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1- LE CARACTERE STRICT DU CADRE LEGAL

Dans le document Le traitement du contentieux bancaire (Page 119-123)

169. Le cautionnement occupe une place importante dans le cadre de l’activité bancaire. Cette sûreté est couramment utilisée pour garantir le crédit. La matière a pendant plusieurs années fait l’objet d’un abondant contentieux devant la Cour de cassation303, portant notamment sur le formalisme. Il s’agissait donc d’une source de litiges, que l’intervention législative du 1er août 2003 contribuera sur ce point à réduire considérablement. P. ANCEL relève à cet égard que « pendant près de 15 ans, c’est la question (du formalisme) qui a soulevé le plus de contentieux en matière de cautionnement, au moins devant la Cour de cassation [sur la seule période 1986-1995 (il avait) recensé 351 arrêts sur un total de 1011 décisions rendues en matière de cautionnement par la Cour suprême]. Incontestablement, cette floraison d’arrêts a été provoquée par la position adoptée, entre 1987 et 1989, par la première chambre civile de la Cour de cassation, qui avait transformé l’exigence probatoire de l’article 1326 du code civil en une condition de validité du cautionnement, rattachée à l’idée de protection de la caution. Depuis 1989, avec bien de vicissitudes, la Cour de cassation est, dans la formulation de ses arrêts, revenue à une conception probatoire de la mention manuscrite exigée par le texte. ».304

170. On peut par ailleurs relever que l’intervention législative en matière de formalisme devant régir le cautionnement est une préoccupation bien antérieure à la loi de 2003. Conscient des difficultés suscitées par cette question, le législateur était déjà intervenu dans le cadre de certaines dispositions de la loi Neiertz du 31 décembre 1989 pour poser des règles formelles régissant les cautionnements donnés par les personnes physiques en matière de crédit à la consommation ou de crédit immobilier relevant du code de la consommation. Ces dispositions ont été codifiées aux articles L. 313-7 et L. 313-8 C. consom. En effet, bien que le cautionnement soit traditionnellement considéré comme un contrat consensuel, les règles du code de la consommation avaient mis en place des exigences formelles reposant sur une mention manuscrite exigée ad validitatem. Ces règles ont conduit à réduire le contentieux 303 Pour un exposé détaillé de l’évolution jurisprudentielle sur cette matière, v. I. Tricot-Chamard, JCP 2004. I. 112.

304 P. ANCEL, Droit des sûretés, Litec, 5e éd. 2008, p. 68. V. également P. ANCEL, Cautionnement et autres garanties personnelles, état du droit français, juin 1996. Etude réalisée pour le compte du ministère de la justice, spéc. p. 23.

du formalisme en matière de cautionnement. On dénombre en effet sur Legifrance 19 arrêts relatifs à l’application des art. L. 313-7 C. consom. ou L. 313- 8 C. consom. au 4 septembre 2010. La réforme du 1er août 2003 a étendu le formalisme à tous les cautionnements donnés par des personnes physiques par acte sous seing privé au bénéfice d’un créancier professionnel. Le champ d’application de cette loi est donc beaucoup plus large.

171. La loi du 1er août 2003 dite « loi Dutreil » a donc révolutionné le formalisme du cautionnement. Du fait de l’entrée en vigueur de cette loi, les solutions posées par la jurisprudence ne s’appliquent désormais que de façon résiduelle. En effet, ces solutions ne sont applicables qu’aux cautionnements donnés par les personnes morales (non commerçantes), aux cautionnements donnés au profit des créanciers non professionnels, ainsi qu’à ceux consentis avant le 6 février 2004. La nouvelle loi a en effet institué des règles nouvelles en la matière, en mettant en place un formalisme légal strict en matière de cautionnement donné par les personnes physiques, lequel se substitue au formalisme jurisprudentiel antérieur. Ainsi, conformément à l’art. L. 341-2 C. consom., « toute personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : ‘’En me portant caution de X…, dans la limite de la somme de… couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de…, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X… n’y satisfait pas lui-même’’. ».

