• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2. Cadre épistémologique et théorique pour lier conception et

1. Articulations itératives entre conception, formation et recherche

1.1. Un programme de recherche-conception technologique couplé à

Historiquement, les sciences de l’éducation ont toujours connu des difficultés pour articuler recherche et pratique ou recherche et technologies (Albero, 2004 ; Ria, Leblanc, Serres & Durand, 2006). Les pratiques professionnelles instrumentées pourraient pourtant constituer un objet d’étude privilégié autour duquel se rencontreraient les questions de formation et de recherche. Mais trois malentendus récurrents maintiennent les sciences de l’éducation en retrait par rapport aux enjeux technologiques liés à la formation (Albero, 2004) : l’amalgame entre pratique et recherche, des cadres de références et des sémantiques tournés vers l’action au détriment de la conceptualisation, un soupçon de technicisme qui empêcherait toute distance critique.

Les postures de recherche en sciences de l’éducation oscillent entre, d’une part, des recherches visant la construction de savoirs académiques sous-tendus par un cadre

S. Leblanc – Note de synthèse pour l’HDR– Université de Montpellier 3 – 2012 52

théorique mais se refusant à toutes perspectives transformatives et, d’autre part, des recherches construisant des savoirs en observant les pratiques « du dehors » et en les vulgarisant dans un langage accessible pour le praticien (Donnay, Charlier & Dejean, 2002 ; Ria, 2006). L’espace d’intelligibilité entre les praticiens et les chercheurs (Barbier, 2000, 2001) se trouve limité rendant ces deux postures de recherche insatisfaisantes dans la mesure où les connaissances délivrées aux praticiens ne s’accompagnent d’aucune transformation de leur activité, voire peuvent devenir un facteur d’inhibition pour l’action à venir (Clot, 1999). Une alternative est de concevoir dans le champ de l’éducation des recherches « contextualisées » tentant de dépasser cette opposition entre des recherches dites académiques, prisonnières des seules visées épistémiques et des «

recherches-actions » pilotées par un militantisme pédagogique ou par les intérêts de commanditaires

institutionnels (Duru-Bellat, 2004 ; Marcel & Rayou, 2004 ; Prost, 2001).

Si de Montmollin (2001) constate que le discours des théoriciens en sciences humaines et sociales n’éclaire que très rarement l’activité des praticiens, Perrenoud (1996, 2004) estime pourtant que la professionnalisation du métier d’enseignant gagnerait à prendre davantage en compte des savoirs issus de la recherche en s’adossant aux sciences sociales. Dans le contexte actuel de la formation des enseignants qui se reconfigure, la question de la prise en compte au sein de la communauté scientifique des chercheurs en sciences de l'éducation de visées transformatives couplées à des visées épistémiques alimente toujours un débat vif (Veyrunes, 2011) entre les recherches sur les pratiques (e.g. Altet, 2010) et les recherches adoptant l’objet activité (e.g. Durand & Yvon, 2012). L’option des recherches sur les pratiques est de postuler une transformation positive de ces pratiques par une « transposition didactique » que mèneraient les formateurs pour s’approprier les outils conceptuels d’analyse produite par la recherche, les digérer et les mettre en forme pour les formés (Veyrunes, 2011).

Faïta et Saujat (2010) repèrent le même type de débats dans les recherches en didactique très développées en milieu francophone qui, malgré une évolution récente les amenant à prendre en compte le travail d’enseignement, restent sur une signification objective de celui-ci en termes de transmission de connaissances par l’enseignant. Pour ces auteurs, ces évolutions ne permettent pas d’appréhender « l’enseignement comme un

travail » et donc de mettre à jour les « conflits de critères » auxquels sont soumis les

enseignants notamment pour répondre à une inflation de prescriptions, de manière de penser et d’agir souvent contradictoires (ibid., p. 44). Cette difficulté « à penser le rapport

S. Leblanc – Note de synthèse pour l’HDR– Université de Montpellier 3 – 2012 53

au “ terrain ” et à l’expérience professionnelle » explique les faibles transferts de ces

« technologies didactiques » dans les classes et/ou les pratiques enseignantes (ibid., p. 44). Pour dépasser les limites de ce pari difficile à tenir et créer les conditions nécessaires à l’établissement de passerelles effectives et fécondes entre les chercheurs, les praticiens, les formateurs, les formés et les concepteurs, nous inscrivons notre travail dans le cadre d’un programme de recherche-conception technologique en ergonomie de la formation (Durand, 2008 ; Leblanc et al. 2009 ; Theureau, 2006) qui articule d’emblée des visées épistémiques et transformatives. Ce programme coordonne un cadre théorique explicite pour analyser l’activité au travail et en formation avec un processus de conception d’artéfacts techniques et de situations de formation instrumentées destinés à cette dernière. Dans cette perspective, le programme de recherche empirique du cours d’action constitue un cadre approprié, étant conçu sur la base de « l’établissement d’une relation organique

avec la conception des situations » (Theureau, 2004, p. 250). Notre programme de

recherche-coneption technologique en ergonomie de la formation se caractérise par :

- des objets de conception particuliers en lien avec plusieurs programmes de recherche empirique (programme professionnalité enseignante, programme artéfacts vidéo et médiation de la formation) ressortissant à un nouvel objet générique de conception, la conception « d’environnement numérique de formation riche et ouvert » pour aider à « l’analyse de l’activité professionnelle médiatisée par la vidéo » et pouvant supporter des utilisations hybrides en formation,

- des réalisations effectives d’artéfacts multimédia (Penser l’entraînement, Réfléchir les

pratiques, Module vidéo dans la Banque de Séquences didactiques, Module Formation dans Néopass@ction) et des tests écologiques de prototypes ayant contribué à cet objet

générique,

- la relation de ces objets avec la formulation et l’étude d’hypothèses empiriques en lien avec des revues de littérature spécifiques (sur les NTIC, sur la vidéoformation, sur les plateformes collaboratives et sur les pratiques tutorales). Nos hypothèses ont évolué au fur et à mesure de la réalisation des différents projets. Nous sommes passés d’hypothèses concernant les effets de navigation dans un système hypermédia ouvert pour accompagner des apprentissages complexes (délimitation de problèmes, recherche d’informations pertinentes, argumentation théorique) en situation d’autoformation (période 1998-2003) aux effets du visionnement de vidéos de classe issues de la recherche (soulevant des questions de scénarisation filmique et pédagogique) pour

S. Leblanc – Note de synthèse pour l’HDR– Université de Montpellier 3 – 2012 54

contribuer au développement professionnel dans des situations de formation de type alloconfrontation ou autoconfrontation (période 2004-2011),

- un principe méthodologique essentiel qui consiste à participer à la conception des artéfacts avec des équipes de chercheurs, formateurs, informaticiens et à des actions de formation de formateurs relatives à l’utilisation de plateformes de vidéoformation et à la scénarisation de situations pédagogiques instrumentées par ces artéfacts,

- une relation privilégiée avec des technologies du numérique notamment l’ingénierie informatique, les techniques hypermédias, les technologies de l’internet et la réalisation audiovisuelle,

- et le développement d’observatoires17 adaptés à chaque contexte de formation (cf. chapitre 3), d’analyses et de soumission à la contestation scientifique (20 articles dans des revues AERES, 8 chapitres d’ouvrage, un ouvrage scientifique et une trentaine de communications internationales ou nationales).

1.2. La coopération entre chercheurs et praticiens comme voie

Documents relatifs