti i j ’ i p p p r q ti c r j’ét i

ê é c d d q ’i y v it t r. J p p i r t questions quand on est en petit

groupe (comme maintenant avec vous). » [A]

a) Des disparités dans l’accès aux canaux de communication

« I ’y q r i ch c q i r ti t c i . » (Proverbe Bambara)

L’accès aux canaux de communication est à la base de tout. Les programmes doivent être adaptés et accessibles notamment pour les populations les moins informées pour limiter les inégalités d’accès (scolarisation, distance géographique, économique). Les échanges sont plus importants à Faladié pour 7 des 8 canaux (Fig. 57) avec de grandes différences entre nos deux espaces (mis à part pour les amis et agents de santé). Les rumeurs sont très présentes à Banconi.

Figure 57: Lien entre le lieu d’habitation et les canaux de connaissance du VIH/SIDA

Le manque de canaux d’information à Banconi et les faibles taux de scolarisation ne sont malheureusement pas comblés par un travail de terrain plus présent (pairs éducateurs). Les agents de terrain les plus représentatifs pour Banconi et Faladié sont les agents de santé et les pairs éducateurs pour Faladié.

L’accès à ces sources de connaissances sur le VIH/SIDA est très important car il augmente par exemple la connaissance de l’un des slogans de lutte (amis, agents de santé, campagnes de masse, école, presse).

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b) Un manque d’intérêt pour s’informer sur la santé, la sexualité et le VIH/SIDA

« Celui qui demande peut paraître agaçant mais ne mourra pas ignorant. »

(Proverbe Bambara)

L’accès aux campagnes de prévention doit être large, précis et adapté. Certes, les messages doivent inciter les populations à se prévenir mais ils doivent également les motiver à aller s’informer un peu plus. Si celles-ci s’informent volontairement peu sur le VIH/SIDA ce n’est pas le cas des patients et familles diabétiques. Les patients diabétiques qui côtoient les structures privées ne s’informent qu’entre-eux tandis que ceux qui fréquentent l’hôpital ont plus d’informations par les médecins. Cette différence n’est pas liée aux qualités de communication des personnels mais à la configuration spatiale et au fonctionnement de ces structures qui favorisent ou non l’émergence les échanges (Tijou-Traoré, Gobatto et al., 2008).

Les habitants de Banconi sont moins nombreux (et de loin) à « ’i tér r » au virus (6.7%, Faladié 22.6%). Sur nos deux espaces, les programmes sanitaires ne sont pas une priorité, ils sont les derniers programmes recherchés (informations/journaux, musique, sport).

Si l’accès à l’information en santé est inégal, c’est aussi parce que les habitants n’acceptent pas tous de recevoir de l’information. Le genre et l’âge rentrent en compte. Les hommes sont plus nombreux à aller chercher de l’information notamment à Banconi. Contrairement aux idées reçues, les jeunes ne recherchent pas plus d’informations même s’ils sont plus concernés par le travail des pairs éducateurs. Ils sont moins nombreux à recevoir de l’information via les agents de santé. D’autre part, plus le réseau familial est important, moins les habitants cherchent de l’information sur le VIH/SIDA.

Vivre dans un espace avec beaucoup de nuisances ou être atteint de nombreuses pathologies amoindrissent la quête d’information ce qui confirme que le milieu de vie est important (7.1.4.).

Si l’écart n’est pas significatif, il est à remarquer que les personnes de nationalité étrangère ne sont que très peu à rechercher des informations complémentaires (7.7% contre 15.1%). Les habitants qui ont des facilités avec le français sont 25.9% à s’être renseigné sur le virus (11.5% pour les autres dialectes). Si l’accès au français est important, l’accès aux services de santé est aussi important pour l’accès à l’information (18.2% contre 9.3%). Cette question de l’accessibilité des structures de santé (7.1.3), en particulier des agents de santé, est primordiale tant ils sont recherchés. Les participants aux groupes de discussion confirment cet intérêt ([F][H][I][J][O][P][Q][R][S][T][U]). L’autre canal d’information concerne Internet ([F][H][S][T][U]) : « nous avons assisté à des séances au sein de la

communauté. Nous allons aussi sur le net et aussi voir les spécialistes » [K] [L].

