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1. Le contexte politique et relationnel à l’échelle locale

1.2. Le contexte de décentralisation politique

1.2.1. Historique de la décentralisation au Mali

Le Mali, comme de nombreux pays africains, s’est engagé à décentraliser notamment pour répondre aux demandes des bailleurs de fonds et institutions internationales. Plus de vingt ans après sa mise en place, il est aujourd’hui important d’analyser comment les populations perçoivent et « utilisent » les outils de décentralisation.

L’État, au lieu de contrôler, doit aujourd’hui être un partenaire et faciliter le travail des autorités locales. A travers la décentralisation, l'accent est aujourd'hui mis sur le développement local pour améliorer l’efficacité des services et la gouvernance. Le potentiel est énorme mais il reste complexe et fragile. La décentralisation envisagée et annoncée depuis l’indépendance a réellement démarrée avec la IIIème

République en 1992 (Kassibo, 2006 in Fay, Koné, Quiminal) sous l’influence internationale et dans un souci de bonne gouvernance et de réduction des dépenses publiques. Car, malgré ses apparences populaires, la décentralisation est essentiellement le fruit de revendications élito-politico-administratives plus que d’une volonté populaire (Hetland, 2008; Marie, 2007; Zobel, 2004; Bertrand, 1999a). LeRoy parle d’ailleurs d’« indigénéisation » (Zobel, 2004). Même si la décentralisation malienne reste une référence (Bertrand, 1999b), certaines difficultés apparaissent81 (inégalités, droits humains, genre…).

81 Le Guido (27/04/2010), « Démocratie et respect des droits de l’homme : Le Mali tarde à ratifier la charte » Le Républicain (01/12/2010), « Droits humains au Mali : L’AMDH tire la sonnette d’alarme »

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Le Mali est engagé dans un processus ambitieux et fragile. Ambitieux, car la décentralisation est une priorité de premier ordre. Fragile, parce que sa réussite dépend d’un ensemble de facteurs (participation de tous les acteurs, disponibilité des ressources humaines et financières, enracinement d’une pratique démocratique dans la gestion du développement local, renforcement des capacités… ; Cissé, Maïga, Bartholomeeussen, 1999).

On dénombre 701 communes dont 682 nouvellement crées. 1.2.2. Les limites de la décentralisation au Mali

De nombreux problèmes persistent et ont des conséquences directes dans les programmes sanitaires. Ces dits programmes sont mis en place via les processus de décentralisation d’où l’importance de relever les difficultés et de les corriger. Ceci est d’autant plus vrai que les communes ne possèdent pas toutes les mêmes capacités techniques.

Malgré la bonne volonté et l’engagement des acteurs, les objectifs fixés n’ont pu être réalisés82 par manque de formations, de ressources financières ou de moyens logistiques (Kassibo, 2006 in Fay, Koné, Quiminal). Le découpage administratif s’est fait difficilement. Car, si la création des communes devait correspondre au regroupement d’arrondissements, certaines populations notamment rurales en ont décidé autrement. Dès la fin 1996, la refonte territoriale est apparue comme un véritable bourbier géographique à tel point que les institutions doutaient de sa pérennité (Bertrand, 1999b). Dans un souci de participation populaire, le caractère « enraciné » local des délimitations a largement été laissé à la décision des populations concernées (Zobel, 2004) d’où la création de 682 communes au lieu des 572 prévues (création de micro-communes).

L'Etat malien est actuellement confronté à une contradiction. Il doit permettre une répartition équitable des ressources tout en s'ingérant le moins possible. Seulement, une des questions préalable n’était-elle pas de savoir s’il y avait réellement « quelque chose » à décentraliser dans un contexte africain fortement marqué par la crise économique, les sécheresses, les politiques d’ajustement structurel… Les institutions internationales se sont largement basées sur la représentation fictive d’un État surdéveloppé d’où le « paradoxe de la décentralisation » (Médard, 1998).

Au nom de la justice sociale et du droit de chacun à accéder à des soins de santé, le système était avant tout basé sur un recouvrement direct des coûts auprès des bénéficiaires. Dans les faits, l’Etat s’est débarrassé de ses responsabilités et laisse les populations gérer. Dès lors, les secteurs sociaux qui ne sont pas rentables perdent tout intérêt aux yeux des investisseurs, ils sont donc devenus de façon progressive, les parents pauvres du développement (dégradation, démission du corps médical ; Jaffré, De Sardan, 2003; Balique, 2001a). Les interventions de l’État sont caractérisées par lefaible respect des L'Indépendant (03/12/2010), « Rapport 2008-2009-2010 sur la situation des droits humains au Mali : L'AMDH fustige le manque d'autorité de l'Etat, la corruption généralisée et l'insécurité au Nord-Mali »

