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2- LA NATURE JURIDIQUE DU PLAN CONVENTIONNEL

Dans le document Le traitement du contentieux bancaire (Page 164-170)

242. Le choix du terme « concilier » par le législateur à l’article L. 331-6 C. consom. est-il neutre ? Ou alors ce choix est-il un indicateur des conséquences pas uniquement contractuelles, mais également procédurales que devraient avoir les accords pouvant naître de la négociation ? La question de la nature juridique du plan conventionnel de redressement est ainsi posée, le législateur n’y ayant pas clairement répondu. Il a été jugé que le plan de surendettement a une nature conventionnelle409. Le tribunal d’instance d’Alençon, saisi dans le cadre d’une assignation en paiement par un créancier signataire du plan postérieurement à l’entrée en vigueur de celui-ci a dû se prononcer sur la nature juridique du plan. Le recours du créancier se fondait en effet sur le contrat initial le liant au débiteur, or ce dernier respectait les obligations issues du plan. Ainsi, d’après le jugement rendu dans l’affaire SA Cofica c/ X…, « le plan conventionnel ne constitue pas une transaction, n’opère pas de remise de dette 405 P.-L. Chatain et F. Ferriere, Surendettement des particuliers, op. cit., sp. n° 32.13 ; F. Rizzo, Le traitement juridique de l’endettement, th. Préc., sp. n° 97.

406 En ce sens, F. Rizzo, th. Précitée, sp. n° 109, note 275 ; P.-L. Chatain et F. Ferriere, Surendettement des particuliers, op. cit., sp. n° 32-14 [pour rejeter cette solution, ces derniers auteurs tiennent compte également du fait qu’il n’existe « aucun critère de pondération de responsabilité » permettant de traiter différemment les créanciers]. En revanche, cette possibilité offerte à la commission par l’article L. 331-7 du code de la consommation se justifie pleinement lorsque l’on se trouve en phase de mesures imposées.

407 E. Perru préc. n° 157.

408 Sur les mesures imposées, v. L. 331-7 C. consom.

ni novation au sens de l’article 1271 du Code civil ; dès lors on peut considérer le plan conventionnel comme un nouveau contrat sui generis, dérivé du contrat initial, portant sur des modalités d’exécution de celui-ci et qui suspend les effets du contrat initial et les dettes antérieures. ». Il s’agit donc d’un contrat conclu entre le débiteur surendetté et les créanciers signataires du plan. Mais des questions demeurent quant à la nature de ce contrat. Est-on ou non en présence d’une transaction ? La méthode par élimination adoptée par ce jugement paraît intéressante.

243. La qualification de transaction n’est pas retenue par le jugement du TI d’Alençon. Certains auteurs considèrent que l’exclusion de la transaction se justifie du fait de « l’absence de réelle réciprocité des concessions »410. Comme le relève E. PERRU, « lorsque le débiteur signe un plan conventionnel de redressement, il n’abandonne aucun moyen de défense, aucune contestation. Il ne peut s’agir de concessions411, en l’absence de réels engagements du débiteur. »412. Pour Y. CHAPUT, « c’est un contrat à titre onéreux qui n’est ni réductible à une transaction, ni à une sentence arbitrale, ni à un jugement. »413. Mais la question est discutée en doctrine.

244. S. NEUVILLE propose en effet la qualification de transaction au sens de l’article 2044 C. civ. D’après cet auteur, « traditionnellement, la doctrine considère que la conciliation permet d’aboutir soit à une abdication, soit à une transaction. Or, une lecture attentive de l’art. L. 331-6 du code de la consommation permet de retenir davantage l’idée de transaction. » 414. S. NEUVILLE affirme que la notion de concessions réciproques est sous-jacente à l’art. L. 331-6 C. consom. Pour lui, en posant la règle selon laquelle « le plan peut comporter des mesures de report ou de rééchelonnement des paiements des dettes, de remises de dettes, de réduction ou de suppression du taux d’intérêt », le législateur incite les créanciers à faire des concessions. S’agissant du débiteur, il peut lui être demandé d’accepter une consolidation, une création ou une substitution de garantie. On sait par ailleurs que d’après l’art. L. 331-6 C. consom., « le plan peut subordonner ces mesures à l’accomplissement par le débiteur d’actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette. Il peut également les subordonner à 410 E. Perru, L’impayé, LGDJ 2005, p. 152.

411 Ce terme est défini comme l’ « acte bilatéral ou unilatéral en vertu duquel une personne, le concédant, accorde à une autre, le concessionnaire, la jouissance d’un droit ou d’un avantage particulier ». G. Cornu, vocabulaire juridique, 8e éd. PUF 2009, p. 196.