Ceux qui recherchent des informations supplémentaires sont moins nombreux à ne discuter avec personne de sexualité (20.5 % contre 3.4%). Ceux qui possèdent une source d’information (radio, télé, internet, presse) sont plus nombreux à aller chercher l’information (17.8% contre 6.9%).

Une des associations d’étudiants en médecine note que les principales questions concernent les possibilités de transmission du virus par les moustiques, de la mère à l’enfant et le fait qu’une personne dépistée séropositive qui a des rapports sexuels avec d’autres personnes séronégatives sans se protéger ne les contaminent pas [40].

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Les habitants faiblement scolarisés recherchent moins d’informations sur le SIDA (4.8% non-scolarisés et primaire, 21.1% secondaire et supérieur). Elles ne sont que 48% à penser qu’il est bon de parler de SIDA dans la vie de tous les jours et 45.5% à accepter que leurs enfants reçoivent de l’éducation sexuelle à l’école124. Il faut aller vers les populations qui en ont le plus besoin, les intégrer aux programmes (7.2.) et améliorer la communication (7.1.3.a.).

Les populations faiblement scolarisées vont peu vers les O.N.G. par manque de confiance (avis positif : 35.5% / 47.7%, avis négatif : 11% / 4.9%). La famille est le second canal souhaité avec une diminution plus l’âge augmente. Le tabou diminue doucement (Sidibé et al., 2006).

c) Des difficultés au sein du cercle familial

« La parenté est un réseau de lianes. » (Proverbe Bambara)

Pour diminuer la prégnance des tabous, les programmes de prévention doivent être un point d’ancrage pour les familles pour discuter et échanger sur la sexualité. Les échanges avec les membres de la famille sont très faibles notamment à Banconi (Fig. 58) où 27.7% des répondants ne discutent avec personne de sexualité (7.7% à Faladié). Si les échanges avec les amis de même sexe sont assez proches, l’écart se creuse pour les amis de sexe différent.

Figure 58: Avec qui discutez-vous de sexualité ?

Les habitants de Banconi ne sont que 24.6% à recevoir des connaissances via les parents (75.4% à Faladié !). Les hommes (54.4%) échangent plus avec leurs parents (femmes 45.6%). Plus l’âge avance, moins les répondants ont échangés avec leur famille ce qui montre que des évolutions sociales sont en cours. Les célibataires (jeunes) obtiennent notamment plus de connaissances sur le virus via le réseau familial. Le tabou reste tout de même très présent entre parents et enfants ([21]; Sidibé et al., 2006). L’organisation culturelle malienne cache la vérité et déguise les faits réels125 (Castle, 2001).

Au Mali, l’élément stabilisateur des relations sociales repose sur le principe de séniorité. Si une

« apparente » harmonie existe, des motifs de tension existent entre jeunes et anciens (individualisation,

autonomie ; Schulz, 2007; Calvès, Marcoux, 2004). La pauvreté complique la redistribution solidaire ce qui a pour conséquence de fragiliser le lien familial. Le manque d’argent et de soins des parents font que les jeunes n’hésitent pas à « échanger » des relations sexuelles contre de l’argent ou des cadeaux (5.1.3.b.; Solbeck D.E., 2010). Ces difficultés financières familiales engendrent également un recul de l’âge au mariage (Grange Omokaro, 2009 ; Brand, 2000). Les relations pré-maritales sont toujours prohibées notamment pour les femmes même si une précocité des rapports sexuels apparaît (5.2.1.b.). Depuis l’enfance, l’éducation des jeunes filles est dirigée vers le rôle d’épouse et de mère même si la scolarité se développe. Plus l’âge augmente, moins les habitants sont disposés à ce que les enfants reçoivent de l’éducation sexuelle à l’école. Les « anciens » n’ont peut être pas tout à fait tort car certains

124 86.1% et 71.9% pour les personnes possédant un niveau supérieur.

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cours d’éducation sexuelle dispensés ne reflètent pas les réalités sexuelles126 (Grange Omokaro, 2009). Les sensibilisations y sont insuffisantes notamment parce que les enseignants ne veulent pas en parler et connaissent que peu de choses sur le SIDA malgré les formations127 [21].

