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UNE IRRESPONSABILITE DE PRINCIPE DES CREANCIERS

Dans le document Le traitement du contentieux bancaire (Page 112-118)

§ 1- LES DISPOSITIFS POUVANT REDUIRE SENSIBLEMENT LE CONTENTIEUX DU CREDIT AUX CONSOMMATEURS

A- UNE IRRESPONSABILITE DE PRINCIPE DES CREANCIERS

158. En vue de promouvoir l’octroi de crédit aux entreprises en difficulté, la loi du 26 juillet 2005 a clairement exclu certaines hypothèses de poursuites contre les créanciers. Il est vrai que la construction prétorienne du régime juridique de l’action en responsabilité liée au contexte des procédures collectives (évoquée plus haut), avait abouti à enfermer cette action dans un cadre restreint. Mais le gouvernement a considéré que l’insécurité juridique282 résultant du soutien abusif « conduit très souvent les créanciers à limiter ou refuser des concours financiers aux entreprises en difficultés, au détriment du maintien de l’activité économique et de la préservation de l’emploi. »283 L’intervention du législateur en la matière est louable, car outre qu’elle promeut le financement des entreprises à une période où elles en 282 En effet, si la Cour de cassation avait défini un régime raisonnable de responsabilité, certaines juridictions du fond semblaient admettre assez facilement les actions pour soutien abusif. A titre d’exemple, un arrêt de la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 26 nov. 2002, RTD com. 2005. 348) qui condamnait le pool bancaire ayant accordé un crédit, suite aux demandes du liquidateur et de la caution. L’arrêt a été cassé au motif que : « Viole l’article 1382 du code civil la Cour d’appel qui, pour dire qu’un pool bancaire a commis une faute en octroyant des concours à une société retient que la ville où devait être implanté le restaurant gastronomique exploité par l’emprunteuse n’est pas réputée ni sur le plan national ni sur le plan international pour être fréquentée par les touristes et hommes d’affaires fortunés de sorte que le projet était parfaitement irréaliste et que les banques ont financé un projet manifestement non viable dès le départ… » (Com. 12 juill. 2005, BNP Paribas c/ Souchon, n° 0311089).

283 Observations du gouvernement sur les recours dirigés contre la loi de sauvegarde des entreprises, JO n° 173 du 27 juillet 2005, p. 12231.

ont cruellement besoin, elle codifie un régime de responsabilité, dont les subtilités jurisprudentielles n’étaient pas forcément connues, dans les moindres détails, de tous les acteurs du secteur du crédit. Ce faisant, le texte devrait apporter davantage de prévisibilité juridique aux destinataires des règles, en même temps qu’il donne une meilleure lisibilité interne et internationale du droit français de la responsabilité des établissements de crédit. La loi est codifiée à l’art. L. 650-1 C. com284. Elle a été modifiée par l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, laquelle est entrée en vigueur en février 2009. D’après le texte, « lorsqu’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci. Pour le cas où la responsabilité d’un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge. ».

159. D. LEGEAIS note à propos de cette loi que « la réforme révèle une volonté de diminuer le contentieux relatif au soutien abusif de crédit. En décourageant les organes de la procédure d’engager des actions en responsabilité, le législateur entend favoriser les concours bancaires aux entreprises en difficulté et par là même, satisfaire l’objectif de prévention et de redressement qui anime la nouvelle législation. »285. Le but du législateur est donc d’entraver significativement la voie des procès intentés essentiellement par les organes de la procédure contre les banques, principaux bailleurs de fonds des entreprises. Ce « cantonnement de la responsabilité pour soutien abusif »286 considéré par un parlementaire comme un « cadeau de l’Etat au système bancaire »287, conduit dorénavant à exclure les poursuites antérieurement fondées sur la faute de la banque dans l’octroi du crédit à une entreprise en difficulté. L’évolution jurisprudentielle de la responsabilité du banquier envers les créanciers du crédité est ainsi remise en cause. Les établissements de crédit ne peuvent désormais être poursuivis que dans des hypothèses limitativement énumérées par la loi. Il s’agit d’une mesure radicale qui vise à réduire considérablement le contentieux fondé sur le soutien abusif ou le maintien artificiel d’activité. « Le législateur a ainsi choisi de mettre à néant cette jurisprudence et de 284 Cette disposition validée par le conseil constitutionnel (Cons. Const., n° 2005-522 du 22 juill. 2005) s’applique aux seules procédures ouvertes après le 1er janvier 2006, date d’entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2005 ; en sens : Com. 8 janv. 2008, n° 05-17.936.