Journal du Mali.com (07/12/2010), « Laïcité au Mali : l'AMDH pointe du doigt les leaders musulmans »

L'Indépendant (26/05/2011), « Commission nationale des droits de l'homme du Mali (CNDH) : Le rapport 2010 dénonce la culture de l'impunité dans la lutte contre la corruption »

Le Caïmain Indè (03/06/2011), « Situation des Droits de l’Homme au Mali : La CNDH publie son rapport 2010 »

82 Coopdec (27/01/2010), « Association des municipalités du Mali : un bel outil encore sous-utilisé » Canard Déchainé (27/01/2010), « La décentralisation malmenée »

Le 26 Mars (24/05/2010), « Collectivités Territoriales au Mali : L’espoir s’effondre »

L’Essor (18/03/2011), « Journée nationale des communes : bilan d’étape de la décentralisation »

L'indicateur Renouveau (06/04/2011), « Décentralisation au Mali : Dioncounda s'en prend aux juges et aux préfets » La Révélation (13/05/2011), « L’administration malienne : Une plaie qui tarde à se cicatriser faute de soins appropriés »

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logiques et préoccupations locales, une divergence de visions entre populations locales et agents de l’État, une multiplication des initiatives populaires pour plus d’autonomie et une non-réalisation des objectifs de développement fixés (Sanogo, 2004).

1.2.3. La difficile traduction et définition du concept de décentralisation

L’importation de concepts extérieurs ou de messages de senisbilisation posent des questions d’appropriation. Leurs adaptations et appropriations sur le terrain sont la clé de leurs réussites.

Une des premières difficultés réside dans la définition même des concepts (décentralisation, développement local, société civile, gouvernance) même ci ces derniers suscitent un intérêt croissant dans la sphère académique et politique internationale. Les termes décentralisation (Béridogo, 1997) et gouvernance sont trop souvent utilisés de façon normative, ambiguë, non précise ou idéalisée (Le Meur, 2003). Leurs enjeux sont donc difficilement compréhensibles par les acteurs et les populations.

Le terme décentralisation est difficile à traduire au Mali. La référence aux modèles politiques précoloniaux a permis de le traduire en « manika » avec l’expression qui lui est assimilée « faga ka sigi so » = « le

retour du pouvoir à la maison ». Les zones rurales utilisent plutôt l’expression « ka mara la segi so »

le retour du pouvoir au terroir »). Les termes de « marala-segiso » (« restitutio d ’ d i i tr ti

la population ») hérités de l’empire Mandé ou « idio-ikolola » (« tiens-toi debout par toi-même ») sont

également utilisés (Leclerc-Olive, 2008).

1.2.4. Les difficultés de transferts de compétences

Les transferts de compétences sont de plus en plus importants. L’Etat et les bailleurs demandent de plus en plus aux acteurs locaux d’assurer les actions sanitaires. Or, nous le verrons, les mairies sont loin d’être toutes capables, financièrement et techniquement, d’assurer cette augmentation des tâches… Si la décentralisation a permis l’apparition de nouveaux acteurs et le rapprochement des citoyens de l’administration, elle a aussi occasionnée un chevauchement de légitimités (officielles, coutumières, religieuses…) et de compétences créant des rapports de forces entre institutions modernes et traditionnelles (Dakouo, Koné, Sanogo, 2009; Hetland, 2008). A titre d’exemple, le principe de subsidiarité (article 20 de la loi n° 93-008 de 1993) qui détermine la libre administration des collectivités territoriales se heurte à d’autres dispositions législatives ce qui neutralise et débouche sur l’inaction (Kassibo B., 2006 in Fay, Koné, Quiminal). Une relecture du code des collectivités territoriales s’avère donc nécessaire.

Les multiples opérations de développement local ont tendance à systématiquement créer de nouvelles instances qui viennent se surajouter aux arènes locales déjà encombrées. La multitude de collectifs locaux ne représente pas nécessairement un espace public de négociation. Leur économie politique est aussi souvent une économie de l'exclusion sous des apparences consensuelles, à la fois dynamique, très peu transparente (accumulation de ressources, de pouvoir, corruption) et perçue comme peu favorable à l'émergence d'un espace public. En d'autres termes, la question de la gouvernance est posée…

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Si les textes accordent aux collectivités territoriales une large autonomie vis-à-vis du pouvoir central, il en est autrement dans les faits…83. Il persiste des problèmes d’articulation entre coopération et décentralisation notamment une hiérarchie administrative lourde (Cissé, Maïga, Bartholomeeussen, 1999). La territorialisation des politiques publiques (santé, social, éducation) est devenue réalité même si dans certains secteurs sensibles (santé, éducation, justice) l'Etat malien garde une politique de planification nationale, en concertation avec les communes.

