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Nous construisons la thèse en deux grandes parties.

PAILLE, Pierre, Qualitative par théorisation (analyse de contenu), Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales, S/dir. MUCCHIELLI, Alex, 1996, pp. 184-190

La première précise les principales références théoriques sur lesquelles nous nous appuyons pour développer cette recherche.

D’une part, elle précise comment la mise en système de la construction du sens au cinéma s’inscrit dans l’évolution des disciplines (linguistique, sciences de l’information et de la communication, sciences cognitives…) et des courants de pensée (pragmatique, approches situées et incarnées, approche complexe…). Nous devons noter la part très importante de la dimension épistémologique de cette recherche. Nous dirions volontiers que l’orientation de notre thèse est idéologiquement marquée, tant notre position constructiviste est un engagement que nous prenons. Dans cette première partie, mais également tout au long de ce document et jusqu’au moment de conclure, nous insistons fortement sur notre axe de lecture des événements, et en particulier sur notre vision dont le sens émerge au travers des relations – des interactions – entretenues entre le film et le spectateur dans la situation.

D’autre part, cela nous conduit au fur et à mesure de la prise en compte de ces apports, à positionner notre démarche, c’est-à-dire à décrire le cadrage de notre observation et la méthode utilisée. Nous nous permettons, à ce niveau du document de nous présenter nous-même pour brièvement nous situer dans ce projet. Dans le premier chapitre, nous sommes ainsi conduits à redéfinir plus finement notre problématique.

La deuxième partie constitue une présentation de nos résultats.

Dans le premier chapitre, ces derniers sont d’abord ceux, contextuels, liés aux situations dans lesquelles nous nous sommes placés. Nous revenons ici sur le recueil de données phénoménologiques qui sert de base à nos réflexions. Nous nous appuyons sur nos propres perceptions pour revenir sur des situations pertinentes pour notre recherche. Dans un premier temps, nous présentons dans une démarche dont l’évolution suit la logique qualitative, un premier niveau d’analyse ou plutôt un premier niveau de mise en contexte du recueil des données. Il s’agit ici de retrouver la construction dans laquelle s’insèrent nos relevés de notes phénoménologiques. Ce premier niveau de structuration de nos réflexions n’est en rien une catégorisation, il s’agit seulement de retrouver un fil conducteur de notre situation d’expérience.

Dans le deuxième chapitre, nous tentons d’ancrer ces réflexions à un niveau de portée plus générale et de suggérer un début de théorisation principalement axée sur la notion d’unité filmique sémio-cognitive. Notre

proposition ne prétend pas définir un modèle. Elle constitue plutôt une tentative de description de la construction progressive du sens, mettant en évidence la dimension temporelle et les interactions entre les actants.

Première partie :

Approche compréhensive, sens et

réception filmique

Cette première partie nous conduit à un développement en plusieurs temps.

Nous souhaitons d’abord situer notre travail dans la perspective épistémologique de l’approche compréhensive. Il s’agit là d’un cadre général de pensée sur lequel s’appuient l’ensemble des fondements et la logique de notre recherche.

Nous abordons ensuite les disciplines, les paradigmes ou plus simplement les idées essentielles à la construction de cette thèse. L’enjeu est multiple. Nous tentons de faire converger et d’articuler plusieurs objectifs :

- Affirmer d’une part combien la pensée constructiviste guide notre propos et par la même préciser quel constructivisme nous considérons ;

- Placer notre démarche dans le champ pluridisciplinaire des sciences de l’information et de la communication en montrant les apports de l’élargissement des cadres d’observation des phénomènes au sein de la psychologie, de la sociologie, de la linguistique et de la sémiotique ;

- Procéder à l’introduction des références théoriques dont nous nous servons ensuite et resserrer – selon une logique presque chronologique – le champ d’observation pour progressivement nous orienter sur les processus de construction du sens et finalement nous centrer sur les spécificités du lecteur et surtout du spectateur de fiction cinématographique ;

- Définir avec précision – par une prise en compte des éléments précédents – à la fois la thématique précise de notre recherche, sa problématique et les résultats attendus.

Chapitre I Référents théoriques

Notre démarche, si elle s’applique au cinéma et au film Lost Highway en particulier, est centrée sur le spectateur. Notre préoccupation est celle de l’émergence du sens c’est-à-dire de la constitution des entités perceptives. Nous nous intéressons au système qui concourt à la construction de cette entité dans l’esprit du spectateur de fiction au cinéma. Les référents théoriques qui nous concernent ne sont, de fait, pas seulement ceux relatifs à l’objet cinématographique lui-même, mais également ceux qui explicitent les relations entre le film et le spectateur dans une situation de projection. La dimension pragmatique des circonstances de l’interprétation est fondamentale.