285 D. Legeais, RTD com. 2005. 818.

286 R. Routier, Gaz. Pal. 2005. Doctr. 3012.

287 M. Arnaud Montebourg lors de la première séance à l’assemblée nationale le 9 mars 2005. JO AN du 10 mars 2005, spéc. 1840 et s.

consacrer une quasi irresponsabilité des créanciers fournissant du crédit. »288. La discussion portant sur la connaissance qu’avait la banque, avant l’octroi du crédit, de la situation irrémédiablement compromise de l’entreprise n’ayant en principe plus désormais lieu d’être. La loi pose en effet une règle générale qui exonère les créanciers de toute responsabilité civile ou pénale, ce qui explique qu’elle ait suscité un vif débat portant sur la constitutionnalité du texte. L’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789289, de même que le principe de responsabilité, principe considéré comme constitutionnel290 ont notamment été invoqués contre l’adoption d’une telle disposition. Saisi, le Conseil constitutionnel a tranché, en rejetant les recours tendant à remettre en cause la constitutionnalité de cette disposition. Le Conseil a en effet considéré que « les dispositions contestées ne portent pas d’atteinte au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction (et) que doit être dès lors écarté le grief tiré de la violation de l’article 16 (de la Déclaration de 1789 relative au droit au recours). ».

En ce qui concerne l’argument fondé sur l’irresponsabilité des créanciers, le Conseil constitutionnel a décidé que « si la faculté d’agir en responsabilité met en œuvre l’exigence constitutionnelle posée par les dispositions de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (…), cette exigence ne fait pas obstacle à ce que, en certaines matières, pour un motif d’intérêt général, le législateur aménage les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée. ». L’art. L. 650-1 C. com. ne supprime donc pas la responsabilité des créanciers, mais vise à l’aménager, dans un but d’intérêt général. La question de la constitutionnalité évacuée, il n’est toutefois pas exclu que le débat rejaillisse sur le terrain de la conventionalité. R. ROUTIER soutient ainsi que « la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 peut en effet aussi être un ressort de la responsabilité civile291. Or, au regard ‘’de la protection des droits et libertés d’autrui’’292, la conventionalité du cantonnement de la responsabilité du banquier est loin d’être acquise. »293.

288 D. Legeais, Les concours consentis à une entreprise en difficulté (C. com., art. L. 650-1), JCP E 2005, n° 1510.

289 D’après cette disposition, « toute société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution. »

290 J. Carbonnier, Droit civil, introduction, PUF, coll. Thémis, 23e éd., 1995, spéc. n° 124. L’auteur admet qu’il puisse y avoir « quelque chose de constitutionnel dans l’article 1382 ».

291 O. Lucas, La convention européenne des droits de l’homme et les fondements de la responsabilité civile, JCP 2002. I. 111.

292 Articles 8, 9 et 11 de la CEDH. Adde : articles 10 et 17.

160. Au-delà de ces débats portant sur la conformité du texte aux normes supérieures, le principe posé par l’art. L. 650-1 C. com. traduit clairement la volonté législative de protéger les banques de certaines poursuites dans le cadre de leur activité de crédit, dont on doit reconnaître qu’elle est particulièrement risquée294, surtout lorsqu’il s’agit de prêter à des entreprises en difficultés. Ces dernières peuvent trouver dans le crédit l’unique bouée de sauvetage en pareille situation, ce qui est de nature à permettre de maintenir à la fois l’activité et l’emploi, objectif d’intérêt général visé par le législateur. Un aménagement de la responsabilité du dispensateur du crédit dans le cadre des procédures collectives semble donc compréhensible de ce point de vue. L’intérêt général l’emportant sur les intérêts particuliers des organes de la procédure.

161. Dans la logique des concepteurs du texte, la règle posée par l’art. L. 650-1 C. com. devrait en principe réduire très sensiblement le contentieux du crédit aux entreprises en difficultés. L’objectif législatif de réduction du contentieux est explicite dans ce cas, mais le nouveau texte ne supprime pas totalement les possibilités de discussion.

