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A la lumière de ces critiques doctrinales (parfois acerbes) portées sur la législation consumériste, on perçoit davantage la nécessité du devoir de mise en garde. Le juge a ainsi

Dans le document Le traitement du contentieux bancaire (Page 54-57)

mis en place un mécanisme devant inciter les banques à fournir également des « conseils négatifs » aux clients, afin de permettre à ceux-ci de mieux percevoir tous les contours du crédit et d’y renoncer le cas échéant. La jurisprudence a de ce fait rempli son rôle créateur, dans le but de combler les lacunes de la législation en matière de crédit à des personnes non averties. Cette norme jurisprudentielle assure une meilleure protection des emprunteurs ou des cautions. L’obligation de mise en garde concerne en effet aussi bien les particuliers que les professionnels (la distinction emprunteurs avertis/emprunteurs profanes ne coïncidant pas exactement avec celle entre professionnels et non professionnels).

71. La mise en place du devoir de mise en garde pourrait constituer une des causes de la baisse du contentieux de l’impayé. On sait qu’au plan chronologique, la fixation de la jurisprudence sur le devoir de mise en garde ne s’est réalisée qu’en 2005, et que la baisse du contentieux de l’impayé a commencé dès le début des années 1990. Or, à cette époque, la jurisprudence sur la responsabilité du banquier pour défaut de conseil ou de mise en garde de l’emprunteur était encore balbutiante, et ne se manifestait qu’à travers quelques arrêts isolés de la première chambre civile (ne concernant pour l’essentiel que les particuliers emprunteurs). Le premier arrêt de la Cour de cassation est celui du 8 juin 1994. On peut cependant penser que, dès avant la fixation de la jurisprudence de la Cour de cassation, a pu se développer une tendance des juges du fond à condamner les banques ayant accordé des crédits disproportionnés. Une recherche portant sur les décisions du fond publiées dans les principales revues juridiques atteste de l’existence de ces décisions. On trouve ainsi un certain nombre d’arrêts de cours d’appel ou de décisions de première instance rendus au début des années 1990 et qui condamnent vis-à-vis de l’emprunteur, des banques n’ayant pas eu la

prudence attendue d’un professionnel du crédit135. A titre d’exemple, on peut citer un jugement particulièrement caractéristique du Tribunal de Grande Instance d’Auxerre du 28 septembre 1992, publié dans une revue de droit bancaire136. Cette décision condamne une banque pour avoir manqué à son devoir de conseil en élaborant « un plan de financement d’une cession d’exploitation agricole pour un montant de 1 556 500 F à une personne rapatriée récemment à l’âge de 56 ans n’ayant pour tout apport personnel qu’une somme de 40 000 F sans s’assurer que ce plan comportait un fonds de roulement pouvant être effectivement consacré au fonctionnement de l’exploitation, fonds qu’elle avait, lors des négociations, évalué à 300 000 F sous forme d’un apport personnel et dont elle avait fait alors une condition essentielle de son accord sur le financement ». Même si on trouve dans la même période des décisions des juges du fond exonérant les banques de toute responsabilité envers l’emprunteur, en considérant que ce dernier est mieux informé que sa banque et qu’il lui appartient de supporter les risques du crédit, il ne parait pas déraisonnable de penser que l’existence, dès le début des années 1990 , de décisions retenant la responsabilité du banquier vis-à-vis de son client, décisions probablement connues dans le monde bancaire par le relais de commentateurs spécialisés, a pu convaincre les banquiers que le vent judiciaire tournait en faveur des emprunteurs, et les inciter à une plus grande prudence dans l’octroi des crédits. En tout cas, la coïncidence temporelle entre la baisse du contentieux de l’impayé au début des années 1990 et les premières décisions judiciaires inaugurant le devoir de mise en garde est frappante. A défaut d’une relation de cause à effet impossible à établir, on peut au moins penser qu’à cette période il y a eu des interactions entre le souci de plus en plus grand chez les établissements de crédit de maîtriser le risque crédit, et le développement chez les juges dans une optique principalement consumériste, de l’idée que cette maîtrise du risque faisait partie des devoirs du banquier vis-à-vis de son client. L’étude du CERCRID sur l’évolution du contentieux de l’impayé137 déduit ainsi que la consécration jurisprudentielle de ce devoir de mise en garde a probablement contribué à la baisse du contentieux au fond de l’impayé devant les TGI entre 1993 et 2005. En effet, cette règle prétorienne a certes pu conduire les banques à une plus grande prudence, mais on peut également penser qu’elle a été de nature à dissuader certains clients de contracter les crédits.

