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Chapitre 5. Processus d’individuation dans des situations de vidéoformation

1. Situations d’alloconfrontation et d’autoconfrontation en formation

en formation

1.1. « Voir l’autre comme soi-même » via des espaces

d’alloconfrontation vidéo collectif-individuel

Cette synthèse reprend les résultats d’études qui ont analysé les effets sur l’engagement et l’apprentissage-développement professionnel d’enseignants débutants de l’utilisation d’espaces d’alloconfrontation vidéo collectif et individuel dans différents contextes et formats de formation (Leblanc, 2009a ; Leblanc & Ria, 2010 ; Ria, Serres & Leblanc, 2010 ; Ria & Leblanc, sous presse ; Leblanc & Sève, sous presse).

La confrontation à des « difficultés typiques » d’enseignants-débutants dans le métier contribue à rassurer les enseignants en les amenant à prendre conscience que leur propres difficultés vécues ne sont pas liées à leur personne mais sont des passages incontournables plus ou moins long pour s’approprier le métier. Progressivement, la confiance créée par ce changement de perception de leurs difficultés les déculpabilise, atténue leur sentiment d’incompétence et ouvre un espace de parole dans lequel ils acceptent spontanément et de manière authentique de livrer une partie de leur propre vécu en écho aux extraits filmiques. Le climat de confiance généré par la confrontation à un vécu proche du leur favorise les échanges entre pairs en les amenant à faire d’eux-mêmes référence plus ou moins longuement à une ou des expériences personnelles ressemblantes.

Ce rappel immédiat d’expériences vécues est favorisé par la proximité de ce qui est donné à voir dans l’extrait filmique. Ils s’engagent dans une activité de comparaison entre ce qu’ils perçoivent de la situation filmée et ce qu’ils font dans leur classe. Même si leur expérience reste limitée et si la situation ne correspond pas précisément à leur niveau de classe ou à leurs contenus d’enseignement, une activité comparative avec les situations les plus proches, ressemblantes se développe. Ces expériences qui « remontent » à leur conscience en voyant la vidéo sont parfois évoquées spontanément et publiquement dans les échanges qui suivent. Si ces expériences rappelées en écho ne sont pas souvent explicitées ni commentées durant la séance de formation, cette activité est réalisée en pensée-privée lorsqu’ils regardent silencieusement la vidéo. Elle débouche souvent sur une auto-analyse dont on peut penser qu’elle leur sera utile si ce n’est pour agir directement au moins pour reconnaître des situations professionnelles correspondantes sur le terrain.

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L’observation de l’activité d’un tiers sert également de révélateur pour leur propre pratique en leur permettant de repérer des aspects contradictoires ou problématiques. La comparaison entre ces différentes expériences les conduit à réinterroger leur agir professionnel lorsque notamment elle révèle des tensions entre ce qu’ils font dans leur classe et ce qu’ils souhaiteraient faire. Elle les amène dans certains cas à repérer dans les extraits filmiques des façons de faire efficaces dans lesquelles ils se reconnaissent mais dont ils n’avaient pas conscience et paraît servir aussi d’accélérateur à cette prise de conscience. Ces situations favorisent également l’émergence d’analyses de pratiques privées leur permettant de repérer leurs points forts et leurs points faibles.

Elles sont source d’apprentissage-développement à travers un processus de validations-invalidations de connaissances expériencées et d’appropriation d’actions nouvelles comme si la confrontation à une diversité d’activités typiques d’enseignants débutants plus ou moins efficaces leur ouvrait des possibles qu’ils ne se seraient pas autorisés à mobiliser spontanément. Elles favorisent également le prélèvement d’indices pertinents pour gagner en compréhension et dégager une nouvelle intelligibilité de la situation en relation avec un contexte de classe particulier grâce à la possibilité de maîtriser le temps (revisionnement, arrêt, retour arrière) et grâce à l’accès au point de vue de l’enseignant (entretiens d’autoconfrontation ou de vécu professionnel). Les enseignants débutants découvrent à partir des verbalisations et commentaires de leurs pairs l’intérêt de dépasser la seule observation vidéo pour comprendre les organisateurs de l’activité et comment elle s’était construite dans le temps. Ces situations les amènent aussi à s’interroger sur leur propre développement professionnel et sur la manière de le construire. La confrontation à plusieurs extraits filmiques sur un même objet d’analyse montrant des façons de faire qui gagnent en efficacité et efficience favorise la remise en cause d’une vision figée voire irréversible des premiers gestes professionnels dans la conduite de leurs classes. Le visionnage de l’observatoire du travail d’enseignants en milieu difficile ou de situations d’enseignement conflictuelles conduit certains à réinterroger la pertinence de leur choix professionnel.

