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compréhensive

Le film est un fait social38, il ne peut – sauf à vouloir se limiter à en comprendre l’intime structure – seulement être disséqué pour être compris. Isoler les signes, les paramètres constitutifs impressionnés sur la pellicule, pour les rendre aussi indépendants que possible et en déduire les effets qu’ils produisent sur les spectateurs conduit à des résultats parcellaires. Cela ne peut permettre de rendre compte des variations d’interprétation, des véritables significations possibles du film ou des processus interprétatifs mis en jeu.

Les sciences des faits humains et sociaux sont différentes de celles des sciences naturelles et physiques. Selon Wilhelm Dilthey (1833 – 1911), la compréhension est la résultante des deux expressions erleben (vivre, éprouver) et verstehen (comprendre). L'action humaine doit être racontée avec les termes du langage naturel, elle doit être associée à notre propre savoir sur le monde. On pourrait dire : l'action humaine est comprise à travers un processus d'identification avec ce qui se passe « derrière » sa description symbolique. « Le thème dominant, chez Dilthey, a été le sens accablant de la relativité des perspectives sur les événements humains, c'est-à-dire le sens de l'inévitable historicité de la pensée humaine. L'insistance historiciste concernant l'impossibilité d'une compréhension de la situation historique en

dehors de ses propres termes, pourrait aisément être traduite en tant qu'accent mis sur la situation sociale de la pensée. Certains concepts historicistes, tels que "la détermination situationnelle" et "la place dans la vie" pourraient être directement traduits en terme de référence à la "situation sociale" de la pensée. »39 Ces concepts se retrouvent pris en compte

maintenant, sous des formes nouvelles, dans l’approche communicationnelle. Cette prise de conscience d’un nécessaire élargissement du cadre d’observation est à ce moment en contradiction même avec l’idée de modélisation. Les prémisses de base de l'herméneutique – la fusion entre l'observateur et l'observé et la conviction que les structures de pensée et de sens sont pénétrables, mais d'une façon intuitive – sont là. Husserl apportera à Dilthey une théorie de référence : la phénoménologie.

Comme Dilthey, nous sommes convaincus qu’une interprétation ne peut être comprise, si elle est isolée de la situation dans laquelle elle est insérée. Néanmoins, il semble possible et nécessaire maintenant de dépasser la vision radicale de l’impossible modélisation. Avant même l’idée d’une mise en système, Max Weber propose dès 1922 la notion d’« idéal type » pour aborder en compréhension les comportements humains. Il est peut-être un des premiers à considérer les « comportements rationnels par finalité » c’est- à-dire à établir des interactions entre les orientations possibles des activités humaines et les préoccupations d’un individu. Nous retrouverons ce point de vue dans les notions d’« intentionnalité » développées par John Searle (mais déjà mises en évidence par Franz Brentano) et dans les relations entre l’objectif à atteindre et les processus cognitifs mobilisés40. Pour Max Weber, l’individu n’opère – dans le cas où ce type de comportements rationnels par finalité est mobilisé – ni par expression des affects, ni par tradition41.

Alfred Schutz (1954), élève d’Husserl et admirateur de Weber, appliqua tous les principes de la phénoménologie aux sciences humaines et fit considérablement progresser la réflexion épistémologique dans ce domaine. Dans le champ de la sociologie, il s’oppose au positivisme de Durkheim dont l’objectif est de constituer la sociologie en discipline. Pour Durkheim « Les

39 BERGER, Peter et LUCKMANN, Thomas, La construction sociale de la réalité, 1996, p. 15

40 Nous pensons en particulier aux travaux de John Sweller sur la « charge cognitive » dans des contextes d’apprentissage. Voir article de :

TRICOT, André, Charge cognitive et apprentissage, une présentation des travaux de John Sweller. 41 WEBER, Max, Economie et société, 1971 (1920), p. 23

phénomènes sociaux sont des choses et doivent être traités comme des choses. Pour démontrer cette proposition, il n’est pas nécessaire de philosopher sur leur nature, de discuter des analogies qu’ils présentent avec des règnes inférieurs. Il suffit de constater qu’ils sont l’unique datum offert au sociologue. Est chose, en effet, tout ce qui est donné, tout ce qui s’offre ou, plutôt, s’impose à l’observation. Traiter les phénomènes sociaux comme des choses, c’est les traiter en qualité de data qui constituent le point de départ de la science. »42

Pour Schutz, « Le monde social […] a une signification particulière et une structure pertinente pour les êtres humains qui y vivent, qui y pensent et qui y agissent. Ils (les humains) ont sérié et interprété à l’avance le monde par de nombreuses constructions courantes de la réalité de la vie quotidienne, et ce sont ces objets de pensée qui déterminent leurs comportements, définissent le but de leurs actions, les moyens utiles pour les mener à bien. »43 La compréhension, en tant que forme particulière de savoir immédiat ou de connaissance sur les activités humaines, s’appuie sur l’expérience d’être dans le monde, un monde qui a du sens. La connaissance expérientielle (celle de l’expérience du quotidien par opposition à l’expérimentation recréée et « coupée du monde ») est de ce fait radicalement différente de la connaissance concernant les objets physiques du monde. Notre capacité à comprendre les autres est fondée sur notre propre expérience des situations de la vie.

I.2 Le constructivisme : fondement de notre démarche sur le