B- LES INTERROGATIONS LIEES A L’ART. L. 650-1 C. com.

162. Si la loi du 26 juillet 2005 pose un principe d’irresponsabilité des créanciers dans les hypothèses qu’elle cite, le débat pourrait désormais porter sur l’interprétation des notions de fraude, d’immixtion caractérisée ou surtout de garanties disproportionnées. D. ROBINE note à ce propos que « les exceptions au principe de non-responsabilité posées par ce texte sont en effet entourées de nombreuses incertitudes qui risquent, au contraire, de relancer le contentieux. »295. Pour cet auteur, « l’article L. 650-1 s’avérerait alors être, au mieux, pour les 294 En effet, les banques pouvaient être poursuivies autant pour rupture abusive de crédit à un débiteur en difficulté en cas de cessation des concours financiers, que pour maintien artificiel de l’activité de ces derniers au cas où ils maintenaient ces concours. On comprend ainsi que le législateur soit intervenu dans le cadre de l’art. L. 313-12 CMF pour régir les conditions de la responsabilité des établissements de crédit dans le cadre des concours à durée indéterminée consentis aux entreprises. Cette disposition a en effet précisé les conditions dans lesquelles un établissement de crédit pouvait mettre fin à ses concours en prévoyant la nécessité d’observer un délai de préavis, sauf en cas de comportement gravement répréhensible ou de situation irrémédiablement compromise du bénéficiaire de crédit. Le texte précise en outre que « dans le respect des dispositions légales applicables, l’établissement de crédit fournit, sur demande de l’entreprise concernée, les raisons de cette réduction ou interruption, qui ne peuvent être demandées par un tiers, ni lui être communiquées. L’établissement de crédit ne peut être tenu pour responsable des préjudices financiers éventuellement subis par d’autres créanciers du fait du maintien de son engagement durant ce délai. »

fournisseurs de concours, un cadeau empoisonné. ». Il va sans dire qu’en essayant de fermer la porte au contentieux général des poursuites pour soutien abusif, la loi risque d’ouvrir la fenêtre à un contentieux particulier se fondant sur l’appréciation des notions de fraude, d’immixtion caractérisée ou de garanties disproportionnées. En ce sens, D. LEGEAIS soutient que « le pouvoir du juge peut s’avérer important dans l’appréciation de l’immixtion. Pour retenir la responsabilité de la banque, il n’est pas exclu que certains juges du fond adoptent une conception large de cette notion. ».

S’agissant de la fraude, cet auteur affirme que « le concept de fraude est nécessairement assez flou. Aussi, au gré des circonstances de fait, il n’est pas exclu que certains juges adoptent une conception large afin de pouvoir sanctionner des établissements de crédit ayant octroyé des concours à une entreprise dont la situation irrémédiablement compromise ne fait pas de doute ou par des moyens illicites tels des effets de complaisance, voire des moyens ruineux. Les juges auront ainsi un rôle considérable. »296

163. Il a en outre été soutenu que « c’est cependant le troisième tempérament qui constitue la menace la plus sérieuse pour les établissements de crédit. La responsabilité est encourue lorsque les garanties obtenues sont disproportionnées par rapport aux concours consentis. La lecture des travaux préparatoires montre que dans l’esprit du législateur, le texte ne vise qu’à sanctionner les créanciers qui ont des pratiques inhabituelles en la matière. Cependant la rédaction du texte lui confère une portée beaucoup plus générale. Une arme redoutable est ainsi entre les mains du juge. Il s’agit d’une menace à la portée imprévisible car l’appréciation de la disproportion – qui n’a pas à être manifeste – s’avèrera souvent un exercice délicat. »297. Toutes ces considérations ont conduit à dire que le texte, adopté « sans grande réflexion préalable et avec excès de précipitation (…) est assurément source d’insécurité juridique. Son influence sur la pratique du crédit dépendra de l’interprétation qui sera consacrée. »298.

