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I.3 L’élargissement du cadre observé : de la structure à l’action située

I.3.1 Au départ la structure

Ferdinand de Saussure est le père de la linguistique moderne. Dans son

Cours de linguistique générale en 1912, il rompt avec une approche

descriptive et historique des langues pour rechercher les règles formelles de leur fonctionnement. Il défend un point de vue “structural“ ou la langue en tant que telle est étudiée comme un système. Un point de départ crucial pour notre réflexion concerne la dichotomie, centrale dans l’architecture conceptuelle de la théorie de Saussure, entre langue et parole. Cette séparation permet à Saussure d’ériger une barrière autour des données linguistiques brutes et de leur attribuer le rôle de matière première. L’enjeu des recherches de Saussure n’est alors pas moins que d’institutionnaliser une science de l’étude du langage humain, en tant que système de signes.

Il définit la langue comme « un système de signes exprimant des idées et, par là, comparable à l'écriture, à l'alphabet des sourds-muets […] Elle est seulement le plus important de ces systèmes. »75 Saussure compare la langue à une symphonie dont la « réalité est indépendante de la manière dont on l'exécute ; les fautes que peuvent commettre les musiciens qui la jouent ne compromettent nullement cette réalité. »76 Cette métaphore nous permet de bien comprendre ce qui constitue un système de signes et l'indépendance de celui-ci vis-à-vis de l'utilisation qui en est faite.

Le chapitre traitant des rapports syntagmatiques et des rapports associatifs est intéressant, c’est principalement ici que Saussure pose la question de savoir si les phrases appartiennent à la langue ou à la parole et, par la même, définit le cadrage de son système. Pour lui, « dans un état de langue, tout repose sur des rapports »77, mais ces rapports se déroulent dans deux sphères distinctes et correspondraient à « deux formes de notre activité mentale, toutes deux indispensables à la vie de la langue ». La signification dans la langue, et la référence dans la parole se constituent indépendamment l’une de l’autre. Ces deux sphères seraient chacune, génératrices d'un ordre de valeurs. « D'une part, dans le discours, les mots contractent entre eux, en vertu de leur enchaînement, des rapports fondés sur le caractère linéaire de la langue » ; il s'agit précisément de rapports syntagmatiques. D'autre part, « en dehors du discours, les mots offrant quelque chose de commun

75 SAUSSURE, Ferdinand de, Cours de linguistique générale, 1995, p. 33 76 SAUSSURE, Ferdinand de, Cours de linguistique générale, 1995, p. 36 77 SAUSSURE, Ferdinand de, Cours de linguistique générale, 1995, p. 171

s'associent dans la mémoire » pour former des rapports associatifs (plus tard dénommés paradigmatiques). Pour Saussure, le signe est fondé uniquement dans la langue. La linguistique a donc pour Saussure, l’objectif d’étudier les signes dont la langue est composée, ainsi que leurs rapports. Ces signes constituent des objets réels et concrets « qui ont leur siège dans le cerveau »78. Chaque signe est défini comme l’articulation d’un signifiant et

d’un signifié.

Néanmoins, Ferdinand de Saussure a insisté sur le fait que la langue est un phénomène social, cette dernière peut être totalement considérée indépendamment et avec ses propres règles. Si le système de la langue existe pour lui de manière autonome ; on peut trouver les règles de son fonctionnement au sein même de la structure. La mise en système de Ferdinand de Saussure constitue un exemple de modélisation encore largement approfondi de nos jours, si l’on en juge par les nombreux articles actuels, qui en font l’étude.

D’une certaine manière, la prise de conscience – dans la recherche – de la nécessité pour comprendre les phénomènes humains d’élargir le cadrage de l’observation pour y intégrer des données culturelles, sociales…, provient en partie des résultats définis dans le Cours. La possibilité de faire l’étude de la langue indépendamment de ses usages sera par la suite largement discutée. C’est principalement dans l’interaction entre la langue et la dimension sociale où résident des insuffisances. Jakobson79, plus de 50 années plus tard, affirmera qu’opposer langue et parole est aussi impossible que d’opposer individu et société. D’une part, c’est dans chaque individu que le langage se concrétise, non pas uniquement en tant que parole, mais comme une langue composite qu’il est constamment en train de reconstruire avec toutes les interactions langagières. D’autre part les événements de parole dans leur déviance des systèmes codifiés ne dépendent pas seulement d’une liberté individuelle, mais sont intégrés à des microcosmes sociaux multiples. Pour Jakobson, la théorie saussurienne du langage découpe artificiellement une partie codifiée, prévisible et monologique et une partie anarchique, indescriptible et dialogique80. Il travailla donc – sur la base de ces

78 SAUSSURE, Ferdinand de, Cours de linguistique générale, 1995, p. 32

79 JAKOBSON, Roman, Langue and parole : Code and message, On language, 1990, pp. 80-109 80 Pour ce passage sur les théories Saussurienne, nous nous sommes inspirés des remarques des documents de deux doctorants :

insuffisances – sur les embrayeurs, les mots déictiques et les pronoms personnels, pour permettre en particulier l’ancrage de l’énoncé dans la situation d’énonciation. Ces travaux le conduisent, en proposant un modèle fonctionnaliste du langage, à montrer que la linguistique doit s’intéresser à l’intégralité des fonctions que les actes de paroles sont appelés à remplir81.

Nous avons choisi l’exemple certainement le plus marquant, celui de la linguistique, pour développer l’idée que la mise en système et la notion de structure sont étroitement liées. Cette organisation – celle des systèmes – s’est dans un premier temps limitée à des « objets observables » pour, par la suite, comprendre comment interagissent des éléments périphériques et contextuels. La notion de système n’est intrinsèquement en rien, une notion pragmatique.

D’autres exemples dans la logique de notre document auraient pu nous servir également de fil conducteur. Le courant de la Gestalttheorie, dont les principes fondamentaux de la perception des formes constituent un système structural par excellence, a servi de base à de nombreux travaux par la suite. Nous pensons à ceux de Jean Piaget, lequel reconnaît un certain caractère biologique des formes. Mais, par la mise en relation entre perception et intelligence, il aboutit à la critique de l’idée de l’invariance des lois d’organisation au cours du développement mental. Deux des ouvrages de Jean Piaget, Le structuralisme82 et Logique et connaissance scientifique83 posent les bases de réflexions sur l’organisation systémique.