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II.1 Comment spécifier notre recherche ?

II.1.1 Introduire le contexte

II.1.1.1 Différentes recherches, différentes approches du contexte

Dans toutes les approches situées, la notion de contexte, c’est-à-dire l’ensemble des circonstances qui entourent l’événement, est fondamentale. Pour comprendre l’acte de communication, nous considérons que la question du contexte, au sein duquel les situations d’interprétation se déroulent, est incontournable. Le contexte, avant même la rencontre avec les données filmiques, peut contribuer à modifier le mode de réception et l’orientation

cognitive convoqués par l’interprétant du spectateur. Cependant, nous devons, dans le cas du spectateur impliqué dans une action située et temporalisée où siègent d’étroites relations entre l’interprète et son environnement, affiner cette notion de contexte de manière à l’intégrer dans notre logique de l’émergence.

Comment le contexte participe à l’interprétation ? Comment trouver des réponses méthodologiques à sa prise en compte dans le cadre de notre recherche ?

« La pragmatique linguistique et l'ethnographie, qui abordent l'étude du langage à travers son utilisation, ont mis l'accent très tôt sur l'importance du contexte dans l'interprétation des énoncés. Plusieurs dimensions du contexte ont été proposées (ex., Brown & Yule, 1983, chap.2) : le temps et l'endroit de l'interaction, le locuteur, l'auditeur, le thème de la discussion, le discours précédent, la forme de la conversation (débat, conversation libre, sermon, etc.), l'objectif du dialogue. Tout en reconnaissant l'apport de ces travaux, on peut considérer qu'ils véhiculent une conception en partie erronée du contexte lorsque l'on veut étudier l'interaction humaine : il n'existe pas un temps et un lieu de l'interaction, ni un locuteur et un auditeur, ni même un thème de discussion indépendamment des acteurs en présence. Chaque acteur donne un sens particulier à la situation dans laquelle l'interaction prend place. »195

Selon ce que l’on observe, le contexte se déplace. Dans le cas d’une relation interpersonnelle, invoquer l'importance de l'auditeur pour comprendre comment le locuteur formule l’énoncé est pertinent. Mais, il n’est pas nécessairement intéressant de dresser l’inventaire de l’ensemble des caractéristiques potentielles de l'auditeur, susceptibles d’influencer le contenu et la forme de l'énoncé. Il est plus pertinent de considérer les perceptions que le locuteur a de l’auditeur ; perceptions qui co-détermineront l’énoncé, et éventuellement l’échange tout entier. Dans une situation de relation professionnelle, le locuteur peut par exemple considérer l’auditeur comme un supérieur hiérarchique, comme quelqu'un de compétent ou non sur le domaine de discours abordé, etc.

Le contexte, dans le cadre de notre démarche, doit par conséquent être appréhendé d'un point de vue subjectif. Si l'on veut comprendre une activité,

le chercheur ne peut statuer a priori sur la définition d'une situation. Il doit chercher à décrire la définition de la situation pour chacun des acteurs impliqués dans la communication. Ainsi, l'existence d'objets ou d'événements particuliers, ne peut être considérée en elle-même, comme suffisante. Pour décrire le contexte d'une activité, il est nécessaire de déterminer quels objets et événements sont accessibles, et quel sens ils ont pour les protagonistes impliqués dans l’acte de communication.

Notre volonté d’inclure le contexte dans lequel les situations d’interprétation se déroulent, nous a conduits à de nombreuses réflexions au sujet de sa juste prise en compte dans notre système. Cette préoccupation d’intégrer le contexte, portée en toute conscience par la volonté de participer à une meilleure compréhension du dépassement de l’immanence, ne doit pas paradoxalement conduire à une volonté de systématiser son rôle. Nous ne préjugeons pas de l’importance qu’il peut avoir ou ne pas avoir suivant les situations rencontrées. Notre approche est empirico-inductive ; nous ne formulons pas d’hypothèse. Au plan méthodologique, notre objectif est donc essentiellement de nous laisser en toute occasion la possibilité de le percevoir et de le faire rentrer dans notre système d’interaction pour, le cas échéant, lui donner toute sa place.

II.1.1.2 Le contexte et la dynamique de l’interprétation du spectateur

Dans le cas du spectateur de cinéma, l’approche que nous souhaitons adopter refuse de naturaliser le contexte, de le figer ; pourtant, nous devons admettre avoir été tenté par cette démarche. Certainement, avons-nous été influencés par les nombreux théoriciens du cinéma qui ont attribué aux images animées et au dispositif cinématographique un pouvoir hypnotique. En réduisant à cette logique déterministe l’acte de communication, le système des actants de la situation de projection au cinéma se réduit à celui de la situation de communication proposée par l’espace de projection lui-même. Il est vrai que le dispositif cinématographique, et les contraintes de fonctionnement social (le silence dès que le film commence) qu’il impose ne permettent pas les mêmes variations contextuelles que celles pouvant exister dans des situations de communication sociale (professionnelle ou familiale).

Néanmoins, le spectacle cinématographique offre une multitude de situations d’interprétation dans lesquelles des contextes peuvent apparaître. Ainsi des facteurs contextuels interviennent et modifient le cadre

communicationnel dans lequel la projection cinématographique se déroule ; de même la particularité des dispositions cognitives ou des acquis du spectateur, la singularité des conditions de la rencontre entre les signes présents et l’interprétant mobilisé conduisent à la mobilisation d’une infinité de référents contextuels possibles. C’est au sein de ces systèmes, à chaque fois différents, que les interprétations se finalisent en significations.

De plus, pour le spectateur, le contexte, comme dans le cadre des actes de langage, ne préexiste pas nécessairement. C’est aussi au cours de l’action de projection et d’interprétation qu’il est en mesure de se créer et de se modifier196.

Ce dernier point, pour une approche située et regardée pas à pas au cours de sa progression est certainement essentiel. Engager une réflexion dynamique sur le contexte consiste à comprendre comment, dans le cours d’action, se construisent les arrières plans d’assomptions qui constituent le contexte d’interprétation, et surtout par quelles logiques ce potentiel mémorisé est mis en mouvement et interagit avec les données filmiques.

Toutes ces remarques nous conduisent à ne pas tenter de formaliser finement, avant d’entrer dans les situations de projection, différents contextes potentiellement impliqués. Nous exposons seulement, pour préciser notre situation de spectateur, le cadre contextuel dans lequel nous nous sommes trouvés au moment de procéder au recueil des données (voir première partie, II.2.2.2.3 Un cadre contextuel complexe mais assumé). Dans la conclusion générale de cet ouvrage nous revenons plus longuement sur la logique d’implication des contextes et leur organisation, dans le cas spécifique de notre axe de recherche.