« I f t ttr ’ cc t r i i f i i c r c p , i y tr p d’éd c ti . » (Boileau,

2007)

Les discussions sur la sexualité entre parents et enfants se font principalement au seuil du mariage et seulement dans certaines familles [K] [L]. L’éducation sexuelle arrive en second plan. Elle est faite par les frères et sœurs, amis et grands-mères notamment lors de cérémonies traditionnelles (mariages, baptêmes, excision…, Diallo, 2004b, 6.1.3.b.).

Les hommes de caste interviennent alors (Konaté, 2002). Les « Niamakala »128 permettent la transmission orale de l’histoire et de la culture. Chacun possède un type de discours, de communication et des domaines d’intervention appropriés et adaptés selon l’aire culturelle129. Par exemple, aux mariages, les « magonmaka » et « bolokoli-kêlaw » expliquent aux épouses comment donner du plaisir à leurs futurs époux et comment améliorer les performances sexuelles des deux personnes (repas, boissons, herbes aphrodisiaques). Ces produits appelés « miaya-dyalan » (Diallo, 2004b) se trouvent dans beaucoup de marchés, sur le bord des trottoirs et même derrière la Grande Mosquée de la capitale ! Si l’éducation de base est importante pour le développement, elle constitue une barrière communicative entre parents et enfants notamment lorsque les parents n’ont pas suivi d’études. Ces derniers ne sont pas « capables » d’évoquer des sujets aussi difficiles avec leurs enfants qui, bien souvent, possèdent des connaissances supérieures (médias, école). Si les jeunes sont incités à aller vers eux, les parents fuient les questions et orientent plutôt leurs enfants vers d’autres structures ou personnes (agents de santé, école… [18]).

« Une grande complémentarité et complicité existe entre moi et les parents des filles surtout parce que

je ne souhaite jamais me substitué à le r rô . p r t vi t v ir i p r ’ xp r d pr d c p rt t d r f t c d fi victi d’ tt q . rç d

centre le font aussi. » [55]

Les savoirs et valeurs transmises par les anciens ne suffisent plus dans la réalité actuelle. Les jeunes trouvent de nouveaux repères au carrefour des traditions, de la modernité et à la croisée de plusieurs échelles (tradition, influences coloniales, mondialisation ; Sauvain-Dugerdil, Wahab-Dieng). Tout l’enjeu pour la prévention est de saisir cette culture, de l’accompagner, d’en utiliser les codes, de s’adapter aux temps, aux lieux et aux langages. La télévision, allumée quasiment tout au long de la journée dans les foyers, dénature les échanges entre les membres de la famille. La promiscuité, les origines diverses et les âges variables qui composent les concessions ne sont pas sans créér des tensions130.

126 Le Quotidien de Bko (13/05/2010), « Société - l’éducation sexuelle des enfants : Un devoir des parents ou des enseignants ? » L’Essor (02/04/2011), « Les enseignants formés sur la prévention du diabète »

L'Indépendant (26/08/2011), « À l'issue d'un atelier qui s'est tenu hier au Centre Aoua Kéïta : Une politique nationale adoptée pour promouvoir la santé à l'école »

127 Le Républicain (19/06/2009), « VIH/SIDA dans l’espace scolaire : Le Snec produit un rapport alarmant »

128 Dns laquelle les griots jouent un rôle particulier

129 Jeli : griot, Numu : forgeron, fina : homme de caste pour la promotion de l’islam, Garanké, cordonnier, Mabo : tisserand…

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Les diabétiques sont peu nombreux à faire appel aux savoirs familiaux à l’exception des traitements traditionnels. Les connaissances familiales rencontrent peu de crédibilité. Les familles peuvent conseiller mais ne doivent pas s’immiscer dans la conduite à tenir à l’égard de leur traitement (Tijou-Traoré, Gobatto et al., 2008) même si cela pose la question de la composition et du mode de prise des repas. Pour remédier à ce manque d’échanges parents/enfants, Family Care International (F.C.I.) a créé un module de communication. De gros progrès sont à effectuer. Lors d’un atelier, le doyen annonça que

« chaque mère devrait donner un préservatif à son enfant ». Seulement, une des participantes lui

rétorqua de manière vive qu’il serait « le premier à renvoyer cette femme ! » (Boileau, 2007). Cette réplique montre combien il est difficile pour les parents d’intervenir auprès des enfants mais également au sein du couple…