412 E. Perru, préc. p. 152.

413 Y. Chaput, Surendettement des particuliers et des familles, J-Cl. Civ. art. 1905 à 1908, fasc. 10. 1990, n° 68.

414 S. Neuville, « Le traitement planifié du surendettement. Réflexions sur la conciliation et la médiation, l’abdication et la transaction, les matières gracieuses et contentieuses », RTD com. 2001, p. 31 et s., sp. n°5.

l’abstention par le débiteur d’actes qui aggraveraient son insolvabilité. ». Se référant à l’argument de X. LAGARDE selon lequel « (…) la question des concessions réciproques concerne le contenu de la transaction et pas seulement les aspects procéduraux de cette dernière »415, S. NEUVILLE déduit ainsi que le plan conventionnel de redressement a la qualification de transaction. Dans le même sens, G. PAISANT a considéré « si en effet, la transaction se caractérise par l’existence de concessions réciproques, ces dernières se retrouvent bien dans le règlement amiable où le créancier va consentir un abandon d’une partie de ses droits tandis que le débiteur se verra ordinairement contraint d’observer un certain nombre de mesures destinées à faciliter ou garantir le paiement de ses dettes, ou encore, à ne pas altérer le montant de son passif (c. consom. art. L. 331-6) »416. L’auteur cite des décisions des juridictions du fond assimilant le plan de surendettement à une transaction417. Mais G. PAISANT semble proposer une décennie plus tard une autre qualification : « Sans doute un contrat d’adhésion sui generis dès lors qu’on rejette aussi la qualification de transaction. »418.

245. On ne peut donc totalement exclure la notion de concessions réciproques dans le cadre du plan conventionnel de redressement. Il va sans dire que la discussion sur la qualification de transaction ne peut totalement être écartée. Mais le cadre précontentieux dans lequel se déroulent les négociations n’incline-t-il pas à se situer sur un terrain exclusivement contractuel? En effet, l’existence de concessions réciproques n’est pas suffisante pour caractériser la transaction. La condition première est qu’il y ait litige. De la même manière que le litige est la condition du procès, il est l’élément fondamental d’une transaction, qui implique renonciation à l’action en justice. Mais dans le cadre du plan, les parties ne visent-elles pas, à travers la négociation, à réaménager le contrat, et par conséquent à trouver un accord collectif réglant le différend né de l’impayé afin de permettre au débiteur d’avoir de meilleures chances d’exécuter ses obligations? La réponse à ces questions n’est pas simple, dès lors que la frontière entre le différend et le litige n’a pas un caractère étanche, la césure 415 X. Lagarde, « Transaction et ordre public », D. 2000, chron., p. 217 et s., sp. n° 10 et 11. cf. également Ch. Jarrosson, « Les concessions réciproques dans la transaction », D. 1997, Chron. 267 et s. Ces auteurs complètent la conception du mécanisme de la transaction tel que conçu par le doyen L. Boyer in : La notion de transaction (contribution à l’étude des concepts de cause et d’acte déclaratif), Sirey, 1947, préf. J. Maury. Rép. civ. Dalloz, v° Transaction, par L. Boyer, n° 20 et s.

416 RTD com. 1994, p. 111 obs. G. Paisant

417 Cour d’appel d’Agen (ch. Soc. 19 mai1992, juris-data n° 048828; Cour d’appel de Nancy (2e ch. Civ., 12 mars 1993, Chartogne c/ Cetelem, inédit).

n’étant pas parfaite. En pareil cas en effet, les éléments juridiques du litige sont présents, dans la mesure où la défaillance du débiteur dans l’exécution de ses obligations peut conduire les créanciers à saisir le juge. Les créanciers, bien que participant à la procédure de surendettement ont ainsi la possibilité d’obtenir un titre exécutoire. Mais l’intention des parties est-elle de conclure une transaction ? Souhaitent-elles régler un litige et ainsi renoncer à l’action en justice? Il est fort probable de considérer qu’en participant aux négociations, les créanciers ont conscience du fait qu’il s’agit d’une étape précédant la saisine éventuelle du juge, ce dernier pouvant être sollicité à l’étape suivante, soit que la négociation ait échoué, soit que le débiteur n’ait pas respecté les obligations issues du contrat réaménagé. En pratique, les banquiers, rencontrés dans le cadre de l’étude sur l’évolution du contentieux de l’impayé, nous ont affirmé qu’ils n’intentaient pas de recours judiciaire lorsque le client était en procédure de surendettement. Pour les banquiers, l’étape du plan conventionnel appartient à la phase précontentieuse, et est donc antérieure au litige. Par conséquent, on peut raisonnablement penser que les parties ne se considèrent pas psychologiquement en litige dans le cadre des négociations menées par la commission de surendettement. Le litige est certes défini comme un « différend présentant un caractère juridique », mais ce concept renvoie également à une posture psychologique des parties. Dès lors que les contractants ne se considèrent pas comme étant véritablement au stade du litige, la qualification de transaction doit par conséquent être exclue. On est donc en présence d’une modification du contrat relevant du précontentieux, qui obéit au régime du droit contractuel et n’a pas de conséquence d’ordre processuel.