« La décentralisation a amené un transfert de compétences mais pas de ressources, les impôts des

collectivités sont faibles et récents (10 ans). » [13]

La lenteur des transferts de compétence est due à l’insuffisance des capacités institutionnelles (organisation, ressources humaines…) et territoriales (Magassa, Meyer, 2008). Les échelons administratifs ont des compétences différentes, mais « c ’ t t t t r p d

domaine de compétence » (Diallo, 2004).

Il ne s’agit pas pour l’Etat de « se décharger » sur les collectivités, mais bien de faire réaliser par ces dernières, dans de meilleurs conditions de rationalité, rentabilité et d’efficacité, certaines tâches qu’il faisait jusque-là, mais plutôt mal. Les compétences transférées sont financées par les moyens que l’Etat consacrait auparavant à l’exercice même de ces compétences. En complément, cela n’empêche pas les collectivités de chercher à mobiliser des ressources nouvelles (coopération décentralisée, O.N.G. ; Diallo, 2004).

1.2.5. La difficile participation des populations

La participation des habitants aux programmes est « censée » améliorer l’adaptation des programmes, garantir leur réussite et favoriser une démocratie locale. Seulement, dans toute société, cette participation est soumise à diverses influences et pouvoirs qui entravent ou non la participation des citoyens.

Cette participation est la clé de voute du processus de décentralisation. Cependant, malgré les reformes, la décentralisation n’a pas encore réussie à éliminer la tendance à la banalisation, par les structures de l’État, des préoccupations locales (Sanogo, 2004). Malgré ce contexte local difficile (pauvreté, faible participation des citoyens), la démocratie malienne enregistre de bonnes performances (Dougnon). L’une des caractéristiques de la démocratie malienne est tout de même le faible taux de participation des citoyens aux élections. Hormis 1992, les autres consultations nationales ou locales n’ont pas soulevé d’enthousiasme populaire notamment chez les jeunes. Pis encore, à chaque échéance, ce taux décroît. Cela n’a aucune conséquence sur les résultats car la constitution malienne n’a pas établi de seuil minimum pour invalider une élection. Si 48.1% des personnes inscrites sur les listes électorales communales ont voté pour l’ensemble des régions (hormis Bamako), le taux de votants dans la capitale est remarquablement bas (22.38%). A la question de l’implication des habitants dans la vie politique, 21.5% d’entre eux étaient très intéressés, 10% quelque peu intéressés, 37% pas intéressés et 31.5% pas du tout intéressés (World Values Survey, 2007).

83 Le Républicain (05/02/2010), « Transfert de compétences ; Les collectivités, parents pauvres » Le Républicain (23/08/2010), « Décentralisation au Mali : Le transfert des compétences, un obstacle »

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Une des raisons ce désintérêt continu est l’absence de débats sérieux sur les problèmes économiques et sociaux cruciaux (chômage des jeunes, industrialisation, pauvreté, corruption, éducation des enfants…; Hetland, 2008).

Pour nos deux espaces, seuls 48.6% des habtitants de Banconi et 53.7% de Faladié ont votés lors des dernières élections. Les taux de confiance envers les politiques sont également faibles (Banconi 34.6% Faladié 47.1%). Un lien existe entre la confiance et le fait de voter.

1.2.6. Le développement local et l’économie sociale au Mali

Par définition, le développement local est la réunion dans une action commune des efforts du secteur privé, public et de l’économie sociale. Les acteurs doivent se concerter pour tirer le maximum du potentiel physique, économique, social, culturel et environnemental de leur milieu. Defourny et Develtere (1999) présentent l’économie sociale comme un ensemble d’activités mises en œuvre par des populations organisées à l’échelle locale, selon une éthique axée essentiellement sur le social et les principes démocratiques, activités qui prennent en compte les préoccupations du milieu et contribuent au développement local. Les grands programmes (Alma-Ata, Initiative de Bamako, promotion de la santé) parlent de la participation des populations. Seulement, si la participation locale est essentielle, elle ne doit pas conduire à une déresponsabilisation des pouvoirs publics. L’économie sociale et le développement local sont le fait de la communauté, ils peuvent donc difficilement échapper à l’influence des schémas socioculturels.

La décentralisation a ainsi recomposé les jeux d’acteurs locaux avec des institutions internationales qui ont revues le contenu de leurs procédures d’acheminement. Le développement local et l’économie sociale rejoignent l’aspiration d’une grande partie de la population notamment dans un pays où les associations sont très présentes.

L’exécutif à la charge de l’élaboration et de la mise en œuvre de politiques publiques. L’efficacité de son intervention peut donc s’apprécier à travers l’accès des populations aux services publics de base (Leclerc-Olive, Keïta, 2004). En dépit des progrès réalisés, l’accès aux services de base reste encore très limité (Fig. 50).

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