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I.5 La sémio-pragmatique

I.5.2 Introduction aux modes, processus et opérations

I.5.2.1 La diégétisation

La diégétisation est issue de la notion de diégèse utilisée tout particulièrement en littérature. « Je diégétise chaque fois que je construis mentalement un monde et ceci quelle que soit la nature de la stimulation de départ : un roman, un reportage dans mon journal quotidien, un texte

172 ODIN, Roger, De la fiction, 2000, p. 11

173 Le processus interprétatif décrit, au sens de Nicole Everaerdt-Desmedt, le déroulement des étapes de l'émergence du sens. Cette expression revêt donc un caractère universel, celui que la théorie de Peirce propose. Le processus est ici applicable à toutes les circonstances de l’interprétation.

historique, un morceau de musique qui m’évoque tel ou tel espace-temps, etc. »174

La première opération étroitement liée à la diégétisation est la figurativisation. Il s’agit de l’opération qui nous amène à transformer l’ensemble des points lumineux et des ondes sonores en un objet référencé, concret, issu du monde « naturel », que nous observons dans la vie, dans les films ou dans mon imaginaire. Il ne s’agit pas encore d’une construction narrative complexe mais seulement de la reconnaissance d’une forme primitive opérée par l’intermédiaire de signes comme les couleurs, les mouvements… L’opération de figurativisation, c’est-à-dire de mise en figuration, participe au mouvement qui nous fait passer, au sujet d’une chose perçue, de la notion d’abstrait à celle de concret. C’est une notion profondément gestaltiste. Ce passage est étroitement lié à la notion de référence qui nous permet d’ancrer « la chose » dans le figuratif. Cette référence, même si elle a été déposée dans le message par le concepteur et s’apparente alors à une consigne de lecture, ne s’appuie pas nécessairement sur la construction d’une relation analogique. « L’essentiel est que je considère ce qu’on me donne à voir comme représentant des éléments d’un monde […]. »175 La démarche de figurativisation n’a pas besoin de s’appuyer

sur des preuves formelles, elle peut se manifester simplement parce qu’elle est logiquement possible. En se référant à la sémiotique peircienne, il semble que la figurativisation s’apparente à un processus inférentiel qui se contente d’être inductif ou abductif. Ainsi une ombre mouvante, d’abord indéfinie, ou une forme sonore inexpressive, peuvent, par certaines de leurs qualités176, nous amener peu à peu ou brutalement à construire une figure et par là, commencer à nous faire rentrer dans un monde.

La vision d’un monde peut être facilitée si l’on parvient à comprendre les images et les sons comme issus d’un univers, c’est-à-dire d’une réalité qui se construit ou va se construire devant moi, et non si l’on perçoit simplement la matière lumineuse ou les ondes sonores. Au cinéma, cette impression de réalité semble reposer peut-être plus particulièrement sur deux ou trois traits de la matière de l’expression comme le mouvement et le son synchrone. La

174 ODIN, Roger, De la fiction, 2000, p. 18 175 ODIN, Roger, De la fiction, 2000, p. 19 176 Au sens de la priméité peircienne

couleur par exemple serait moins impliquée. L’expérience cinématographique semble fournir le moyen d’expression qui donne à l’impression de réalité son impact le plus large. Le texte écrit, par la matière même de son expression, ne peut parvenir à suggérer l’impression de réalité. Le lecteur est pourtant capable de produire une impression d’univers diégétique particulièrement intense.

Une autre opération, celle de l’effacement du support participe également au processus de diégétisation. Roger Odin remarque que ce dernier est par contre indépendant de notre capacité à produire un espace à trois dimensions, c’est-à-dire à transformer les images projetées sur la surface bidimensionnelle de l’écran en un espace tridimensionnel.

L’effacement du support est cette fois moins influencé par les matières de l’expression que par les langages utilisés. Ainsi, la confrontation à un texte littéraire d’un lecteur suffisamment expérimenté l’amène à ne plus voir les mots couchés sur le papier mais plutôt à se centrer sur l’interprétation des phrases. Le support de la communication s’efface au profit de la construction d’un monde diégétique.

Il n’est pas possible d’envisager la diégétisation sans considérer les relations qu’elle entretient avec le récit. Or, si ces notions sont proches l’une de l’autre, elles doivent être distinguées. Gérard Genette précise : « La diégèse […] n’est pas l’histoire mais l’univers où elle advient » ; la diégèse est un univers plutôt qu’un enchaînement d’actions. »177 Si l’histoire n’est, par exemple, pas modifiée si on la transpose d’un espace-temps à un autre, la diégèse, elle, peut en être profondément changée.

Le lien entre récit et diégèse semble relever de l’interaction. En présence d’une narration, c’est pour partie en puisant dans l’histoire que nous construisons la diégèse. Simultanément, le monde diégétique est le siège de l’élaboration d’un environnement, d’éléments descriptifs, de normes et de référents collectifs dont le récit a besoin pour émerger.

Roger Odin note cependant que « l’effet diégétique peut être produit sans qu’il y ait récit. Il donne l’exemple du cas d’un espace diégétique fondé sur une simple description textuelle, comme celle d’un lieu. Le texte s’appuie

177 GENETTE, Gérard, Nouveaux discours sur le récit, 1983, p. 13 Cité par Roger Odin p. 21

alors sur des relations spatiales au lieu de temporelles, mais peut néanmoins être le siège d’une interprétation diégétique.

D’une manière générale, le monde diégétique construit, s’apparente à un monde susceptible d’être habité. De nombreux films commencent dès le générique ou juste après, de façon à permettre au spectateur de se façonner un monde diégiétique. Il envisage ainsi le lieu de l’action, le lieu d’apparition des personnages et des événements. La diégèse constitue le monde dans lequel commence à prendre place la narration.