246. Par ailleurs, la question peut également se poser de savoir si la qualification du plan devrait être différente selon les concessions faites entre chacun des créanciers et le débiteur. Autrement dit, un même acte signé par un débiteur et plusieurs créanciers peut-il avoir des qualifications différentes pour chaque partie en fonction de son contenu et de la volonté des parties ? Ou alors, doit-on avoir une qualification unique à un acte, bien que son contenu diffère de façon plus ou moins importante du contrat initial signé avec chacun des créanciers, et bien que le résultat de la négociation ainsi que ses objectifs ne soient pas nécessairement les mêmes pour tous? Ne peut-on pas considérer que la qualification se fera au cas par cas, en fonction du contenu de l’acte pour chacun des créanciers, en fonction du degré de réciprocité des concessions et de la volonté animant les parties ?

247. Dans l’absolu, la qualification devrait se faire en appréciant chaque accord intervenu dans le cadre des négociations, après comparaison entre ce résultat et le contrat initial liant les parties, en tenant compte de l’intention qui animait ces dernières. La comparaison permettrait de mesurer l’étendue des concessions réciproques. Il serait ensuite important de déterminer s’il y a ou non litige, et par conséquent si l’intention des parties était de conclure une transaction ou simplement un avenant au contrat initial. Mais un même acte peut-il avoir plusieurs qualifications différentes ? Autrement dit, le plan conventionnel de redressement peut-il avoir des qualifications différentes pour chacun de ses signataires ? Dans cette hypothèse, quelle serait la qualification s’imposant au débiteur ? Les impératifs de sécurité juridique (pour le débiteur en particulier dont la situation difficile a suscité la mise en place de cette procédure de surendettement) et la volonté législative d’un accord collectif ne devraient-ils pas conduire à retenir une qualification unique au plan, bien qu’il soit signé par plusieurs parties ayant chacune négocié différemment ? C’est probablement ce pragmatisme juridique qui a conduit la juridiction d’Alençon - dont le jugement qui n’a pas été remis en cause par une juridiction supérieure semble être à ce jour le plus explicite sur cette question - à rejeter la qualification de transaction. Sur ce fondement, la solution ne peut être qu’approuvée. Elle préserve en effet à la fois les intérêts des créanciers ayant fait des concessions devant contribuer à sortir le débiteur du surendettement, et la sécurité juridique de ce dernier. En outre, la solution du TI d’Alençon paraît conforme à la distinction entre le précontentieux et le contentieux. En effet, la négociation du plan se déroulant dans une phase précontentieuse (antérieure au litige), la qualification de transaction ne saurait être retenue. C’est l’existence du litige et la volonté de le régler par des concessions réciproques, en renonçant à l’action en justice qui conduit à retenir la qualification de transaction. La commission de surendettement intervient en amont d’une éventuelle saisine du juge, pour permettre aux parties de trouver un accord réglant le différend né de l’impayé. Elle travaille ainsi dans un cadre précontentieux, les parties étant au stade du différend. Le plan conventionnel de redressement vise en effet à trouver un accord permettant au débiteur de payer sa dette, grâce à un réaménagement du contrat, suivant des modalités adaptées à sa situation. Le litige ne parait pas encore véritablement cristallisé dans le cadre de la négociation menée par la commission de surendettement. A cette étape, on n’est pas rendu au stade du contentieux, qui se traduit par un ensemble d’oppositions de prétentions juridiques soumises à des juridictions devant les trancher par des décisions. Les parties cherchent en effet, sous l’instigation de la commission de surendettement à régler conventionnellement le différend né de l’impayé, grâce à un accord négocié. Le but n’est pas de trancher un litige,