Quant à l’art. L. 341-3 C. consom., il s’applique au cautionnement solidaire et pose la règle suivante : « Lorsque le créancier professionnel demande un cautionnement solidaire, la personne physique qui se porte caution doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante : ‘’En renonçant au bénéfice de discussion défini à l’article 2298 du code civil et en m’obligeant solidairement avec X…, je m’engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu’il poursuive préalablement X…’’ ».

172. Ces deux textes posent un cadre strict du formalisme du cautionnement qui laisse peu de place à la discussion. La formulation de ces textes a d’ores et déjà une incidence directe sur le contentieux. En effet, la législation ne laisse en principe aucun pouvoir d’appréciation au juge, ce qui a pour conséquence de réduire le contentieux relatif au formalisme du cautionnement. On rappellera que le cautionnement était traditionnellement considéré comme

un contrat consensuel, qui n’était soumis pour sa validité à aucune condition de forme. L’art. 2292 (ex art. 2015) exigeait simplement que le cautionnement soit « exprès ». Mais de 1987 à 1989, la Cour de cassation par une combinaison des articles 1326 C. civ. et 2292 C. civ. (ancien art. 2015 C. civ.), avait transformé l’art. 1326 C. civ. en règle de validité du cautionnement. Or, cette disposition était habituellement considérée comme une règle de preuve. Dès 1989, la Haute juridiction est revenue à la position traditionnelle. Le cautionnement ne comportant pas la mention manuscrite n’était pas nul. L’acte irrégulier pouvait constituer un commencement de preuve par écrit susceptible d’être complété par d’autres éléments permettant d’établir que la caution a consenti en toute connaissance de cause. Le pouvoir d’appréciation du juge en la matière était donc important.

173. Les nouvelles dispositions issues de la loi du 1er août 2003 privent en principe le juge de tout pouvoir d’appréciation. Seule la mention prévue par le texte est exigée pour la validité de l’acte, d’où l’utilisation de l’adverbe « uniquement » par l’art. L. 341-2 C. consom. Il n’est donc pas permis aux parties de prévoir une formulation différente de celle visée par la loi. Cette mention est requise sous peine de nullité du contrat de cautionnement. Les termes employés par le législateur ne permettent en effet pas de discuter du contenu du texte devant figurer dans le contrat de cautionnement. Le contentieux portant sur le formalisme devrait par conséquent s’en trouver réduit voire supprimé après la loi du 1er août 2003. En effet, dans les hypothèses d’inobservation du formalisme, les chances de succès d’une action visant à remettre en cause la solution légale devant un juge seront en principe nulles. Il s’agit de cas de « nullités automatiques », dans lesquels « la nullité sanctionne (…) la violation d’une règle sans que le juge ait un quelconque pouvoir d’appréciation sur les conditions de la nullité ; la seule violation de la règle entraîne automatiquement le prononcé de la sanction, sans aucune modulation possible. »305. Par conséquent, on peut logiquement penser que les parties seront dissuadées de contester les éventuels manquements à la règle. C’est ainsi qu’on dénombre depuis l’entrée en vigueur de cette loi très peu de décisions portant sur l’application des art. L. 341-2 et L. 341-3 C. consom. Au 4 septembre 2010, une consultation du site Legifance permet d’affirmer que la Cour de cassation n’a rendu que cinq arrêts relatifs à l’application de l’art. L. 341-2 C. consom306. Deux de ces arrêts sont relatifs aux cautionnements garantissant des crédits bancaires307.

305 C. Ouerdane-Aubert de Vincelles, préc. n° 215.

306 Com. 3 nov. 2009, n° 08-19. 340, inédit. Com. 28 avril 2009, n° 08-11. 616 publié au bulletin. Com. 8 juin 2010, 09-13. 077, inédit. Civ. 1re, 25 juin 2009, 07- 21. 506, Civ. 1re, 9 juillet 2009, 08-15. 910, publié au bulletin.

A la même date, la Haute juridiction a rendu trois arrêts mentionnant l’art. L. 341-3 C. consom308. Un seul de ces arrêts est en lien avec le cautionnement donné à une banque309.