Au-delà même, nous nous intéressons aux recherches sur les situations d’interprétation dans un contexte plus large que celui du cinéma. Comme Jean-Pierre Esquenazi le souligne, nous pensons que le cinéma « ne peut être abordé comme un cas exceptionnel de nos perceptions, mais au contraire il faut bien supposer qu’il engage – éventuellement de manière particulière – nos modes habituels de perception. »36

Même si nous nous attachons ici à considérer des situations particulières dans leur déroulement et leur conduction, appréhender la compréhension du spectateur de fiction au cinéma nécessite avant tout d’appréhender la compréhension elle-même. Nous souhaitons aborder les variations d’induction du sens en considérant la dimension cognitive et sa dynamique. La prise en compte de la dimension temporelle de l’interprétation est fondamentale dans notre approche. La confrontation théorique doit être l’occasion de préciser quels processus concourent à l’élaboration du sens, quel système il faut considérer lorsque l’on aborde la semiosis37 ?

Nos références théoriques sont abordées dans les chapitres ci-dessous avec une triple volonté :

36 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Film, perception et mémoire, 1994, pp. 50-51

37 Le terme « semiosis » signifie le processus même de la production de la signification. Il met en relation un signe, un objet et un interprétant. Nous y revenons dans un chapitre consacré à la sémiotique peircienne (voir Première partie I.4 Sémiotique et induction).

- Aborder la place du signe et du contexte dans l’évolution des courants de pensée et faire apparaître peu à peu le système d’éléments que nous considérons comme pertinent dans notre démarche ;

- Préciser nos choix méthodologiques et le cadrage de notre observation ; - Délimiter finement notre problématique. La fin de cette première partie

devient alors une reformulation de notre axe de travail en fonction des référents théoriques et une mise en perspective des éléments avancés jusqu’à lors.

Dans certains cas, des courants récents de réflexion auxquels nous nous référons ne semblent pas encore avoir été appliqués à la situation du spectateur en salle (nous pensons particulièrement au principe de l’action située).

En terme de contenu, ce premier chapitre est orienté par les idées et notions essentielles issues du constructivisme, principal guide épistémologique de notre travail de recherche. La logique qui prévaut n’est pas ici d’opposer constructivisme et positivisme ; même s’il est difficile de s’extraire totalement des antagonismes passés et actuels, antagonismes d’ailleurs parfois mobilisateurs pour les chercheurs et de ce fait fructueux pour la recherche dans certains cas. Nous ne cherchons pas non plus, à opposer les différents courants constructivistes ou les diverses approches pragmatiques qui ont influencé les générations de chercheurs de part et d’autre de l’atlantique. Nous arrivons à un moment où, nous semble-t-il, les courants anglo-saxons et européens (principalement allemand et autrichien) des recherches pragmatiques peuvent s’articuler, se renforcer et constituer un tout cohérent. Il faut noter cependant que nos référents théoriques seront majoritairement localisés sur l’ancien continent.

Nous pouvons citer le courant gestaltiste, le constructivisme social d’Alfred Schutz, de Berger et Luckmann, la dimension psychosociale de l’Ecole de Palo Alto (les 35 premières années de la vie de Paul Watzlawick sont néanmoins européennes) et l’approche cognitive de Francisco Varela.

Par ailleurs, nous nous référons à Charles Sanders Peirce dont la conception du signe – par la construction même qu’il en propose – est fondamentalement pragmatique.

Pour finir, nous nous rapprochons du spectateur de cinéma en considérant tout particulièrement l’approche sémio-pragmatique au sein de laquelle Roger

Odin aborde la question de la production de sens du spectateur. Ses propositions théoriques, tout particulièrement dans le cas qui nous intéresse le plus, c’est-à-dire celui du spectateur de fiction, s’appuient en partie sur les approches pragmatiques de John R. Searle, les travaux sur la sémiotique narrative de A. J. Greimas et ceux sur la fiction de Gérard Genette, de Karlheinz Stierle et de Paul Ricœur. Nous devons noter qu’une place importante est également laissée aux travaux d’Edward Branigan.

Le lecteur pourra remarquer en particulier que nous n’abordons la dimension sémiologique que lorsqu’elle croise l’approche épistémologique constructiviste qui nous concerne. Nous nous accordons cependant de faire appel ou référence à des principes sémiologiques, en tentant de les contextualiser.