164. Le contentieux de la responsabilité des banques envers les tiers ayant subi un préjudice du fait de l’octroi du crédit pourrait donc désormais s’abreuver à la source des tempéraments prévus par la loi. En effet, le régime de cette action en responsabilité avait considérablement été encadré par l’évolution jurisprudentielle évoquée plus haut, la Cour de

296 D. Legeais, JCP E préc. n° 1510.

297 D. Legeais , RTD com. préc. 818.

cassation299 assurant ainsi une certaine sécurité aux établissements de crédit. La nouvelle loi semble donc de nature à ouvrir les vannes d’un contentieux qui avaient été sensiblement fermées par la jurisprudence. D. LEGEAIS affirme ainsi qu’« il n’est pas certain que le nouvel article confère une telle sécurité aux établissements de crédit. Ainsi, la Cour de cassation ne sanctionnait pas nécessairement la prise de garanties excessives. Le nouveau texte le permettra assez facilement. Pour prévenir un tel risque, les créanciers ont tout intérêt à limiter le montant de leurs crédits. Mais la loi risque alors de manquer son but. »300.

165. Il est vrai que le principe d’une irresponsabilité absolue des banques dans l’octroi des crédits aux entreprises en difficulté ne parait ni constitutionnellement ni conventionnellement envisageable, mais les tempéraments légaux relatifs à la mise en jeu de cette responsabilité risquent d’ouvrir la voie à un contentieux nouveau contre les établissements de crédit. L’évolution jurisprudentielle antérieure à la loi semblait certes au final assurer une certaine sécurité aux établissements de crédit, mais elle paraissait avoir pour inconvénient de les conduire à une plus grande prudence dans l’octroi des crédits aux entreprises en difficulté. Cette prudence était compréhensible, car la position de certains juges du fond n’était pas toujours conforme aux restrictions posées par la Cour de cassation quant au régime de l’action en responsabilité. On comprend ainsi que la volonté de favoriser le financement des entreprises à un moment où elles en ont cruellement besoin ait conduit le législateur à adopter une solution qui, tout en promouvant ce financement, et en protégeant les établissements de crédit, est de nature à générer un contentieux non prévu. Toutefois, le double objectif de soutenir les entreprises en difficulté, et celui de protéger des établissements de crédit assurant leur financement ne doit pas faire perdre de vue la nécessité pour les créanciers de l’entreprise de faire valoir leurs droits, dans certains cas limités où ils auraient subi un préjudice découlant des concours bancaires. Ces considérations conduisent à penser que la solution issue de l’art. L. 650-1 C. com. n’est pas la moins bonne, bien qu’elle soit susceptible d’être améliorée, ce qui a été entrepris, par l’art. 129 de l’ordonnance du 18 décembre 2008. Il n’est pas exclu qu’au vu des critiques doctrinales et de l’évaluation pratique du texte, le législateur intervienne de nouveau afin d’apporter des améliorations supplémentaires à la loi.

299 Plus récemment, Com. 22 mars 2005, RTD com. 2005. 405, obs. D. L. Les arrêts cités illustrent la volonté qu’avait la Cour de cassation, de ne retenir la responsabilité des banques que dans des cas biens limités.

166. Dans tous les cas, les intérêts de l’entreprise en difficulté, de ses créanciers et des établissements crédit pourvoyeurs de fonds peuvent s’avérer dans certaines situations non convergents. Il peut donc sembler nécessaire au législateur de faire un choix, en fonction de la politique de l’Etat à un moment donné. L’essentiel est de protéger efficacement des catégories de contractants par des dispositions précises, tout en désengorgeant les juridictions d’un contentieux évitable, qui contribue à allonger la durée des procédures judiciaires301. Il est toujours souhaitable, particulièrement dans un système romano germanique, que ce soit la loi (et non la jurisprudence) qui précise les régimes de responsabilité, afin d’éviter de laisser libre cours aux divergences jurisprudentielles, lesquelles font naître des risques d’insécurité juridique. Ce qui importe c’est que la loi soit suffisamment précise, le risque zéro contentieux en matière de responsabilité ne semblant pas possible. L’immunité302 totale de certains justiciables n’est en effet pas constitutionnellement envisageable. Il appartiendra donc aux juges d’interpréter les tempéraments législatifs à l’art. 650-1 C. com. dans le sens d’une prise en compte des intérêts des parties, mais aussi de la volonté du législateur.

167. Dans le cadre de l’art. L. 650-1 C. com., l’objectif de réduction substantielle du contentieux est clairement voulu par le législateur. Cet objectif est également celui auquel aboutit le formalisme du cautionnement issu de la loi du 1er août 2003. Mais dans ce dernier cas, la réduction du contentieux est seulement un résultat atteint par la loi, le but avoué du législateur étant tout autre.

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