135 CA Grenoble, 14 mai 1992 : JCP 1992, éd. E, pan. 826. CA Bordeaux, 12 mars 1992 (décision ayant fait l’objet du pourvoi rejeté par la première chambre civile de la Cour de cassation le 8 juin 1994 : Bull. civ. I, n° 207). CA Riom, 11 juin 1992 (décision ayant fait l’objet du pourvoi rejeté par la première chambre civile de la Cour de cassation le 27 juin 1995 : Bull. civ. I, n° 287, p. 200). CA Montpellier, 11 mars 1992, JCP G 1993, IV, 570. TI Bordeaux, 16 février 1989 RTD civ. 1990, 480, obs. J. Mestre.

136 Rev. dr. bancaire et bourse n° 36, p. 73, obs. F.-J. Crédot, Y. Gérard.

72. Bien que le fondement textuel de ce devoir de mise en garde soit l’art. 1147 C. civ., il s’agit d’une création de la Cour de cassation, dans la mesure où ce devoir n’était prévu par aucune disposition législative ou réglementaire. L’art. 1147 C. civ. ne semble donc être qu’un prétexte textuel de mise en œuvre de la responsabilité des banques. Cette règle de vigilance incombant au banquier a été dégagée par le juge dans le cadre d’actions en responsabilité contractuelle engagées par les bénéficiaires du crédit sur le fondement de l’art. 1147 C. civ. En effet, ce contentieux s’est développé dans les hypothèses où le client emprunteur n’était plus en mesure de rembourser le crédit à lui consenti. Poursuivi en paiement par le banquier, l’emprunteur opposait par voie d’exception la responsabilité du banquier dispensateur de crédit, afin de faire jouer la compensation entre sa dette, et les dommages-intérêts réclamés aux banques pour manquement à l’obligation d’information, au devoir de conseil ou à celui de mise en garde.

73. Le recours à l’art. 1147 C. civ. vise principalement à rattacher la norme à un texte de loi, comme le prévoit désormais l’art. 1020 CPC138. La création du devoir de mise en garde du banquier envers l’emprunteur non averti constitue donc une nouvelle illustration du rôle normatif de la jurisprudence. Comme l’a relevé J. STOUFFLET139, « l’expression devoir de mise en garde est une pure notion jurisprudentielle. Depuis quelques dizaines d’années, la ju-risprudence (avec dans quelques cas une intervention législative pas toujours heureuse) s’est attachée à formuler des normes professionnelles de diligence et de vigilance que les banques sont tenues d’observer. La consécration du devoir de mise en garde est l’étape la plus récente de ce travail de structuration…». Il n’est donc pas surprenant que la loi Lagarde portant ré-forme du crédit à la consommation institue une règle qui semble être une obligation légale de mise en garde en matière de crédit. L’article L. 311-8 de ce texte prévoit en effet que : « le prêteur ou l'intermédiaire de crédit fournit à l'emprunteur les explications lui permettant de déterminer si le contrat de crédit proposé est adapté à ses besoins et à sa situation financière, notamment à partir des informations contenues dans la fiche mentionnée à l'article L. 311-6. Il attire l'attention de l'emprunteur sur les caractéristiques essentielles du ou des crédits proposés et sur les conséquences que ces crédits peuvent avoir sur sa situation financière, y compris en cas de défaut de paiement. Ces informations sont données, le cas échéant, sur la base des pré-138 D’après cette disposition issue du décret n° 2008-484 du 22 mai 2008, « l’arrêt vise la règle de droit sur laquelle la cassation est fondée. ».

139 J. Stoufflet, De la responsabilité du dispensateur de crédit au devoir de mise en garde : histoire brève d’une construction jurisprudentielle, Revue de Droit bancaire et financier n°6, Novembre 2007, dossier 26.

férences exprimées par l'emprunteur. Lorsque le crédit est proposé sur un lieu de vente, le prê-teur veille à ce que l'emprunprê-teur reçoive ces explications de manière complète et appropriée sur le lieu même de la vente, dans des conditions garantissant la confidentialité des échanges. ». Cette règle s’apparente à une consécration par le législateur du devoir de mise en garde, dans une démarche qui ressemble à un dialogue entre deux sources de droit : la loi et la jurisprudence. La première intégrant le message délivré par la seconde.

74. Le devoir de mise en garde a également été étendu par la jurisprudence à l’investisseur non averti. En effet, en vue de protéger les clients non avertis en matière de services d’investissement, la chambre commerciale de la Cour de cassation a consacré le devoir de mise en garde des établissements de crédit en matière de services d’investissement. Ainsi, par un arrêt de principe « Buon » rendu en 1991, elle a affirmé que « quelles que soient les relations entre un client et sa banque, celle-ci a le devoir de l’informer des risques encourus dans les opérations spéculatives sur les marchés à terme, hors le cas où il en a connaissance. »140. Il s’agit d’un devoir de mise en garde à la portée étendue mis en place par la Cour de cassation. Il peut s’agir de services liés aux ordres (réception, transmission, exécution), à la gestion de portefeuille voire à la conservation de titres.

75. Cette mise en garde s’appliquait à l’origine à toutes les opérations spéculatives sur

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