mais de trouver de nouvelles modalités permettant au débiteur d’exécuter le contrat. Comme le relèvent deux juristes théoriciens, notamment OST et VAN DE KERCHOVE, si un litige naît c’est que les parties « ont accepté de placer leur conflit sur le seul terrain du droit » et qu’ « elles ont été amenées, à la fois, à radicaliser l’opposition de leurs prétentions respectives… (et) à réduire l’ampleur du conflit à ses seules dimensions juridiques plutôt que de le maintenir dans toute sa complexité psychologique et sociale. »419. Telle n’est pas l’intention des parties, et des banques en particulier, qui préfèrent trouver un accord dans le cadre du plan conventionnel de redressement, évitant ainsi de transformer les défaillances du débiteur en litige. Il va sans dire qu’en négociant, les contractants ne sont pas au stade du contentieux, puisque dans leur esprit, le litige ne semble pas cristallisé. La distinction opérée par A. JEAMMAUD entre conflit différend et litige trouve ici sa pertinence, les parties étant, à l’étape du conflit ou du différend découlant des incidents de paiement, dans une phase précontentieuse de leurs rapports sociaux. Cette phase est régie par le droit des contrats, et il est donc logique que le droit positif écarte la qualification de transaction, pour retenir celle d’un contrat sui generis.

248. Par ailleurs, la possibilité offerte au créancier de saisir les juridictions du fond afin d’obtenir un titre exécutoire pendant le cours de la procédure de surendettement semble confirmer l’exclusion de la qualification transactionnelle, s’agissant du plan conventionnel de redressement420. L’existence d’une transaction aurait en effet rendu l’action du créancier potentiellement irrecevable, du fait de l’autorité de la chose jugée attachée à cet acte. La décision judiciaire pouvant en effet intervenir après la conclusion du plan.

Il serait souhaitable que le législateur intervienne en la matière, pour sinon clore le débat sur la nature juridique du plan, du moins préciser le sort des cautions et coobligés suite à la conclusion du plan conventionnel de redressement, comme il l’a fait en matière de conciliation, de sauvegarde et de redressement judiciaire.

249. On notera enfin, et à titre subsidiaire, que la qualification de novation s’agissant du plan conventionnel est logiquement écartée, car elle ne se présume pas. La jurisprudence s’est prononcée sur cette question. Après quelques décisions contradictoires421 de juridictions du fond, la Cour de cassation422 a répondu par la négative à la question de savoir si le plan 419 cités par A. Jeammaud, « Conflit, différend, litige, Droits », n° 34, Les mots de la justice, PUF, 2002, p. 20.

420 Civ. 1re, 7 janv. 1997, Bull. Civ. I, n° 10; D. 1997. IR. 40.

421 En faveur de l’effet novatoire, Paris 3 juin 1999 et Versailles 5 mai 2000, RTD com. 2000. 735 ; contre l’effet novatoire, TI Alençon, 28 sept. 1990, préc.

conventionnel de redressement a un effet novatoire. Elle décide ainsi dans l’arrêt CRCAM Loire–Atlantique c/ Klauer que la novation ne se présumant pas, elle doit résulter clairement des actes ; un réaménagement de la dette pour l’exécution d’un plan conventionnel de redressement ne suffit pas à le caractériser. Par cette décision, la Haute juridiction a cassé un arrêt qui déclarait éteint, du fait de la novation intervenue, le cautionnement hypothécaire garantissant un prêt, suite au réaménagement conventionnel se traduisant par la substitution de deux crédits nouveaux à l’ensemble des engagements antérieurs du débiteur. Par ailleurs, selon une solution dégagée dès la fin du 19e siècle par la Cour de cassation, pour une novation par changement d’obligation, « il ne suffit pas d’augmenter ou de diminuer la dette, de fixer un terme plus long ou plus court (…) à moins que les parties n’expriment une intention contraire. »423.

250. Le plan conventionnel de redressement semble donc s’inscrire dans le registre des accords que le doyen Jean CARBONNIER a qualifié de « conventions simplement modificatives d’une obligation préexistante, sans effet extinctif ni créateur. »424. On se situe en effet dans le prolongement de l’accord initial, et non dans une création ex nihilo. C’est l’accord de base qui sert de fondement et de repère à la négociation. L’accord négocié est en quelque sorte « dérivé » de l’accord initial, si l’on veut le décrire avec des termes de mathématicien. La solution a le mérite de permettre aux créanciers participant au plan et fournissant des efforts favorables au débiteur en difficulté de ne pas subir les inconvénients d’une requalification du plan en novation, par exemple en perdant les sûretés qui garantissaient les prêts initiaux.

251. En somme, le plan conventionnel de redressement n’est donc pas une transaction, et n’opère pas novation. Mais quel est le régime juridique du plan conventionnel de redressement?

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