Le recours à des points de vue complémentaires d’enseignants plus expérimentés prolonge le processus de sémiotisation. La mise en relation de plusieurs vécus, celui de l’enseignant visionné, celui d’enseignants expérimentés et le sien, relance le processus d’enquête et d’analyse sur des axes nouveaux. Les propos d’enseignants expérimentés jouent le rôle de médiation entre le vécu de l’enseignant visionné et le double vécu des enseignants débutants, celui dans la classe et celui expérimenté mimétiquement et

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fictionnellement dans l’EVNF. Cet engagement mimétique où les enseignants débutants voient l’autre dans la vidéo comme eux-mêmes ouvrent de multiples possibilités d’apprentissage-développement et de projection dans le futur de leur propre activité. L’accompagnement des formateurs dans ce type situation d’alloconfrontation vidéo est donc à penser avec cette double visée a) celle d’aider les formés à se voir par procuration dans l’activité de pairs ou de quasi-pairs en prenant conscience de certaines de leurs manières d’agir et des effets potentiels sur l’activité des élèves et b) celle de les faire s’interroger sur leurs croyances, convictions, dispositions à agir, façons de faire non ou peu questionnées afin d’envisager de nouveaux champs de possibles.

1.2. « Se connaître et se reconnaître » via l’autoconfrontation

individuelle-collective

Les effets sur l’activité en formation d’une mise en mot du vécu (Leblanc, 2009b, 2009c, soumis (a)) à travers un entretien de « remise en situation dynamique » par autoconfrontation vidéo en présence de pairs conduisent les acteurs à : a) « revivre » émotionnellement et authentiquement leur expérience de classe, b) à estimer le caractère bienveillant du regard de l’autre, c) expliciter leurs raisons d’agir à chaque instant significatif pour eux, d) prendre conscience de dimensions non perçues de leur activité, e) construire de nouvelles interprétations de la situation.

Le premier effet est la possibilité de « revivre » de manière impliquée l’expérience de classe passée réactivée par le visionnage de la vidéo. Cette implication dans la situation passée plus que dans la situation présente est une condition importante pour pouvoir accéder à des aspects non conscientisés de leur activité. Cela leur permet d’expliciter des émotions intenses dont on sait qu’elles orientent fortement les façons d’agir particulièrement chez des débutants. L’autoconfrontation menée avec le chercheur nous renseigne sur la manière dont elle a vécu cette deuxième expérience (lors de l’autoconfrontation) sur la base de la première : « Ce n’est pas inconfortable parce que j’en

ai besoin, j’ai besoin qu’on en parle mais vu que je revis quand même la chose donc ça me fait des émotions, je ne saurai pas comment le décrire exactement, je ressens un petit peu ce qui s’était passé ». Cette mise en mot de l’expérience favorisée par un questionnement

ouvert et une attitude d’écoute de la part de la formatrice conduit les stagiaires à produire des propos authentiques.

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Le regard de l’autre peut être perçu potentiellement comme un jugement. Cette perception se construit sur des indices ténus et peut conduire l’acteur à limiter son engagement à dévoiler les aspects implicites de son activité. L’entretien mené possède une dimension collective dans la mesure où les propos émis par l’autoconfronté sont adressés principalement à la formatrice mais aussi aux autres enseignants présents. Si le climat est perçu comme propice à ce type d’échanges car il s’agit d’un petit groupe d’acteurs (entre deux et quatre maximum), tous impliqués dans la situation (car ils vont tous passer en entretien face à leur vidéo), il n’en reste pas moins que la situation du fait de sa dimension sociale possède un caractère anxiogène.

Cette dimension de jugement peut émerger également à la suite de certaines formulations de questions qui sans le vouloir amènent l’acteur à se mettre dans une attitude de protection. Sur l’ensemble des questions posées par la formatrice (une trentaine durant l’entretien), le questionnement a induit un malaise chez l’auto-confronté seulement à deux reprises. Momentanément l’enseignante se protège en se repliant sur elle-même d’autant plus qu’elle se sent en situation de faiblesse. Cette protection de soi se traduit ici dans une réponse hésitante et à travers un comportement dans l’entretien qui manifeste un certain retrait par rapport à la situation (recul sur sa chaise). On pointe à travers cette unité d’expérience une des difficultés à mener un entretien d’autoconfrontation qui est de ne pas proposer à travers le questionnement ses propres interprétations de la situation ce que ne va pas manquer de percevoir l’autoconfronté. L’effet de protection n’est ici qu’une perturbation passagère de l’entretien qui, grâce à la reprise du visionnage de la vidéo ou une autre relance, disparaît rapidement.

Un autre effet est d’amener les enseignants à expliciter leurs raisons d’agir à chaque instant de leur activité significatif pour eux dans la situation de classe. La moitié des unités d’expérience identifiées correspond à l’expression, la mise en mot d’une partie de leur vécu à travers les différents registres de l’activité, que sont les émotions, les focalisations, les interprétations, et les intentions dans la situation de classe. La documentation de son activité est rendue possible grâce à l’adoption par l’autoconfronté d’une posture qui vise à documenter ce qui l’a amené agir de telle ou telle façon à tel ou tel moment. Conscient que la situation n’est pas transparente, il la documente spontanément pour qu’elle soit intelligible par quelqu’un d’extérieur. C’est à cette condition de détour par la description que l’enseignant va pouvoir découvrir des choses sur son activité qui étaient présentes dans la situation mais qui n’avaient pas été conscientisées. L’autoconfronteur peut repérer au cours de l’entretien si l’acteur restitue des éléments constitutifs de sa première activité

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(celle filmée en classe) ou s’il prend conscience en la voyant d’un certain nombre de phénomènes non significatifs initialement. Mais si certaines dimensions de l’activité sont conscientisables sous certaines conditions, d’autres ne le sont pas car elles ne font pas parties du monde propre de l’acteur.

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