Parmi les 9 arrêts des cours d’appel recensés sur Legifrance et portant sur ces textes, 6 sont relatifs au formalisme en matière de cautionnements donnés par les personnes physiques au profit de créanciers professionnels, en l’espèce les établissements de crédit. 3 de ces arrêts déclarent les art. L. 341-2 et L. 341-3 inapplicables, du fait de la non-rétroactivité des textes. En revanche, 1’arrêt de la chambre commerciale de la Cour d’appel d’Orléans du 8 février 2007 sanctionne de nullité un cautionnement conclu après l’entrée en vigueur de la loi. Il ressort en effet de cet arrêt que l’insuffisance de la mention manuscrite de la caution personne physique qui s’est engagée par acte sous seing privé envers un créancier professionnel, qu’elle soit avertie ou profane, est sanctionnée par l’annulation du cautionnement, sans que le juge puisse apprécier la gravité ou la portée du manquement constaté. On peut donc penser que le dispositif mis en place par le législateur a un impact certes non prévu par le législateur, qui aboutit à faire baisser voire à supprimer le contentieux du formalisme, en privant le juge de tout pouvoir d’appréciation, notamment par des règles précises réduisant voire supprimant les espaces de discussion. Le créancier professionnel ayant omis de faire respecter par la caution le formalisme légal n’aura aucun argument à faire valoir, et sera donc amené à s’abstenir de toute procédure contentieuse. En ce sens, un auteur relève que « la mention manuscrite exigée à peine de nullité par la loi sur l’initiative économique, même si elle ne requiert pas la double inscription en lettres et en chiffres de la somme garantie, anéantit près de vingt ans d’évolution jurisprudentielle. »310.

174. La loi n° 2003-721 du 1er août 2003 sur l’initiative économique a ainsi apporté du renouveau au formalisme du cautionnement, en instituant des exigences formelles devant s’appliquer à tous les cautionnements donnés par des personnes physiques au profit de créanciers professionnels (et notamment des établissements de crédit). Elles établissent des règles claires et précises régissant le formalisme du cautionnement311. Le texte de 2003 a donc 308 Com. 6 juillet 2010, 08-21. 760 publié au bulletin. Com. 8 juin 2010, 09-13. 077, inédit. Civ. 1re, 9 juillet 2009, 08-15. 910, publié au bullein.

309 Com. 8 juin 2010, 09- 13. 077, inédit.

310 D. Houtcieff, Les dispositions applicables au cautionnement issues de la loi pour l’initiative économique : JCP G 2003, I, 161, p. 1613.

311 La loi d’août 2003 contient aussi des dispositions relatives à la proportionnalité de l’engagement de la caution (L. 341-4) et à l’information de cette dernière (L. 341-6). Ces dispositions devraient conduire les banques à être davantage prudentes lorsqu’elles concluent des contrats de cautionnement avec les personnes physiques, puisqu’elles devront s’assurer de la proportion entre le montant de l’engagement de la personne physique et ses biens et revenus, sous peine de perdre simplement le bénéfice de ce contrat de cautionnement. La loi prévoit en effet la déchéance dans ce cas. Il s’agit donc d’un dispositif visant à renforcer la protection de la caution personne physique et à éviter les risques de contentieux entre une banque et une caution dont l’engagement était

une portée large. En effet, puisqu’il régit les cautionnements donnés par des personnes physiques, il devrait alors inclure les dirigeants sociaux garantissant les dettes de leurs entreprises.

On peut certes regretter cette codification dans la mesure où elle inscrit dans le code de la consommation des règles concernant également les professionnels. S. PIEDELIEVRE parle à ce propos d’« une méthode législative discutable et de dispositions mal rédigées (…). ». L’auteur soutient qu’ « il existe déjà dans (le code de la consommation) une réglementation de certains cautionnements donnés par des personnes physiques garantissant un crédit à la consommation ou un crédit immobilier qui figure aux articles L. 313-7 et suivants. Il est peu opportun qu’un même code connaisse deux réglementations assez proches d’un même contrat, avec d’ailleurs certains articles rédigés de manière identique. Ce nouveau statut aurait dû logiquement figurer dans le code civil, qui comporte d’ailleurs déjà certaines dispositions spécifiques aux cautions personnes physiques… » 312. Il est tout de même possible de louer les efforts du législateur en faveur d’une clarification du formalisme en matière de

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